Édition internationale

Martin Villeneuve, l’architecte discret d’un géant québécois de la tech verte

Spécialiste du contrôle intelligent des bâtiments, Distech Controls est passée en vingt cinq ans d’un bureau de projets à Brossard à un réseau international structuré, capable de rivaliser avec les grands noms du secteur. L’entreprise a été sacrée Réussite canadienne en France au dernier Gala de la CCI française au Canada. Aux commandes, Martin Villeneuve a mis en place une stratégie fondée sur la complémentarité entre croissance organique et acquisitions ciblées. À l’heure où la transition énergétique passe par l’optimisation des bâtiments, retour sur le parcours d’un dirigeant québécois à la tête d’une aventure technologique mondiale.

Martin VilleneuveMartin Villeneuve
Martin Villeneuve a mené Distech Controls d’un bureau d’ingénierie québécois à une multinationale présente sur cinq continents. En 2025, l'entreprise a été sacrée Réussite canadienne en France au Gala de la CCI française au Canada - Photo Courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 4 juin 2025

 

 

Une entreprise enracinée au Québec, tournée vers l’efficacité énergétique

Distech Controls naît en 1995 sous l’impulsion d’Étienne Veilleux, entrepreneur visionnaire qui croit déjà, à contre-courant, que l’avenir des bâtiments passera par l’intelligence énergétique. Avec audace, il structure une entreprise capable non seulement de vendre des projets d’économie d’énergie, mais aussi de concevoir ses propres produits de contrôle pour les réaliser. Une intuition précoce, à une époque où l’automatisation du bâtiment en est encore à ses balbutiements.

Très tôt, l’entreprise conçoit et commercialise ses propres solutions pour le chauffage, la ventilation et la climatisation (CVC). Le jeune Martin Villeneuve, alors chargé de projets, rejoint l’équipe en apportant une connaissance du terrain et une passion pour l’optimisation technique.

À partir des années 2000, Distech entame une phase de structuration. L’entreprise se sépare de son activité de réalisation de projets en 2003 pour se concentrer sur le développement de produits propriétaires. « On voulait passer d’un modèle de service à un modèle industriel. Miser sur l’innovation technologique plutôt que sur la prestation. » Le virage est stratégique : il permettra à Distech de devenir un fabricant à part entière, prêt à croître à l’international.

 

 

le siège social à Brossard (Québec)
Le siège social de Distech Controls, à Brossard

 

 

L’Europe comme révélateur stratégique

C’est à travers l’expérience européenne que Martin Villeneuve forge ses réflexes de stratège global. Dès 2005, Distech tente de percer sur le Vieux Continent via des distributeurs en Hollande, en France ou au Royaume-Uni. Mais malgré quelques ventes, les résultats sont décevants. « On n’avait pas le bon produit pour le marché. Trop nord-américain, pas assez intégré », se souvient-il.

La solution viendra d’une intuition. Lors d’un salon professionnel en Allemagne, le leadership de Distech Controls découvre l’entreprise française Comtec, spécialisée dans les solutions intégrées pour les bureaux : éclairage, stores, chauffage. Surtout, elle travaille sur la même infrastructure de communication numérique que Distech Controls. L’acquisition devient une évidence : en 2010, Comtec intègre le giron de Distech, apportant avec elle 38 employés, 7 millions d’euros de chiffre d’affaires, et un accès direct aux marchés européens.

L’acquisition permet non seulement d’accélérer l’entrée sur le marché, mais aussi de répondre instantanément aux normes locales et aux attentes des grands donneurs d’ordres.

 

« L’Europe, c’est un autre monde. Là-bas, un bâtiment intelligent, c’est un bâtiment qui intègre tout : la lumière, la température, la gestion des stores selon l’ensoleillement… Ce n’est pas négociable. » - Martin Villeneuve

 

 

 

 

Une stratégie hybride : croissance organique et acquisitions ciblées

Contrairement à d’autres groupes qui misent tout sur la croissance externe, Martin Villeneuve privilégie un équilibre subtil. « Chez nous, la croissance organique, c’est le socle. Elle garantit la crédibilité, la stabilité, la maîtrise. Ensuite viennent les acquisitions, quand elles ont un sens stratégique. » Ce modèle se traduit concrètement par un développement progressif : d’abord par la force commerciale, puis par le renforcement local via des équipes implantées sur place.

L’exemple français illustre cette démarche. Après Comtec, Distech Controls implante un réseau de commerciaux dans 34 pays européens. Distech Controls demeure l'un des leaders de la gestion technique de bâtiment (GTB) sur le marché depuis plusieurs années. L’implantation européenne devient un véritable pôle : les équipes y conçoivent des produits, mais rayonnent aussi vers l’Italie, la Scandinavie, ou encore les Balkans. « On plantait des jalons : un bon commercial à Paris, un autre à Milan, un autre à Stockholm… et on construisait ainsi notre réseau, marché par marché. »

 

 

L'entrée du siège social
L'entrée du siège social à Brossard. L'entreprise affiche ses valeurs.

