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Tournée en Europe de l'association forêt vierge : protéger la forêt amazonienne

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Écrit par Marie Sobral
Publié le 18 mai 2023, mis à jour le 19 mai 2023

Le 11 mai les chefs Raoni et Tapi membres honoraires de l'association Forêt Vierge ainsi que le président de l'association Robert Dardanne en compagnie de la cheffe Watatakalu ont commencé à Lisbonne une tournée qui passera par six pays européens et se terminera le 3 juin à Paris où il est prévu qu'ils soient reçu à l'Élysée. Après le Portugal, ce sera le tour de l'Allemagne (Berlin), la Suisse (Genève), la Belgique (Bruxelles), le Luxembourg et la France (Cannes, Lyon et Paris). Leurs objectifs lors cette digression est de transmettre un message de protection de la forêt amazonienne et du peuple Xingu et de recueillir des fonds pour mener à bien des actions spécifiques de préservation de l'Amazonie et de ses peuples. A l'occasion de leur passage à Lisbonne les portes parole de cette tournée, Robert Dardanne, la cheffe Watatakalu et le chef Tapi ont accordé une interview au Lepetitjournal.com


Lepetitjournal.com : Quand et avec quels objectifs s'est créée l'AFV ?

Robert Dardanne - Association forêt vierge
©AFV

Robert Dardanne : Notre association pour la forêt vierge est une association française (loi 1901) qui a également une antenne au Brésil. Nous organisons depuis 1989 des tournées, celle-ci est la 9ème, pour une population qui vit dans le territoire du Xingu qui est un territoire indigène en Amazonie. Géographiquement le Xingu est une région qui se trouve au milieu de la forêt brésilienne, c'est un territoire qui est plus grand que le Portugal il fait 130.000 km2 et il y a 15000 indiens qui y habitent.

L'association a été créée pour la tournée de 1989 qui a eue un retentissement mondial puisque le chef Raoni, Jean-Pierre Dutilleux et surtout Sting sont allés dans 17 pays à travers le monde dont plusieurs pays européens et c'est à partir de là que cette association, tous les 3 ou 4 ans organise des voyages pour le Xingu dans 7 ou 8 pays, essentiellement européens. Notre association se destine exclusivement à la protection de l´Amazonie et plus particulièrement de ce territoire qui s'appelle Xingu.


Pourquoi avoir pris en compte le Portugal dans votre tournée ? Et pourquoi avoir démarré par le Portugal ?

La tournée de 2023 commence au Portugal. Et c'est un choix volontaire parce qu'il se trouve que des huit dernières tournées aucune n'est venue au Portugal, donc c'était une occasion. Moi-même, j'habite une partie du temps à Lisbonne, donc on a tenu à ce que ça commence par le Portugal.


Pourquoi auparavant n'être jamais venu au Portugal, alors que le  Portugal est tout de même un pays assez proche du Brésil ?

C'est peut-être justement un peu à cause de cette proximité qui faisait qu'il y avait un peu de réticence de la part des indiens qui estiment que la population indigène a beaucoup souffert lors de la période coloniale. Mais la délégation a rencontré le président de la République portugaise, il y a eu des échanges tout à fait clairs et les indiens estiment qu'ils sont dans une situation où ils pourraient y avoir une réparation parce qu´il y a eu beaucoup de populations déplacées. A l'époque il y a eu beaucoup de morts et donc il y a encore un historique lourd et pas totalement oublié en ce qui concerne les indiens, il n'y avait qu'eux qui habitaient le Brésil, donc c'est eux qui ont souffert, sans hostilité, ils estiment que ça a créé beaucoup de difficultés pour leur population.

Cette visite permet ainsi d'améliorer la relation institutionnelle entre le Brésil et le Portugal mais elle est porteuse d'un message plus large et international.


Précisément, quel est le message spécifique de votre campagne lors de cette tournée ?

