La journée européenne des langues qui est célèbrée le 26 septembre, sera marquée par un événement festif au Goethe-Institut de Lisbonne organisé par EUNIC Portugal en collaboration avec la Représentation de la Commission européenne. Cette dernière a également commémoré cette journée à Sintra le 23 septembre sous le thème "Línguas: a tua ponte para o futuro". A cette occasion Lepetitjournal a cherché à faire l´état des lieux concernant la langue française au Portugal, lors d´une interview accordée par Pascal Sanchez, Attaché de coopération éducative auprès de l´Institut français et de l´Ambassade de France au Portugal.


Lepetitjournal : Pouvez-vous nous dire quel est le panorama de l'enseignement du français au Portugal ?
Pascal Sanchez : Si l’on considère cette question sous l’angle de l’apprentissage d’une langue étrangère à l’école, la situation est très contrastée. Depuis de nombreuses années déjà, les élèves apprennent l’anglais de manière obligatoire durant tout le parcours scolaire et universitaire, des classes primaires jusqu’à l’université donc. Les élèves apprennent le français durant les trois dernières années du 3e cycle de « l’enseignement de base » qui correspond aux niveaux 5e, 4e et 3e du collège en France. Durant ces trois années, l’apprentissage d’une seconde langue vivante (LV2) est obligatoire : sur un total d’environ 620 000 élèves scolarisés dans ce cycle, un peu moins de 235 000 élèves choisissent cette langue comme LV2 plutôt que l’espagnol qui arrive en deuxième position (environ 100 000 élèves) ou encore l’allemand. Mais en seconde, une majorité d’élèves abandonne la LV2 car elle devient optionnelle et ceux qui choisissent de la garder se tournent plutôt vers l’espagnol pour repartir avec un niveau débutant et espérer obtenir ainsi une meilleure note au bac. Dans ces conditions, il n’y a plus qu’environ 10 000 élèves qui poursuivent l’enseignement du français au lycée, la chute est donc brutale !
A cette difficulté s’ajoute la question du vieillissement des professeurs de français dont 70 % ont aujourd’hui plus de 50 ans. Il y a un risque que ces enseignants ne puissent pas être remplacés lorsqu’ils partiront à la retraite. Actuellement le départ à la retraite des enseignants de français n’est pas compensé par le nombre d’étudiants en sortie de master d’enseignement.
Les recommandations du Conseil de l’Europe sur l’importance de l’éducation plurilingue et interculturelle pour une culture de la démocratie sont pourtant très claires et nous savons que la maîtrise d’une seule langue étrangère, fusse à un très bon niveau comme c’est le cas au Portugal avec l’anglais, ne suffit pas. Nous savons également que les compétences plurilingues et interculturelles contribuent à la réussite scolaire, à l'intégration sociétale et à la compréhension, à l'évaluation et à la formulation des arguments et des opinions, éléments qui sont essentiels à la démocratie.
Qu'est-ce qui motive ou non les jeunes Portugais à apprendre le français, selon vous ?
C’est une très bonne question à laquelle je peine à répondre. Elle arrive un peu tôt, nous avons justement commandé un sondage auprès des jeunes portugais âgés de 16 à 25 ans dont les résultats devraient nous parvenir fin octobre. Il me semble que la majorité d’entre eux sont convaincus que l’anglais est suffisant, idée largement partagée par ailleurs dans la majorité des pays européens. Ce n’est que plus tard, en sortie d’études universitaires, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, que la question se pose de manière plus aiguë. Les résultats du sondage devraient également venir confirmer ou infirmer une vision un peu dépassée de la langue française qui semble présente chez les jeunes : la langue française, c’est en quelque sorte la langue « étrangère » des grands parents. De gros efforts doivent être faits sans nul doute pour renouveler l’image de la langue et de la culture françaises au Portugal auprès des jeunes et nous y travaillons activement au sein du service culturel de l’Ambassade de France en lien avec l’ensemble de nos partenaires.
