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L´Architecture manuéline

Tour de Belem LisbonneTour de Belem Lisbonne
©M.J. Sobral
Écrit par André Laurins
Publié le 18 janvier 2021, mis à jour le 18 janvier 2021

 
Apparu à l'aube du XVIº siècle, véritable météore de l'art occidental européen, qui par ce fait n'a laissé que quelques traces ailleurs qu'au Portugal, l´art manuélin reste la forme d'expression artistique la plus marquante de la période des Découvertes portugaises, qui vivra un léger renouveau au cours du XIXº siècle lusitanien.

Ainsi, cet art qui  comprend comme forme d'expression majeure l'architecture, mais aussi la sculpture et le mobilier, demeurera ailleurs que dans son lieu d'origine encore relativement méconnu. Fondé sur une base romano-gothique ou gothique finissant, l'art manuélin ne s'apparente cependant à aucun autre style reconnu, d'où sa faculté à s'improviser totalement.

Son exotisme baroque déroute l'œil qui ne connaît pas l'épopée vécue par les Portugais à un moment de leur histoire et qui sera un des faits majeurs du début de la Renaissance européenne. Pour celui qui le découvre, il reste davantage un motif de curiosité bien plus que d'admiration.

 

L´origine de l´art manuélin

Jeronimos, Lisbonne
©M.J. Sobral

Cet art à la fois architectural, rattaché à la sculpture et au mobilier de son époque prendra le nom du monarque Dom Manuel I (1469-1521), le promoteur d'œuvres des plus sublimes, tels le monastère des Jerónimos (consacré à l'ordre de Saint Gérôme) et la tour de Belém à Lisbonne, ou encore la fameuse fenêtre située dans le couvent du Christ, à Tomar.

L'art manuélin est l'expression de cette aventure qui rendit le Portugal l'une des deux plus grandes puissances coloniales, se partageant le monde avec l'Espagne, pendant la première moitié du XVIº siècle. Il prend sa source au cœur d'un petit peuple d'un million d'habitants à l'époque, ivre de gloire et chargé de diffuser la foi catholique à travers ses conquêtes, comme une véritable œuvre messianique.

Son passé culturel se rapporte aux longs siècles d'une présence musulmane dans la péninsule Ibérique, infidèles de religion et de culture différente, qui laisseront beaucoup d'influences et de marques indélébiles dans différents domaines culturels, tels les motifs décoratifs, les fameux azulejos, le vocabulaire (plus de 1000 mots d'origine arabe), la pâtisserie ou la gastronomie.
 

Jeronimos
©M.J. Sobral

Une vision du monde en portugais

Les sculpteurs de cette période se soucient peu alors de penser roman ou gothique ou castillan ou français. Ils pensent avant tout portugais et racontent à leur manière la course folle des navires à travers des mers inconnues, tels un hymne de pierre, chantant la gloire des navigateurs qui prospectèrent durant près d'un siècle l'Atlantique pour finalement atteindre les Indes mythiques et rendre ce petit royaume situé à l'extrême sud-ouest du continent européen, l'une des portes ouvertes sur l'exotique, grâce aux différents produits provenant d'Orient ou du Brésil. Une vision du monde lusitanienne.

Ainsi, une flore tropicale envahit les nouveaux édifices religieux, la pierre de liais d'origine calcaire se prêtant bien à la taille douce pour créer de véritables dentelles pierreuses. Les motifs sont aussi des emblèmes que l'on va reprendre à foison comme la sphère armillaire, vision du scientifique grec Ptolémée de l'univers, qui, pour le roi Dom Manuel I, représentera la diffusion universelle  du « royaume de Dieu » sur la Terre, lui-même se sentant chargé d'une œuvre messianique. La croix de l'Ordre du Christ est aussi là pour rappeler que sans cette reconversion de l'Ordre du Temple en ce nouvel ordre, crée au début du XIVº siècle, rien de tout cela n'aurait pu arriver.

 

Jeronimos, Lisbonne

 

Une épopée architecturale

L´épopée  a bien lieu et l´explorateur Vasco de Gama rapportera des côtes du Malabar, en Inde, une quantité suffisante de poivre et autres produits exotiques pour permettre à son roi, deux ans plus tard,  d'initier les travaux de construction du monastère des Jeronimos, à Belém, Dom Manuel I devenant ainsi le » roi-poivre », l'un des monarques les plus riches d'Europe. Le lieu choisi n'est pas le fruit du hasard, mais l'emplacement d'une chapelle construite par Henry, le Navigateur et aussi le lieu de départ des caravelles, sur cette plage longtemps appelée « la plage des larmes ».

