Édition internationale

SPORT - Le foot espagnol (encore) dans l'œil du cyclone

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

Cette fin de saison 2011-2012 devait consacrer la domination sans partage du football espagnol sur l'Europe. Le rêve d'une finale de Ligue des Champions Real Madrid - FC Barcelone passé, ce sont désormais des soupçons de corruption qui alimentent les conversations des passionnés de ballon rond et des observateurs. Alors même que plusieurs clubs sont en proie à d'immenses difficultés financières

(Photo lepetitjournal.com)

Ce devait être le printemps du foot espagnol rayonnant sur tout le continent et même au-delà, avec la semaine dernière les quatre demi-finales retour des coupes d'Europe sur le sol espagnol (à Barcelone, Madrid, Bilbao et Valence), trois jours durant. Historique. A quelques semaines du championnat d'Europe des nations qui aura lieu en Pologne et en Ukraine (du 8 juin au 1er juillet), avec la sélection espagnole immensément favorite (championne d'Europe et du monde en titre), nombreux étaient ceux qui prédisaient deux finales 100% espagnoles, espérant notamment un légendaire Real Madrid - FC Barcelone en apothéose de la Ligue des Champions. Le "Clásico du siècle", comme l'avaient appelé par avance la presse espagnole, restera au stade du mirage médiatique. Les deux clubs sont tombés de leur piédestal national (le Real face au Bayern Munich, les Catalans devant les Londoniens de Chelsea), malgré l'avantage des matches retours à domicile, donc. La seule finale européenne intégralement espagnole de ce printemps si pluvieux sera finalement l'affiche Atlético de Madrid - Athletic Bilbao, avec la Ligue Europa en jeu, le 9 mai prochain, à Bucarest. Maigre consolation.

La moitié des clubs évoluant en première division sont en cessation de paiement
Malgré ces déceptions sportives, le foot espagnol fait couler beaucoup d'encre actuellement. Assez loin du rectangle vert. Le 12 mars dernier, à la suite d'une question de la députée Caridad García Álvarez (Izquierda Unida) au parlement, le gouvernement révélait le montant de la dette des clubs professionnels au Trésor public : 752 millions d'euros. Plutôt salée en période de crise et d'austérité sans précédent. Au début de l'exercice sportif en cours, dix clubs de première division se déclaraient officiellement en cessation de paiement : les Andalous du Betis, du Málaga CF et du Granada CF ; les Madrilènes du Rayo Vallecano ; le Sporting de Gijón, le Racing Santander, le Real Zaragoza, Levante UD, la Real Sociedad et le RCD Mallorca. La dette des deux géants, Real Madrid et FC Barcelone, avoisine, quant à elle, les 600 millions d'euros...

Lundi, la polémique a pris une nouvelle dimension lorsque le journaliste Juan Antonio Alcalá (Cadena Cope) a dénoncé, lors de l'émission de radio El partido de las doce, un "arrangement" entres les dirigeants des clubs de l'Espanyol Barcelone et du Sporting de Gijón, qui disputaient samedi dernier la 35e journée de championnat. Alcalá a évoqué le témoignage d'un responsable de la Ligue professionnelle, sans citer de nom. L'Espanyol Barcelone, deuxième club de la capitale catalane, avait encore avant la rencontre un réel espoir mathématique de disputer la Ligue Europa (coupe d'Europe à laquelle accèdent les équipes qui terminent 5e et 6e de la Liga), puisqu'il comptait seulement trois points de retard sur le sixième, à quatre journées de la fin (soit douze points en lice). D'autant qu'avant de recevoir Gijón, l'Espanyol était huitième sur vingt au classement des rencontres à domicile, avec 9 victoires en 17 matches (et 3 nuls, soit 30 points pris sur 51 en jeu) pendant que le Sporting de Gijón occupait la dernière place du classement des rencontres à l'extérieur avec 9 unités (également sur 51), glanées au prix de 2 victoires et 3 nuls loin de ses terres. Contraste saisissant.