Comment définissez-vous les avantages d'apprendre le français pour un jeune Portugais ?
Au-delà des avantages cognitifs évoqués plus haut et qui sont loin d’être négligeables, développement de la créativité, plus grande capacité de raisonnement, de mémorisation, adaptabilité sociale, confiance et estime de soi, pour ne citer que les plus importants, être capable de s’exprimer en français ouvre des perspectives plus importantes en termes de mobilité étudiante et professionnelle avec un espace très large puisqu’il englobe toute la sphère francophone. Un point très important également et sans doute moins connu, la connaissance de la langue française offre des perspectives de travail ici, au Portugal, notamment auprès des 750 filiales d’entreprises françaises qui y sont présentes, dans des domaines aussi variés que l'industrie automobile et aéronautique, la grande distribution et le secteur des services ou encore le secteur bancaire et celui des assurances.
Quelles actions mène l'ambassade pour promouvoir la langue française au Portugal ?
Sous l’autorité de l’Ambassadrice de France au Portugal, Mme Farnaud-Defromont, nous travaillons au sein du service culturel – Institut français du Portugal avec une conviction : la question de la langue doit traverser l’ensemble de nos projets, l’ensemble de nos actions. Ce n’est pas un sujet qui doit être traité de manière autonome, c’est un sujet transversal qui doit être au centre de notre stratégie et de notre programmation. C’est la raison pour laquelle cette dimension linguistique imprègne les grands rendez-vous de la saison culturelle, je pense à la Festa do cinema francês par exemple qui va débuter le 1er octobre prochain, je pense à la Festa da Francofonia en mars et je pense aussi bien sûr à ce temps fort que le groupe EUNIC Portugal organise cette semaine en lien avec la Représentation de la Commission de l’Union européenne au Portugal autour du Dia Europeu das línguas. Il s’agit, à travers ces grands rendez-vous, de mobiliser les jeunes et les moins jeunes sur l’importance du plurilinguisme.
Au-delà, nous appuyons les associations de professeurs de français dans leurs actions en direction du public scolaire et universitaire avec l’organisation de concours, de rencontres avec des auteurs francophones tout au long de l’année. Nous allons lancer au cours de ce dernier trimestre 2025 une belle opération sur le thème Langue française, langue d’employabilité avec deux rendez-vous importants début novembre, à Porto et à Lisbonne. Il s’agit de montrer en priorité les besoins en locuteurs francophones qui existent au Portugal, faire dialoguer le monde de l’entreprise avec le monde de l’enseignement scolaire et universitaire pour créer cette prise de conscience que la langue française c’est, au sens plein du terme, un Rendez-vous ao Futuro!
Quelles sont les actions qui existent ou à mettre en place pour renforcer la coopération linguistique entre la France et le Portugal ?
Sur le plan institutionnel, nous travaillons aujourd’hui dans le cadre d’un accord de coopération éducative et linguistique bilatéral qui a été signé en 2017 et qui définit différents champs d’action. On peut citer le programme des sections européennes de langue française au Portugal et celui des sections européennes de langue portugaise en France, programme qui permet de consolider l’apprentissage de la langue en proposant une ou deux disciplines non linguistiques (DNL) dans la langue du partenaire. Le programme bilatéral d’échange d’assistants de langue vivante est un autre exemple de la vitalité des programmes de mobilité, ou bien encore le programme des « Séjours professionnels » qui s’adresse aux enseignants de langue et de DNL des sections européennes. Nous développons également les échanges entre les établissements scolaires français et portugais en s’appuyant, notamment, sur le programme européen Erasmus+ pour les financements des mobilités. Cela concerne les élèves bien sûr mais également les enseignants et les cadres de l’éducation qui séjournent dans les pays respectifs pour des échanges d’expertises et de bonnes pratiques.
