Notre chronique poétique s'ouvre pour la première fois aux travaux des élèves du Lycée français de Manille. Partons avec eux, chaque vendredi, à la découverte du mall SM Bicutan et déplaçons avec eux notre regard sur cette réalité que nous croyons connaître. Première contribution : une approche à la fois sensible et critique, tour à tour empathique et ironique.
Note préablable : L'ensemble des textes ici publiés ont été écrits dans le cadre d'ateliers d'écriture menés, in situ, avec les élèves de l'option "Littérature et société", qui ont travaillé, durant un trimestre, à l'exploration et à la redéfinition de la réalité du mall aux Philippines.
LE MALL
J'inspire ce qu'il expire
L'odeur nouvelle, son air artificiel
Pieds sales traînent à sa surface
Il les observe à travers sa glace
Faces fondues
Mots perdus
Gémissements de son escalator
"Bip !" de ses récepteurs
Sa structure industrielle
Avale au pluriel
Une foule qui le consomme
Monotone
*
CHERI
Je te tiens contre ma poitrine
Tu es lourd mon chéri
Je t'aime et jamais je ne te laisserai
Essaye de dormir mon enfant
Paupières lourdes
Ne t'inquiète pas,
Je suis là et je resterai avec toi
Dors.
Ne t'occupe pas des personnes qui courent
Des bruits qui nous entourent
Des lumières qui t'aveuglent
Ne regarde que moi
Et laisse ma voix te bercer
Jusqu'au monde des anges
*
LA FEMME EN ROUGE
Mais où es-tu ?
Je te dis que je sors du supermarché !
Je t'avais dit de rester là? Super !
Oui, je porte un pantalon rouge
Avec mon sac Longchamp de la même couleur?
Je descends de l'escalator, je suis là,
A l'entrée.
J'attends.
Écoute-moi bien !
Je vais au parking : rejoins moi là-bas?
Oui, la porte de derrière !
Quel clown celui-là !
*
UN JOUR
La dame d'âge mûr reprend sa marche,
Un gros sac plastique de ravitaillement dans une main ridée,
Jambes tordues et pas irréguliers, elle traîne.
Tout son corps grimace, courbé sur le côté malgré l'aide de son parapluie.
"Department Store" ; elle entre.
C'est par là, la sortie. La routine.
Dans l'autre main, elle tient au bout d'un ruban deux galettes.
Elle rentre chez elle, rapporte à ses enfants ces morceaux de bonheur.
Elle traverse le magasin.
Ses yeux se jettent en tous lieux.
Se précipite sur elle une abondance de produits.
Menaçant son périple.
S'exhibent sous ses yeux parfums, accessoires et montres.
C'est une de ces montres que les étrangers ont au poignet,
Celles qui brillent lorsqu'une raie de lumière s'y reflète,
Celles qui plaisent et éblouissent les enfants qu'elle aime tant ;
Mais elle n'a pas les moyens.
Peut-être qu'un jour, elle arrivera à leur offrir tout ce qu'ils veulent,
Peut-être qu'un jour, elle leur offrira cette promesse, cet espoir, ce futur.
Le magasin l'abandonne comme un maître abandonne son chien ;
Le bidonville de midi la retrouve,
Et ses enfants.
*
EMOTIONS
L'encre de Prusse absorbe le ciel
Le soleil se dissout
Peu importe mon âge
Peu importe mon visage
Ici, nul ne me connait
Et ne me connaitra
Je suis qui je désire être
Grandit en moi
Une aisance
Une délivrance
Je me sens libre.
Maya MASSELIN (2de ? LFM) (www.lepetitjournal.com/manille) vendredi 27 janvier 2017
Illustration : dessins à l'encre de Maya MASSELIN