Les plus grands artistes de l'époque dans la taille de la pierre, comme en architecture, seront conviés à participer à ce « grand œuvre », provenant de différentes confréries de tailleurs de pierre de toute l'Europe, avec pour les diriger de grands maîtres bâtisseurs comme Jean Boytac, Joan de Castillo, Nicolas Chanterenne ou encore Francisco de Arruda, architecte de la Tour de Belém, réalisée en 1515.Les artistes de cet art manuélin empruntèrent leurs thèmes décoratifs à des rivages lointains, où ils n'abordaient qu'en songe. Une flore tropicale, des chimères, des guirlandes de pierres vont orner portes et fenêtres, lieux de passage entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'obscurité et la lumière, entre le savoir et l'inconnu, les chapiteaux se retrouvent  parés d'une verdure échevelée, les colonnes qui soutiennent les voutes deviennent des palmiers pour créer un intérieur comme un oasis, havre de paix et de recueillement.

 

Les caractéristiques de l´art manuélin
Convento de Cristo Tomar

Représenté, principalement, par l'architecture religieuse, l'art manuélin se développa pendant les règnes de Dom Afonso V, Dom João II et Dom Manuel I, surtout entre 1490 et 1521. Il y eu une coexistence dans des édifices différents ou bien dans un même des structures, plans, illuminations et combinaisons de volumes du gothique, les conceptions décoratives et spatiales de la Renaissance, jusqu'à un baroquisme naturaliste ayant goût pour la décoration exubérante et aussi des éléments mudéjares, plus connus par le terme luso-mauresque. Des motifs aussi de la Renaissance lombarde souvent influencée par la vie maritime, écus et  autres pièces héraldiques, feuillages sur les chapiteaux gothiques. Tout apparaît représenté en composition de façade, en ornement de porches, dans les archivoltes des portails ou dans les arcs et piliers intérieurs, comme autour des arcades et des fenêtres. Par contre les arcs en ogive se font plus rares et remplacés par ceux évoquant les carènes des bateaux, indépendants ou superposés en de variables combinaisons. Dans les voutes se forment de complexes réseaux de nervures, mais les voûtes en étoiles, de quatre à six pointes, sont cependant seulement utilisées en cas particuliers.

Dans les églises, la structure gothique, définie depuis le XIIIº siècle dans les temples des ordres mendiants, ne fut pas altérée, mais les proportions et décorations souffrent des modifications plus ou moins accentuées, surtout dans la composition des portails et dans le couronnement des façades. D'une à trois nefs de cinq portions, avec des arcs cassés ou de voûte entière, reposant sur des colonnes rondes ou octogonales, elles n'ont pas de transept, ou un très court et une abside plane, telles les églises emblématiques des Templiers de Saint-Jean Baptiste et de Notre-Dame dos Olivais, à Tomar. Un autre groupe plus tardif est celui des églises-salons (hallenkirchen), avec trois nefs  de même hauteur, dont l'exemple le plus représentatif est l'église du monastère des Jerónimos, à Belem.

Monastère de Batalha
©S.Costa - Monastère de Batalha

La richesse de l'architecture manuéline ne peut pas s'expliquer uniquement par une évolution des formes ; le rôle créatif et original de différents grands architectes tels Mateus Fernandes,  à Batalha, Jean Boytac, à Belém jusqu'à 1516, Diogo de Arruda, à Tomar et son frère Francisco, avec la Tour de Belém, reste déterminant et leurs œuvres figurent entre les œuvres majeures de l'architecture européenne du premier quart du XVIº siècle.

Les cloîtres sont tout aussi riches d'intérêt, comme celui de Jerónimos, une œuvre exceptionnelle, ceux du monastère de Batalha, même celui réduit du palais de Pena, qui résista au tremblement de terre de 1755, Santa Cruz de Coimbra, de Jésus (Setúbal), dos Loios (Evora), Vila Viçosa ou Serpa.
Dans l'architecture civile, cet art luso-mauresque de particulière élégance et légèreté a pour référence les plus originales résidences manuélines : les palais royaux de Sintra et d'Evora pour ne citer que les plus emblématiques.

Les forteresses militaires changent de conception, à l'époque manuéline, avec l'emploi de l'artillerie et la tour de Belém en est un exemple concret ; la tour médiévale va s'associer à une partie inférieure horizontale pouvant recevoir des canons et ce genre de conception sera divulgué dans l'architecture militaire portugaise depuis le Maroc jusqu'en Inde.  

 

Monastère de Batalha - Portugal
©S.Costa - Monastère de Batalha

 

 

Publié le 18 janvier 2021, mis à jour le 18 janvier 2021

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