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Tourisme: entre poison et bénédiction

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Écrit par Custódia Domingues
Publié le 17 septembre 2018, mis à jour le 17 septembre 2018

Le nombre de touristes qui ont séjourné au Portugal ou y sont restés au moins une journée en 2017 a atteint les 28 millions de personnes. Ils étaient 18,2 millions en 2016. Pour cette année 2018 et jusqu´en août, les recettes du secteur touristique ont représenté pour l´économie portugaise 7 milliards d´euros, selon l´INE(1), soit une augmentation de 14% par rapport à l´année antérieure à la même époque. Le secteur du tourisme représente aujourd´hui environ 7% de l´économie nationale.
 

Le Portugal est à la mode

Le Portugal est à la mode un peu partout dans les pays européens-  Britanniques, Espagnols, Français, Hollandais, etc. - et même au-delà des frontières européennes. Les Asiatiques - Chinois, Coréens du sud, Japonais et bien d´autres - sont devenus des “fans” du Portugal.
 
Le pays n´est plus perçu comme exportant uniquement des femmes de ménage et de la main d´oeuvre bon marché et ce même s´il a fallu quatre générations pour y parvenir. Les préjugés ont la vie dure.
En France, en Allemagne, au Royaume-Uni et ailleurs, on découvre un pays moderne qui possède une histoire et un patrimoine. On s´aperçoit qu´il existe une population cultivée et un savoir vivre propre aux Portugais. Le pays bénéficie d´un climat ensoleillé une grande partie de l´année même s´il est sur la côte atlantique.
Les printemps arabe et le statut RNH aidant, un certain nombre d´Européens et de personnes d´autres nationalités ont choisi de visiter ou de s'installer au Portugal bénéficiant ainsi d´un certain nombre d´avantages y compris fiscaux, dans le cas des résidents non habituels.
 

Les conséquences d´un tourisme non régulé 

Pour la moyenne des Portugais possédant un pouvoir d´achat limité, le coût de la vie est devenu extrêmement élevé depuis l´arrivée massive de touristes. La moyenne d´un salaire portugais se situe autour des 900 à 1000 euros.
Le salaire minimum est actuellement de 580 euros brut.

En 2017, selon l´OCDE, près de 30% de la population percevait le salaire minimum. L´arrivée de touristes et de RNH qui font croître le secteur du tourisme et une partie de l´économie - les chiffres en sont la preuve - portent, néanmoins, un coup dur au quotidien de la population locale, en particulier dans les grandes villes où il est devenu particulièrement difficile de se loger. Le prix des locations a explosé.
L´immobilier flambe dans le pays. Au troisième trimestre 2017 et sur un an, les prix ont grimpé de 7%. Selon l´association des agents immobiliers portugais, sur près de 152.000 transactions effectuées dans le pays en 2017 (+19,6% par rapport à 2016), 23% sont faites par des acheteurs étrangers et parmi celles-ci les Français (29% contre 25,5% en 2016) arrivent très largement en 1ère place. En 2018, ils seraient encore très largement au 1er rang, en particulier à Lisbonne et à Porto.

Dans le secteur, à voix basse, on parle bien d´une bulle immobilière. Une sorte de bombe à retardement. Le FMI a récemment souligné combien les prix de l´immobilier au Portugal avaient explosé, en particulier dans les grandes villes.
Le statut RNH permet aux résidents de bénéficier d´une exonération d´impôt sur les revenus provenant de l´étranger pendant une durée de 10 ans. La Suède vient de manifester tout recemment un certain mécontentement auprès de l´Etat portugais en lien avec ce statut que le Portugal n´est pas le seul à proposer en Europe; et la Finlande a quant à elle demandé la révision de l´accord fiscal existant entre les deux pays. Face à cette situation, le gouvernement portugais envisagerait de taxer de 5 ou 10% les retraités étrangers résidents au Portugal mais rien n´est encore officiel.
 

Quel avenir ?

Le Portugal ne sera plus jamais le même après cette arrivée massive de touristes.
La revue allemande Der Spiegel publiait en août un reportage intitulé “les paradis perdus: comment les touristes sont en train de détruire les lieux qu´ils aiment”. Les cas de Barcelone, Venise et Porto y sont notamment cités. Il est devenue impossible de se rendre dans la célèbre librairie Lello à Porto qui a très certainement inspiré J.K. Rowling lors de la rédaction de la saga consacrée à Harry Potter(2) pour fureter et acheter un ouvrage. Les touristes y font des heures de queue pour visiter l´endroit en payant un droit d´entrée de 5 euros, ce qui, il est vrai, a permis aux propriétaires de ce véritable monument de Porto d´empocher 7 millions d´euros en 2017 avec 1, 2 millions de visiteurs. La revue s´interroge: “les habitants de Porto doivent-ils aussi faire la queue et payer 5 euros ?”. Les compagnies aériennes low-cost contribuent à un tourisme de masse qui fait en sorte que les habitants de ces villes sont des étrangers chez eux rapporte la revue. L´infrastructure de ces villes est en train de céder face à la pression. La revue évoque le fait que tous les endroits se ressemblent de plus en plus et que la perte d´identité des villes est d´actualité. “Les touristes s'assoient dans des restaurants traditionnels d'où sont absents les habitants et ils s'observent entre touristes”.
 
Au Portugal, aucune régulation dans le cadre du développement touristique. La réalité de ce qui se passe dans d´autres pays ne semble pas émouvoir le pouvoir politique. L´absence de stratégie liée à l´urbanisme et à l´immobilier et une vision de court terme mettent en danger l´équilibre fragile du pays et de la population, en tous les cas de la plus précaire.
 
L´argent est devenu le maître mot de sociétés qui sont en perte de valeurs morales. Le terme à l´origine vient du grec “argos” et signifie “blanc”. Il est à souhaiter que le Portugal et sa capitale Lisbonne connue comme la  ville blanche n´y perde pas son âme …
Il est difficile de reprocher aux touristes que nous sommes tous, à un moment ou à un autre, de chercher le divertissement et le soleil sans oublier que le civisme et la courtoisie sont à privilégier.

Les pouvoirs publics portugais ont, cependant, une responsabilité certaine dans le déroulement de la situation actuelle et dans le devenir du tourisme et du développement du pays, sans oublier les instances bruxelloises qui ont certainement un mot à dire.
Entre poison et bénédiction, il y a peut-être un juste milieu à trouver mais le temps presse.

 
(1): Instituto Nacional de Estatística ( INE)  
(2): J.K. Rowling a vécu à Porto dans les années 90.

Publié le 17 septembre 2018, mis à jour le 17 septembre 2018

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