Les indiens sont les principaux défenseurs de la forêt, ils vivent dans la forêt réellement, ce sont les gardiens de la forêt et ils souhaitent participer à un objectif du pays qui est d'arriver à zéro déforestation d'ici 2030. C'est un thème qui a été lancé par le nouveau président Lula et que l'on relaye parce que c'est un objectif indispensable et dans un délai assez court puisqu'on parle de 2030, c'est dans 7 ans ! Donc il faut que ça bouge rapidement.


C'est le seul message de votre campagne 2023 ?

C'est le principal message, mais nous sommes une association qui a pour but de mener des actions pratiques sur le terrain, donc à travers ce message, nous avons trois objectifs principaux : premièrement défendre les limites géographiques de chacune des zones indigènes parce qu'elles sont référencées, elles sont même dans la Constitution, donc faire comme un contrôle des frontières pour éviter toutes les activités illégales autour de l'or, du bois, des minerais et veiller à ce que les gens sans autorisation ne puissent pas entrer dans ces territoires là.

Le deuxième point, c'est qu'une bonne partie de la déforestation passe par les incendies de forêt qui font place à des plantations, donc avoir des moyens et une assistance pour la  lutte contre le feu. Puis le troisième aspect concerne tout ce qui touche la culture, sa conservation, la formation ; former les jeunes pour qu'ils puissent travailler dans leur village. Tout ce qui est en rapport avec la composante humaine des indiens qui vivent sur ces territoires. Ce sont 15000 indiens qui habitent dans ce territoire, en pleine forêt amazonienne et les populations vivent au bord des rivières, personne n'habite dans la forêt. Ils sont dispersés dans une quarantaine de villages et ces villages dépassent rarement les 400 à 500 personnes.


Hors ces trois objectifs qui sont sur le long terme vous avez un objectif plus immédiat qui concerne le rattachement d´un territoire voisin, pouvez-vous nous en parler ?

En effet, un objectif prioritaire de cette tournée, est la levée de fonds pour les procédures administratives qui vont permettre de classer comme territoire indigène la zone où  le chef Raoni qui est un chef historique mondialement connu, est né et a vécu ainsi que ses parents et ses ancêtres. Cette zone ne fait pas partie du Xingu elle est un peu plus éloignée. Nous avons un signe assez favorable de la part du Président Lula puisque le chef Raoni a signé avec lui il y a quelques semaines la reconnaissance de sept territoires indigènes et celui-ci devrait suivre.


Quel a été votre programme au Portugal ?

On a rencontré le Président de la république et on a fait une plantation symbolique d'arbre en présence d'un représentant de la mairie de Lisbonne, le maire étant absent du pays. Puis il y a eu une rencontre de la cheffe indienne Watatakalu avec les femmes locales, il y avait une cinquantaine de personnes et un dîner de charité où ont été présentes environ 80 personnes, ceci pour recueillir des fonds.
 
Avez-vous déjà des promesses de fonds, de donations ici au Portugal ?
Le Président de la République portugaise va participer à une action auprès du Xingu qui se concrétisera probablement autour de l'institut Aritana pour les Yawalapiti, il s'est engagé à aider ce projet, les modalités seront déterminées dans un deuxième temps après présentation du projet, tout comme pour la mairie de Lisbonne qui va également s'impliquer dans la plantation d'arbres.
En ce qui concerne les fonds, l'association qui organise la tournée les collectent et les reversent moitié au territoire des kayapo et moitié au territoire des Yawalapiti en toute transparence.
 
 

En tant que femme quelle est la place que vous avez dans votre peuple ?

la cheffe Watatakalu - Xingu
©AFV

Watatakalu : Le rôle de la femme est de prendre soin du village et de s'occuper de son organisation, de sa gestion en fonction du calendrier pour qu'il ne manque rien. Et puis la femme s'occupe bien sûr de la maison, des enfants et de l'alimentation. Les femmes sont présentes dans tous les moments même lors des rituels des hommes c´est nous qui organisons et faisons les préparatifs. L'homme lui travaille à l'extérieur lorsqu'il y a besoin de force, il s'occupe de la construction, de défricher la terre pour la cultiver, il va à la chasse, à la pêche et il prend soin de sa famille. La base de notre alimentation c'est le beiju qui provient du mandioc et la pêche qui doit être quotidienne, pour les cueillettes ce sont les femmes qui interviennent. Chaque famille produit seulement ce dont elle a besoin pour s'alimenter.


