Débarqué au Québec avec sa femme et ses 5 enfants, le Savoyard Jean-Yves Callies a racheté la boulangerie « De Froment et de Sève » en juillet 2014, située au croisement de la rue Beaubien Est et de la rue des Ecores. Son objectif : offrir aux Montréalais un savoir-faire traditionnel « comme du temps de ma grand-mère ». Résultat, les chiffres de sa boulangerie s'envolent. Pari réussi.
Pour comprendre que la boulangerie fraîchement rachetée par Jean-Yves est sur de bons rails, il suffit d'en pousser la porte. Là-haut à droite, suspendu sur une boucle de chemin de fer, il roule fièrement avec ses 7 wagons remplis de croissants, le petit train. « C'était un rêve de gamin de mettre un petit train électrique dans ma boulangerie, alors pour noël, je l'ai fait », sourit le patron, fier de son joujou. S'il esquisse un large sourire comme celui des enfants devant son petit train ? « en réalité ce sont surtout les personnes âgées qui s'émerveillent devant » - c'est parce que, depuis qu'il l'a racheté De Froment et de Sève en juillet 2014, Jean-Yves sait qu'il a fait une bonne affaire. Déjà, ce chevronné de la restauration a tout de suite su dégotter le premier ingrédient de la réussite : « L'emplacement est idéal. Rosemont-La Petite-Patrie est un quartier agréable, remuant, en plein développement, constitué à la fois de bureaux et de résidences, avec le parc Molson en guise de cerise sur le gâteau. En plus, il y a une bonne fréquentation liée au cinéma situé à quelques encablures. » Et puis, comme dans chaque histoire d'amour, il y a le coup de foudre.
L'ancien propriétaire, un Québécois, était amoureux de Paris alors il a maquillé son établissement à la parisienne, de la façade en passant par la terrasse et ses guéridons. « Cela m'a tout de suite séduit, parce que Paris, c'était mon savoir-faire », raconte monsieur Callies. S'il a la dégaine de ces restaurateurs parisiens, sévères mais justes, bons vivants mais exigeants en affaires, Jean-Yves en a aussi et surtout le talent. Ce petit truc en plus que possèdent les autodidactes, d'autant plus perfectionnistes et charismatiques qu'ils se sont fait tout seul, partis de rien. Formé par les frères Blanc, deux noms fameux et reconnus de la restauration parisienne, Jean-Yves a ouvert et dirigé de
grandes enseignes pendant près de 17 ans, de Pizza Paï à Léon Bruxelles, mais aussi et surtout sa plus grande fierté, l'enseigne « Chez Clément », qui compte plus d'une dizaine de restaurants à Paris. Un savoir-faire qu'il a aujourd'hui décidé d'expatrier à Montréal.
« Les Québécois ont autant d'exigences que nous en matière culinaire »
De Chez Clément, Jean-Yves est donc passé à Chez Froment, un établissement où se conjuguent trois métiers : la boulangerie-pâtisserie, la restauration et la vente de produits d'épicerie fine. « Je voulais
reprendre une affaire, mais en France je ne sentais pas le business. Ici j'ai entre 50 et 60 salariés, dont 5 boulangers, 7 personnes en viennoiseries, 2 pâtissiers, 2 cuisiniers, c'est une grosse boutique, analyse-t-il. Mais on peut se le permettre parce qu'on est dans un pays qui nous laisse de la place, contrairement à la France où tout cela serait impossible, parce que les entrepreneurs sont assommés par les charges sociales. » Cette marge de manoeuvre permet donc à Jean-Yves et son staff de se lâcher et de proposer des produits artisanaux : « Des recettes comme du temps de ma grand-mère : par exemple la baguette. En France actuellement, on raccourcit les baguettes, on les fait plus denses de manière industrielle. Pas chez nous, ici on fait la baguette originale, façonnée à la main. De même que l'on produit la recette originale des croissants au beurre ». Des produits haut de gamme, donc plus chers, mais au goût plus relevé.
Comme ces deux policières venues acheter un plat à emporter ce midi-là, la clientèle se fait de plus en plus nombreuse. Tellement que Jean-Yves n'a plus la place de les accueillir tous. En ce sens, il a déposé un permis de construire pour agrandir la partie restauration, et veut également créer une boutique de produits artisanaux, mais dont il ne peut révéler le concept pour le moment. Pourquoi cette attirance du Québécois vers ces vieilles « recettes de grand-mère artisanales » ? Le patron l'analyse de la manière suivante : « Les Québécois aiment les bonnes choses. Il y a 20 ans, la culture québécoise en matière culinaire n'était pas très développée, mais les choses ont changé. Maintenant, ils ont autant d'exigences que nous. Dans son âme, le Québécois a un côté rebelle franchouillard. Il souhaite se différencier du mode de consommation nord-américain, de la bouffe grossière. Sa façon de consommer a énormément changé, et aujourd'hui il sait faire la différence entre une bonne et une mauvaise boulangerie ». Parole d'un homme qui a presque toujours su prendre le bon wagon.
Thibault Girardet, (Lepetitjournal.com/Montréal) Jeudi 26 mars 2015