Nous souhaitons aujourd’hui investir plus fortement le secteur de l’enseignement technique et professionnel et nous allons développer un certain nombre d’actions en lien avec le secteur professionnel pour développer les mobilités de jeunes dans le cadre de l’apprentissage. Pour aller plus loin, de nouveaux outils sont à notre disposition depuis la visite d’État du Président de la République française au Portugal les 27 et 28 février derniers.
Et quelles actions mènent la France pour maintenir un enseignement de la langue française vivant et attractif face à l'espagnol, par exemple, sans parler de l'anglais ?
L’anglais bénéficie au Portugal, comme dans d’autres pays européens, d’un statut privilégié puisque son enseignement est en quelque sorte obligatoire au même titre qu’une discipline comme les mathématiques ou l’histoire. La France, et ce depuis très longtemps maintenant, est un des rares pays européens à laisser le libre choix aux élèves et à garantir l’apprentissage d’au moins deux langues étrangères durant tout le parcours secondaire (collège et lycée). Au Portugal, la question porte donc sur cette seconde langue vivante que les élèves doivent choisir au cours des trois dernières années de l’équivalent collège. Il est important pour nous de soutenir les professeurs de français et de leur proposer des formations innovantes susceptibles de rendre plus attractif le cours de français, de créer également un environnement francophone qui renouvelle auprès des jeunes l’image de la France et de la francophonie. Et envoyer un message aux familles : les entreprises françaises représentent le premier employeur étranger au Portugal !
Comment voyez-vous l'avenir de la langue française au Portugal ?
Comme vous le savez, on estime à près de 3 millions les personnes d’origine portugaise vivant en France, descendants de cette immigration, économique d’abord, dès la Première Guerre mondiale, puis également politique lorsqu’il s’agissait de fuir la dictature et ses contraintes avec un pic dans les années 60 et 70. Cette histoire très forte qui s’est prolongée au-delà du 25 avril 1974, avec ses aspects positifs mais aussi négatifs pour celles et ceux qui décidaient de tout quitter, a permis de tisser des liens très solides qui résistent au temps car ils sont une réalité bien tangible pour de nombreuses familles franco-portugaises. La langue française bénéficie donc d’un terrain très favorable au Portugal car elle est aujourd’hui beaucoup plus portée par les citoyens des deux pays que par les politiques publiques. Je ne sais pas s’il faut s’en réjouir mais c’est une réalité. Si l’on rajoute à cela le nombre de Français qui décident de venir vivre au Portugal, en hausse constante, la présence des entreprises françaises et le tourisme francophone qui ne cesse de croître, nous avons des raisons d’être optimistes ! Et puis, il faut saluer le succès incroyable de l’artiste française Zaho de Sagazan au festival de Paredes de Coura qui a réuni en août dernier des milliers de spectateurs et ça, c’est un signe !
Par ailleurs, un certain nombre de personnes se plaignent d'un enseignement du portugais peu développé dans le système français. Que pouvez-vous en dire ?
C’est un vieux serpent de mer, comme toujours la réalité est plus nuancée, le ministère de l’Éducation en France a lancé au cours des dernières années de nombreuses initiatives pour valoriser l’enseignement des langues étrangères au sein des parcours scolaires parmi lesquelles figurent bien entendu le portugais. A ce sujet, je dois vous dire qu’est paru récemment un arrêté ajoutant la langue portugaise comme langue d’enseignement de la spécialité « Langues, littératures et cultures étrangères et régionales » au baccalauréat. Le portugais rejoint ainsi les quatre autres langues disponibles : allemand, anglais, espagnol et italien. Si durant de nombreuses années, la langue portugaise a souffert en France d’une image peu valorisée, je vous assure que ce n’est plus le cas aujourd’hui en raison de l’attractivité qu’exerce en France ce pays. Il suffit de voir le nombre de rotations aériennes entre les grandes villes françaises et portugaises pour s’en convaincre.
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