Marc Fitoussi est le réalisateur de "La Ritournelle" ("Luces de París"), une comédie douce-amère sur un couple d´éleveurs bovins en Normandie, miné par la routine et à la recherche d´une deuxième opportunité. Interprété par deux "monstres sacrés" du cinéma français, Isabelle Huppert et Jean-Pierre Darroussin, le film raconte comment Brigitte (Huppert) prend la clef des champs, en quête de nouvelles illusions, vers Paris. A l´occasion de la sortie du film en Espagne, Marc Fitoussi ("Copacabana", "Pauline détective") a évoqué à l´Institut Français de Madrid, lors d´une rencontre chaleureuse, son film et ses goûts cinématographiques.
Lepetitjournal.com : Comment avez-vous eu l´idée de faire ce film ? Et comment avez-vous su représenter si bien la condition féminine ?
Tout d´abord, j'avais l´idée de faire un film d´amour, qui est un genre que je trouve des fois un peu mièvre, et je voulais le faire sans mièvrerie. Parler de l´amour aujourd´hui avec des idées parfois un peu subversives, puisque le film semble dire que l´infidélité peut rapprocher un couple, même si cela n´est pas si schématique que ça. Je voulais aussi faire un portrait de femme de cette génération qui prouverait, à travers cette histoire, une certaine jeunesse et même une adolescence par sa capacité à fuguer, à s´offrir une parenthèse enchantée dans Paris. Ça, c´est vrai que c´est lié à la personnalité d´Isabelle, que j´avais rencontré dans un film que nous avions fait ensemble précédemment, "Copacabana", et où j´ai puisé dans la jeunesse qu´à Isabelle à avoir cette curiosité vers le monde. Elle est capable d´aller en Corée pour tourner un film. Je suis assez admirative de cette gourmandise qu´elle a de la vie. Donc il y a une grande part d´elle aussi dans ce personnage, qui a été créé en pensant à elle. Après, je ne dis pas que toutes les femmes sont comme elle mais, en tout cas, c´est un peu rendre ses lettres de noblesse à cette génération de femmes qui ont élevé des enfants, qui sont à un âge où on pourrait peut-être se sentir perdue et qui peuvent vibrer à nouveau.
En quelque sorte, vous donnez dans le film la recette magique pour tous ces couples de longue durée, victime de la monotonie et de la lassitude.
Tout à fait. Je pense que c´est une histoire qui parle forcément à beaucoup parce que la routine qui est dite d´une façon un peu élégante à travers le titre du film, "La ritournelle", est quelque chose inhérent aux couples. Je ne dis pas que c´est cette recette-là qu´il faut systématiquement appliquer mais le film est fait dans l´idée de présenter un couple sans faire passer l´idée qu´il puisse se séparer. Jamais le spectateur ne se dit que cette histoire va amener à un divorce. Cette histoire, elle mène plus à une réinvention de l´amour au sein d´un couple qui se connaît depuis tant d´années. Ils sont là, une fois que les enfants ont grandi, sont partis, qu´on se retrouve dans une sorte de tête à tête.
Le contraste entre la campagne et la ville est très médité dans le film ?
Oui, c´était dans le point de départ de vouloir parler d´un couple aujourd´hui en France. Je me suis rendu compte pendant un séjour à la campagne, dans la ferme des parents d´un ami, de quelque chose. J´ai vu ses parents qui avaient l´âge de Brigitte et Xavier et ils m'ont paru extrêmement moderne, parfaitement ancrés dans la réalité. Déjà dans le cinéma on a tendance à montrer le monde rural comme un monde très arriéré et puis, quand on veut parler d´un couple moderne aujourd´hui, on pense à des gens qui habitent la ville, qui prennent le métro? J´aimais bien l´idée puisque j´avais quand même en tête que le personnage de Brigitte allait fuguer (on dit aussi prendre la clef des champs ou se mettre au vert). C´est précisément dans la campagne qu´elle étouffe et elle a besoin de la ville pour se ressourcer.
L´histoire parle d´insatisfaction sentimentale mais aussi de la quête de l´amour. Presque tous les personnages du film sont à la recherche d´amour. Est-ce ainsi ?