Quelle est l'interaction qui existe entre les différents villages du Xingu ?

Nous avons des organisations que nous avons créées nous même et donc nous circulons beaucoup entre villages il y a des échanges qui sont faits. Au sein du Xingu il y a plusieurs populations et chacune a des coutumes et des langues différentes, au total il existe 16 peuples. Nous sommes du Haut Xingu où il existe 9 peuples différents mais dont les cultures ont des points en commun donc nous communiquons plus entre nous, mais de nos jours nous sommes en contact avec tous les peuples qui sont dans les différentes zones du Xingu. Lorsque le territoire du Xingu a été créé plusieurs ethnies sont venues s'y installées afin d´être protégées et nous sommes ici comme porte parole de ces 16 ethnies


En tant que femme quel est le message que vous voulez transmettre ?

C'est la première fois que je participe à une tournée pour sensibiliser les femmes en particulier et à Lisbonne j'ai participé à un événement, organisé pour la première fois, destiné aux femmes, un groupe de femme « Women for Amazon » qui a été créé à cette occasion.

Le message que je porte est que nous avons besoin d'appui financier afin que nous les femmes nous puissions continuer à prendre part aux prises de décision. Je suis venue avec trois objectifs : le premier recueillir des fonds pour acquérir une source d'eau pour notre territoire, car la source qui alimente notre territoire ne se trouve pas sur nos terres et nous avons besoin de l'acheter au propriétaire terrien pour garantir une eau saine pour nos enfants.

Le deuxième c'est garantir que nous puissions avoir des fonds destinés à l´appui des projets des femmes de notre territoire, des projets durables tel que la production de sel de « Agua pé » qui est un sel végétal qui est propre à notre culture, il ne nuit pas à la santé et s'autorégénère, la production de poivre, d'huile de pequi et autres...

Et le troisième c'est pour garantir que nous puissions participer au mouvement national où nous mettons en avant les revendications des droits des femmes et cette année nous avons la 3ème marche des femmes indigènes organisée par ANMIGA (Articulação Nacional das Mulheres Indigenas Guerreiras da Ancestralidade) du 7 au 10 septembre à Brasilia. Donc nous avons besoin de fonds pour assurer la présence des femmes du Xingu lors de cette marche et de ses événements car des propositions seront présentées à notre députée (des peuples indigènes), elle-même indigène, pour qu'elle les présente au Congresso (chambre des députés) et si nous ne participons pas d'autres vont décider à notre place sans tenir compte de notre réalité.


Quelles sont vos principales difficultés en temps que femme ?

C'est de pouvoir participer aux prises de décisions, de porter notre message en tant que femme. Les hommes ils portent un message global de notre peuple et nous nous rappelons des détails qui sont importants.
 

 

Comme représentant du peuple Xingu quel est le message que vous portez lors de cette tournée et les autres peuples ont-ils le même message que vous ?

Chef Tapi - Peuple Xingu Amazonie
©M.J Sobral

Tapi : C'est la deuxième fois que je viens en Europe avec Raoni, je suis toujours à ses cotés et aujourd'hui il n'est pas là car il récupère d'un problème de santé mais il va mieux et il va nous rejoindre à Berlin qui est notre prochaine étape.
Pour moi la lutte est collective, je ne pense pas seulement à mon peuple mais je pense aussi aux autres peuples, ils ont aussi besoin d'aide car il s'agit également de protéger leur territoire. Je ne fais pas de séparation même au niveau homme, femme, l'important c'est que la lutte soit collective. Nous devons être uni pour avoir plus de force et pouvoir protéger notre territoire.


