

L'une est d'origine basque, l'autre d'origine castillane. Tous les deux, ils partagent des passions pour la photographie, la peinture et la littérature. Il n'était donc pas si étonnant qu'Andrea Santolaya et Carlos Garcia-Alix collaborent un jour sur un projet commun. En l'occurrence, une exposition photographique dans l'intimité des joueurs du mythique club de rugby du Biarritz Olympique Pays Basque, en ce moment à l'Institut Français de Madrid. Des photos en noir et blanc montrant la vie du groupe, soudé dans la victoire comme dans la défaite, et des "gueules" marquées par ce jeu rugueux, rendu poétique par l'objectif de Santaloya et la plume de Garcia-Alix. Un nouveau pari réussi pour la jeune photographe, qui continue son travail d'exploration des groupes et des corps, après les divas du ballet de Saint-Pétersbourg, les boxeurs de New-York et les indiens du Venezuela.
Lepetitjournal.com : Carlos Garcia-Alix, qu'est-ce qui vous a plu dans le travail d'Andrea Santolaya ?
Carlos Garcia-Alix : (photo lepetitjournal.com) J'aime écrire sur ce qui me touche, cela m'aide à ordonner mes idées, à avoir une pensée claire. C'est d'ailleurs la raison principale qui m'a poussé à collaborer avec Andrea. Par ailleurs, je suis peintre et j'ai une certaine familiarité avec les images. Je crois que les images nécessitent une interprétation, elles captent l'instant mais exigent du temps et de la réflexion pour pouvoir bien les comprendre. Et j'ai compris les intentions de l'artistes en voyant ces images-là. Les photos d'Andrea parlent du rugby et des joueurs mais dans sa manière de traiter ce sujet, notamment grâce à la lumière, aux objectifs utilisés, aux poses, elles crée son propre univers. C'est cela qui m'a le plus intéressé.
Vous vous connaissiez avant, qui a contacté qui ?
Carlos Garcia-Alix : C'est elle qui m'a contacté en premier ! (rires). Nous avions déjà travaillé ensemble par le passé nous avions confiance l'un en l'autre. J'admire son travail depuis longtemps.
Andrea Santolaya : Carlos est un grand artiste et un peintre fabuleux. Nous avions déjà travaillé ensemble sur un projet de documentaire. Il m'a appris à valoriser mon travail, à raconter une histoire avec mon propre univers.
Andrea Santolaya, est-il facile de donner du sens à ce que vous voyez à travers vos photos ?
Andrea Santolaya : J'ai essayé de donner du sens à ce que je vivais de l'intérieur, en contact direct avec les joueurs. Mais il est très difficile de traduire ce que l'on ressent en image. C'est pourquoi j'ai procédé en trois étapes, comme si la photographie était d'abord un mot, puis une phrase et enfin un texte. De façon à pouvoir raconter une histoire à travers mes clichés. Comme si ces images se répondaient entre elles. A travers mes photos, j'ai aussi voulu montrer ce sentiment d'appartenance des hommes à une communauté, et la profonde intimité qui en découlait.
Comment faire en sorte que les images forment un ensemble cohérent ?
Andrea Santolaya : C'est sans doute la partie la plus difficile et la plus fondamentale pour un projet de ce type : faire en sorte que la partie créative et la partie documentaire de mon travail se complètent. Pour mener à bien cette tâche, je dois être en confiance avec l'espace qui m'accueille, sentir que je suis la bienvenue au sein du groupe. Sans cela, je n'ai pas la tranquillité nécessaire pour montrer ce que je veux montrer. Je dois également jouer sur l'effet de surprise, me faire toute petite pour capter la fugacité, l'instantanéité du moment. C'est pourquoi j'ai essayé de me rapprocher, d'échanger avec les acteurs de façon à pouvoir saisir toute la complexité de leur personnalité dans leurs portraits. Par exemple, je me suis renseigné sur les familles des joueurs, et comment elles influent sur leur pratique sportive.
Les spectateurs sont absents du cadre, est-ce un choix délibéré ?
Andrea Santolaya : Ce qui m'intéressait davantage, c'était la vie du groupe et comment je pouvais la percevoir moi-même. J'ai voulu montrer l'intimité du vestiaire, la solitude de certains avant les matchs. Ce ne sont pas des photographies de sport, avec des archétypes prédéfinis. J'ai plutôt essayé de capter des éléments, pendant les entrainements par exemple, qui pouvaient donner du sens à un ensemble et dénotaient un certain esprit d'équipe. Tout en évitant les stéréotypes et les écueils liés aux photographies purement sportives.
Existe-t-il des points communs entre un joueur de rugby, une ballerine russe et un boxeur new-yorkais ?
Andrea Santolaya : Ils font tous partie d'une élite, dans laquelle il existe des rapports humains puissants avec des valeurs et des luttes quotidiennes exacerbées. Ils sont en perpétuels combats, contre un autre ou contre eux-mêmes. Il y aussi une importante scénographie dans ces types de pratiques, un cérémonial fort. Accentué par la pression psychologique et physiologique qu'ils ressentent. Ce sont toutes des communautés qui vivent par et pour leur travail, avec des modes de vie et des représentations esthétiques très spéciales.
Carlos Garcia-Alix, qu'est-ce qui vous a inspiré dans ce sport ?
Carlos Garcia-Alix : Premièrement, je n'y connais rien au rugby. Je suis plutôt fan de football. Mais les deux sports partagent la même expérience esthétique. Je pense notamment à l'entrée des joueurs sur le terrain avec la couleur verte de la pelouse qui ressort, l'ambiance? Il y a un portrait qui m'a particulièrement inspiré, c'est celui de Teddy Thomas. Il m'a fait penser à un portrait réalisé par Diego Velázquez de l'esclave Juan de Pareja. Cela m'a fait réfléchir également sur l'importance de la photographie dans la peinture. Je pense que tous les peintres devraient travailler la photo au cours de leur formation, pour bien intégrer la notion de cadre et de lumière dans leurs compositions.
"Nation Rugby", de Andrea Santolaya, avec des textes de Carlos Garcia-Alix. Du 8 avril au 13 mai 2016. Galerie du 10 - C/ Marqués de la Ensenada, 10. Exposition ouverte au public du lundi au vendredi de 10h à 20h et le samedi de 11h à 13h30. Entrée libre.
Simon MARACHIAN (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 18 avril 2016
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