Oui, parce qu´il y avait cette idée de faire un film d´amour. On parle de cet amour mais il y a aussi l´amour filial qui s´exprime dans le film. Je trouve qu´il y a quelque chose de tendre, même d´amoureux, entre ce couple et ce jeune ouvrier agricole qui est si attentif à ce qu´ils vivent. En fait, quand je disais que je voulais faire un film d´amour sans mièvrerie, c´était aussi avoir des scènes tendres, sensibles, douces, ce qui finalement est devenu un peu rare au cinéma où on a quelque chose d´assez violent, qui est à l´image du monde qu´on vit. J´avais envie de faire du bien en proposant cette carte du tendre à travers ce film.
Comment s´est déroulé le travail avec Isabelle Huppert et Jean-Pierre Darroussin, ces deux "montres sacrés" de l´interprétation ?
Pas "monstres" du tout (rire). Très disponibles. Ils se sont très bien entendus. C´était la première fois qu´ils travaillaient ensemble. Isabelle, j´avais déjà travaillé avec elle donc, je la savais extrêmement agréable dans le travail, très investie, très précise. On aimerait que toutes les actrices soient Isabelle Huppert. Ce qui me plaisait dans ce duo c´est que Jean-Pierre est extrêmement crédible en tant qu´agriculteur. Je le trouvais très crédible et ça me rassurait. Isabelle, on peut penser au début qu´elle ne l´est pas mais son personnage fait, de toute façon, qu´elle ne se plaît pas complètement là où elle est. Donc, ça compensait et ça permettait justement le fait qu´ils soient mal assortis, de justifier le fait qu´ils soient, à un moment de leur vie, mal assortis et elle, elle ne se trouve pas à sa place.
Votre film précédent "Pauline détective" était une comédie. Dans quel genre, vous sentez-vous plus à l´aise ?
"Pauline détective" c´était vraiment une parenthèse. Tous me autres films sont dans la veine de "La ritournelle". On est assez proches de "Copacabana" et de mon premier film, "La vie d´artiste" qui sont des comédies douces-amères ou comédies dramatiques?C´est toujours difficile de définir le genre. Ce sont des films qui essaient d´être fabriqués avec réalisme et avec humour. D´ailleurs, moi, ça ne me vexe pas quand certains moments qui devraient être drôles, n´amusent pas certains spectateurs. Je trouve que c´est au spectateur de se positionner dans le film. Dans ce film, il y a un exemple très clair vers la fin, quand on voit cette image de ce couple qui flotte dans l´eau. Pour moi, c´est une image positive, d´un couple uni qui est en équilibre. J´avoue qu´il y a des spectateurs qui m´ont dit qu´ils semblaient deux cadavres ! Bon, soit ! Je suis un peu surpris mais pas non plus déçu. Je trouve que c´est bien que les spectateurs se projettent dans un film et qu´ils voient ce qu´ils veulent y voir. Je me dis que les gens qui voient la mort dans cette scène, c´est des gens dont leur vie amoureuse ne va pas du tout. Je respecte, en tous cas, ce regard-là. D´ailleurs, pour la fin du film, je ne dis pas non plus que c´est une fin optimiste à 100%. Je ne dis pas qu´il n'y aura pas d´autres crises, d´autres aventures ailleurs? Mais, il y a quand même un couple qui est bien ensemble.
Connaissez-vous le cinéma espagnol ?
Je le connais très mal. Alors, j´adore Buñuel mais c´est comme dire que j´adore en France Truffaut ou Godard ! Aujourd´hui, en France, le cinéma espagnol est surtout représenté par Almodovar qui d´ailleurs couvre un peu les autres. On a l´impression que pour être distribué en France, il faut faire partie de la famille Almodovar. D´autres réalisateurs comme, par exemple, l´excellent Jaime Rosales ("La soledad") est très mal distribué en France. J´aime Almodovar mais pas tout. Je trouve qu´il a quelque chose d´un peu trop excentrique.
Parlez-nous de votre nouveau film.
Il est en montage. Il y a une adolescente de 13 ans dans le rôle principal. Elle n'a presque jamais joué, sauf dans "Le Passé" d´Asghar Farhadi. Quand on a Isabelle Huppert, on est sûr de son coup mais là, c´est plus risqué. Mais je suis très content de mon choix et je crois qu´elle va réellement marquer les spectateurs. Il y a forcément là une fierté car c´est très beau de faire du cinéma et de faire éclore un talent. C´est très gratifiant !
Membre-électeur de l´Académie Francophone du Cinema (Association des trophées francophones du cinema) qui décerne chaque année dix prix dédiés au cinema des pays de la francophonie. Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com