Votre système d'éducation indigène est actuellement en risque, pouvez-vous nous en parler ?

Moi-même je suis professeur, j'ai obtenu mon diplôme de linguistique à l'université de Brasilia et j'enseigne dans une école à des élèves indigènes. Tous les villages ont une école et l'éducation indigène va jusqu'à la fin du lycée, quelques professeurs sont indigènes mais la plupart non.
Aujourd'hui l'éducation scolaire se trouve dans une situation très critique. Le gouvernement veut en finir avec le système scolaire indigène qui a été créé spécialement pour les peuples indigènes. Nous sommes une nation qui a une culture différente donc nous lutons pour avoir un système d'éducation propre aux peuples indigènes où nous valorisons les danses, les peintures, les rituels et les parures et nous avons un calendrier propre. Le gouvernement veut détruire ce que l'on a développé, mais nous allons manifester aussi en ce qui concerne l'éducation lors du mouvement indigène au mois de juin.


Les médias internationaux rapportent que la situation en Amazonie et pour les indiens y vivant s'est beaucoup détérioré ces dernières années. Que pouvez-vous en dire ? Quel est le danger ?

Ces quatre dernières années nous avons réellement beaucoup souffert, nous avons été très attaqués par le gouvernement. Notre territoire a été réellement envahit, nous avons perdu de la famille par assassinat, délit de fuite et par balle. L'actuel gouvernement a stoppé ce type de situation et il écoute le peuple indigène. Le gouvernement de Bolsonaro était contre la protection de l'environnement et donc il a autorisé l'invasion des terres des indigènes pour toutes sortes d'explorations.

En particulier dans notre territoire, nous revendiquons la protection des frontières afin que les prospecteurs et les exploitants forestiers ne portent plus préjudice à nos terres, notre forêt qui reste et il en reste très peu car elle a été en grande partie détruite. Nous devons protéger notre territoire pour que nos enfants aient une bonne vie. En lien avec notre situation qu'est ce que nous revendiquons et bien aujourd'hui dans le monde le changement climatique est à l'ordre du jour et qui est ce qui préserve l'environnement ? C'est nous indigènes, nous ne protégeons pas la forêt seulement pour nous mais aussi pour le monde et ce que nous revendiquons c'est que les gens soient avec nous, nous appuient et luttent avec nous pour que l'on puisse préserver et sauver la vie de la planète.

Le plus grand danger qui se présente c'est un projet de loi qui va être approuvé au mois de juin autorisant l'exploitation minière dans les terres d'indigènes ainsi que l'exploitation forestière en éliminant les droits des indigènes. Donc nous allons lutter contre, c'est un risque pour nous, je suis très inquiet ! Le gouvernement veut intégrer les indigènes mais nous avons une autre culture qui ne s'adapte pas à la vie moderne, de plus cela ne fera que multiplier la pauvreté car beaucoup d'indigènes vont être à la rue. Cette loi a déjà été révoquée deux fois et elle a été de nouveau reprise, Lula qui l'avait mise sur la table lors de son premier mandat a promis de la révoquée de nouveau mais c'est une grande préoccupation.


Avez-vous un message particulier que vous voulez nous laisser ?

Pour tous, je veux laisser ici le message que nous comptons beaucoup sur les européens pour qu'ils se joignent à nous afin que nous puissions lutter pour la forêt amazonienne qui appelle au secours et souffre avec l'action humaine et face au changement climatique, surtout  si l'on détruit encore plus la forêt, ainsi le réchauffement s'accentuera encore plus et au-delà de la forêt c'est la planète qui est en risque. Nous avons besoin de protéger ce qui reste de la forêt dans nos territoires.


En savoir plus : https://fr.rainforestorganization.org/

 

maria sobral, édition de Lisbonne du site lepetitjournal.com
Publié le 18 mai 2023, mis à jour le 19 mai 2023

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