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ENQUETE – Les Espagnols sont-ils racistes ?

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 19 novembre 2013, mis à jour le 20 novembre 2013

L'Europe connaît récemment une nouvelle poussée de comportements racistes, renouant ainsi avec ses vieux démons. A commencer par la France, où la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a récemment été comparée à un singe sur la page Facebook d'une candidate FN, ou encore traitée de guenon par un enfant, lors d'une manifestation contre le mariage homosexuel. Il ne s'agit pas là d'un cas isolé en Europe. La ministre de l'intégration Cécile Kyenge, d'origine congolaise, est elle aussi fréquemment victime de ce type d'insultes. Le cas espagnol a été éclipsé par ces derniers évènements, mais le pays recense pourtant toujours un nombre important d'actes racistes. Ceux-ci sont estimés à plus de 4.000 au cours de l'année écoulée.

Selon l'INE, il y avait en 2012 plus de 5,7 millions d'étrangers recensés en Espagne, soit près de 12,1% de la population. Une immigration principalement en provenance d'Amérique du Sud (36% des étrangers recensés), d'Europe occidentale (21% dont la France 2,2%, derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie), d'Europe de l'Est (18%) et d'Afrique du Nord (15%). Comment réagissent les Espagnols face à ces populations étrangères ?

1.500 sites tenant des propos xénophobes
En janvier dernier, l'Espagne avait été rappelée à l'ordre par l'ONU et sommée de remédier à certains problèmes. D'après le rapporteur spécial de l'ONU sur le racisme, Mutuma Ruteree, l'Espagne ferait en effet partie des pays européens conduisant une politique très restrictive pour les immigrés, en particulier sur le sujet de l'accès à la santé des sans-papiers. Elle aurait aussi un sérieux travail à faire en ce qui concerne les contrôle au faciès, trop souvent biaisés en fonction de l'origine de la personne contrôlée.
D'autre part, le quotidien El Mundo rapporte que 4000 personnes auraient été victimes d'agressions à caractère raciste en 2012. Des chiffres qui pourraient être encore bien éloignés de la réalité, puisque la majorité des attaques de ce type ne sont pas rapportées à la police. Plus de 1.500 sites espagnols tenant des propos xénophobes ont par ailleurs été recensés. Cependant, ces problèmes ne font pas de l'Espagne un pays plus raciste qu'ailleurs en Europe. Ainsi, une enquête réalisée en 2013 par SOS Racisme montre que 60% des Espagnols estiment qu'il y a "trop d'immigrés" dans le pays. En France, ce pourcentage atteint les 66%, 71% en Italie ou même 83% en Belgique !

"C'est facile de dire ça"
Pour Paula, étudiante à Madrid, "oui, beaucoup d'Espagnols sont racistes. Mais la plupart du temps, ils n'insultent pas les immigrés, ils se contentent de les ignorer". C'est notamment le cas des Roms, sujet polémique en Europe ces dernières années. En Espagne, bien qu'ils représentent une communauté importante, de plus de 800.000 personnes, le sujet n'intéresse pas grand monde. Aucun organe précis n'est en charge de l'intégration de ces populations au sein des communautés autonomes. Souvent en situation de misère et d'exclusion, les gitans souffriraient cependant moins d'agressions racistes et seraient moins en ligne de mire que dans d'autres pays européens, selon un article du Huffington Post. Dans le quartier populaire de Puerta del Angel, à Madrid, où certaines colonies Roms viennent régulièrement passer la nuit au grand air, les habitants tiennent un autre discours : "C'est facile de dire ça quand on est pas directement confronté au problème", juge Angel, 51 ans. "Ce n'est pas une question d'origine, mais de comportement", estime Maribel, 59 ans, voisine elle aussi.

Des rivaux potentiels dans la recherche d'un emploi
Dans le contexte européen actuel, la recrudescence des actes racistes touche tous les pays. Selon Pablo, jeune ingénieur de 28 ans, "pour ce qui est du racisme, l'Espagne n'est pas en reste". Et d'ajouter : "mais je ne pense pas que la situation soit pire qu'ailleurs. J'en parlais d'ailleurs récemment avec une amie noire. Elle m'a dit souffrir plus souvent de remarques sexistes que d'insultes racistes". Quoi qu'il en soit l'image de l'Espagne reste moins écornée que celle de la France, dont le traitement de la ministre de la Justice a vraiment marqué les esprits à l'international.

La crise économique actuelle est souvent considérée comme un des facteurs aggravant du racisme. L'Espagne connaît depuis 2010 un phénomène migratoire très important : celui de la "fuite des cerveaux", de nombreux jeunes diplômés quittant le pays car ils n'y trouvent pas d'emploi. De l'autre côté l'immigration continue à progresser dans toute l'Europe.

En 2011, si SOS RACISME notait un recul de 7% des sondés exprimant l'opinion que "les immigrés prennent le travail des locaux", elle constatait également un recul de 12% des personnes pensant que "les immigrés contribuent de manière positive au développement de l'économie espagnole". "C'est un comble, on est pas capable de donner du travail à nos jeunes, mais on continue à faire rentrer des nouveaux venus dans le pays", s'indigne ainsi Carmen, 40 ans. Et elle n'est pas la seule de cet avis. Beaucoup jugent que les migrants sont des rivaux potentiels dans la recherche d'un emploi.

Crise, racisme et populisme
Ce type d'opinions fait le bonheur de l'extrême droite qui joue sur ce thème. En Espagne, les partis d'extrêmes droites ne jouissent pourtant pas de la même audience qu'en France, par exemple, pour des raisons historiques et de leurs liens souvent affichés avec le franquisme. Pour Pepe, 65 ans, "le PP englobe dans son éventail de tendances, les opinions les plus radicales, ce qui explique que l'Espagne ne devrait pas connaître de scores importants de ce type de parti aux Européennes de mai". Selon les derniers chiffres publiés par le Centre de recherches sociologiques, seuls 2,1% des Espagnols se disent partisans de l'extrême droite. Néanmoins, ces groupes sont de plus en plus visibles. Le jour de la "fête de la Hispanidad" par exemple, certains groupes s'étaient notamment illustrés en se mobilisant violemment contre l'indépendance de la Catalogne.

Alors, si les comportements racistes font partie des problèmes de l'Espagne, comme ailleurs en Europe, cela ne devrait pas peser sur les prochaines élections européennes. En revanche, la crise et l'austérité créent un climat hostile aux immigrés, et devraient peser sur les débats lors de la campagne pour ces Européennes. Comme en France, un effort de pédagogie contre le racisme est nécessaire, suivant ainsi les recommandations de l'ONU.  

Léa SURUGUE (www.lepetitjournal.com ? Espagne) ? Mercredi 20 Novembre 2013
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Publié le 19 novembre 2013, mis à jour le 20 novembre 2013