 

 

Le rachat par un géant américain : synergie sans absorption

En 2015, Distech est rachetée par le groupe américain Acuity Inc. (anciennement Acuity Brands). Une opération qui aurait pu faire craindre une perte d’identité. Mais Martin Villeneuve veille à préserver l’autonomie de la marque québécoise.

 

« Acuity voulait racheter un savoir-faire, pas imposer une fusion culturelle. »

 

L’intégration reste donc légère : quelques mutualisations sur les achats, la finance ou les ressources humaines, mais les opérations de Distech restent séparées.

Distech devient rapidement un des piliers technologiques d’Acuity. L’entreprise québécoise fournit également les cerveaux électroniques derrière certains produits d’éclairage du groupe. Mieux encore : elle devient le fer de lance de la stratégie d’internationalisation, avec des implantations actives dans plus de 60 pays.

 

 

 

L’ambition élargie : du contrôle du climat à l’expérience globale

Depuis 2022, Distech change de division au sein du groupe, pour intégrer la nouvelle entité Acuity Intelligent Spaces. L’idée : réunir toutes les briques de contrôle intelligent dans les bâtiments. En plus des systèmes CVC, Acuity mise sur l’audiovisuel. Le rachat de QSC en 2025 marque une nouvelle étape : l’entreprise californienne apporte une expertise reconnue dans le son et l’image dans les espaces publics (hôtels, universités, salles de conférence…).

 

« On veut contrôler tout ce qui peut l’être dans un bâtiment. Pas pour le plaisir de tout connecter, mais pour rendre l’expérience plus fluide, plus économe, plus agréable. »

 

L’ajout d’une couche logicielle cloud — Atrius — permet de centraliser les données issues de tous les équipements : température, lumière, CO₂, présence humaine… Une vision du bâtiment comme écosystème data-driven, au service du confort et de la performance énergétique.

 

 

 

Une philosophie entrepreneuriale fondée sur la confiance, l’autonomie… et les bons relais

À ceux qui souhaitent s’inspirer de son parcours, Martin Villeneuve livre quelques principes simples. D’abord, ne pas hésiter à se lancer. « J’ai développé mes premiers marchés sans aide gouvernementale, sans connaître les réseaux d’accompagnement. J’ai appris sur le tas. Mais aujourd’hui, il existe des ressources incroyables. Il faut les mobiliser. »

Parmi ces ressources, la Chambre de commerce et d’industrie française au Canada (CCI) joue un rôle qu’il juge fondamental. « Si j’avais su à l’époque ce que la CCI pouvait offrir en matière d’accompagnement à l’international, j’aurais gagné un temps précieux. Les réseaux comme la CCI permettent d’éviter bien des erreurs et d’ouvrir des portes plus vite. » Aujourd’hui, Distech travaille régulièrement avec la CCI, notamment dans le cadre de missions de visibilité ou de participation à des événements comme le Gala annuel.

 

Les lauréats des prix de la CCI française au Canada
Soirée de gala de la CCI française au Canada durant laquelle Distech Controls a reçu le Prix de la Réussite canadienne en France. Martin Villeneuve est le premier à gauche, debout.

 

 

Pour Martin Villeneuve, c’est aussi une façon de rendre à l’écosystème ce qu’il a reçu : « Les ambassades, les chambres de commerce, les réseaux bilatéraux, ce sont des accélérateurs. Il faut les considérer comme des partenaires stratégiques, pas seulement comme des vitrines. »

Ensuite, penser global, mais agir local. Chaque acquisition, chaque partenariat est pensé dans une logique de proximité.

 

« On n’importe pas une méthode. On comprend un marché. On s’adapte. »

 

Et lorsqu’on lui demande s’il referait les mêmes choix, la réponse est sans détour : « Oui, à condition de garder le cap : croissance organique d’abord, acquisitions ensuite, mais jamais au détriment de l’identité. »

 

 

De Brossard à l’intelligence artificielle des bâtiments

En vingt six ans, Martin Villeneuve a mené Distech Controls d’un bureau d’ingénierie québécois à une multinationale présente sur cinq continents, intégrée dans un groupe américain, tout en conservant son ADN local. À l’heure où les bâtiments deviennent les prochains géants de la data, Distech s’impose comme une vigie technologique au service d’une transition écologique concrète.

Reste à voir si cette croissance restera maîtrisée dans les prochaines années, ou si le monde de l’IA et de l’Internet des objets imposera de nouveaux défis encore plus radicaux. Mais une chose est sûre : avec sa vision claire et sa capacité à exécuter avec rigueur, Martin Villeneuve semble prêt à répondre… avant même que la question ne soit posée.

 

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