La Cadena Cope dénonce un "arrangement" lors de la rencontre Espanyol Barcelone - Sporting de Gijón (0-3)
Pourtant, après une première période équilibrée, au retour des vestiaires, en une demi-heure, le Sporting de Gijón marquait à trois reprises (alors qu'il l'avait fait seulement quinze fois en dix-sept rencontres à l'éxtérieur cette saison). Score final sans appel : 0-3. Une vraie surprise, plus encore lorsque l'on sait qu'au match aller, l'Espanyol l'avait emporté en Asturies (1-2, le 17 décembre 2011) et qu'en championnat, le Sporting ne s'était plus imposé à l'extérieur depuis le 11 décembre 2011 et un succès sur la pelouse des banlieusards madrilènes du Rayo Vallecano (1-3). N'en jetez plus : sportivement, tous les soupçons sont permis. Légitimes même, quand on constate à la lecture du classement que Gijón, sans cette victoire innattendue, se trouverait non pas à quatre, comme actuellement, mais à sept points du dix-huitième (les trois derniers descendent en deuxième division), autant dire quasiment déjà relégué à l'échelon inférieur, à trois rencontres du rideau.
Seulement voilà, plusieurs éléments incitent à la mesure. D'abord le ballon, certes rond, ne tourne pas systématiquement ainsi. Dès lors, il ne faut pas négliger l'énergie du désespoir, qui apporte son lot de miracles chaque fin de saison. Ensuite, le contexte particulier de la semaine précédent la rencontre a pu conduire à une démobilisation légitime dans les rangs barcelonais, le président catalan Ramón Condal Escudé (surnommé "Merkel du ballon rond") ayant dévoilé une dette totale de 148 M? et annoncé la mise sur le marché des transferts de tout l'effectif. Enfin, plusieurs membres des deux clubs et des responsables de la Ligue ont nié en bloc ces accusations, rappelant qu'elles sont le fait d'un journaliste ayant été condamné il y a un an en diffamation, à la suite de suspicions de dopage contre le FC Barcelone.

Les "maletines", une tradition espagnole de fin de saison aux relents de corruption avérée et assumée
Accusation crédible ou pas, le doute est semé, alors que la très sérieuse Cadena Ser évoquait hier des enquêtes de la Ligue -qui a immédiatement démenti- sur d'autres matches arrangés cette saison, indiquant que la Fédération européenne (UEFA) avait décidé d'enquêter sur l'implication de joueurs dans des matches truqués. Lundi, Juan Antonio Alcalá avait parlé de paris truqués. Les précédents belge, turc, chinois et surtout italien sont dans tous les esprits.
En Espagne, après les polémiques -fondées ou non- sur le dopage dans le sport espagnol, l'affaire tombe au pire moment. Il ne reste que trois journées de championnat à disputer et le spectre des "maletines" refait surface, comme chaque année à la même époque.

Tradition historique du foot espagnol, la pratique consiste à proposer des valises d'argent, de la part de certaines équipes désireuses de motiver une autre formation n'ayant rien à gagner mais pouvant aider les payeurs en cas de bon résultat car elles disputent une rencontre face à un rival direct. Pratique non illégale sur le plan juridique mais qui pose un problème évident d'éthique sportive. En 2008, le quotidien El Mundo évoquait pour la première fois le cas d'une formation ayant été payée pour perdre. En l'occurrence les joueurs du CD Tenerife, lors de l'ultime rencontre de deuxième division face au Málaga CF, remportée par les Andalous (2-1) et synonyme pour eux de montée en Première division. El Mundo publiquant alors la conversation téléphonique explicite entre l'un des joueurs canaries, Jesuli, et le président de la Real Sociedad, Iñaki Badiola. Même problématique le 19 juin 2010, lorsque la défaite à domicile de la Real Unión de Irún face à Hércules de Alicante (0-2), propulsait les seconds en Première division et condamnait les Sévillans du Betis à rester un an de plus dans l'antichambre du football professionnel. Une enquête est toujours en cours, mais depuis le Betis est remonté et Hércules redescendu...
Clubs au bord de la faillite, soupçons de corruption, justice qui piétine, échecs sportifs retentissants : le printemps du football espagnol prend des allures d'automne exécrable, qui pourrait annoncer un hiver aussi précoce qu'interminable.

Benjamin IDRAC (lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 2 mai 2012

logo lepetitjournal madrid espagne
Publié le 2 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.