L´écrivain Dany Laferrière est venu à Lisbonne quelques jours en mars. L'auteur haïtien naturalisé canadien et élu à l'Académie française en 2013, était invité dans la capitale portugaise par l'ambassade du Canada au Portugal à l'occasion de la fête de la francophonie. Lepetitjournal/Lisbonne a pu le rencontrer et lui poser quelques questions lors d'une interview.
Lepetitjournal/Lisbonne :Est-ce la première fois que vous venez au Portugal ?
Dany Laferrière : Oui, j'ai été invité par l'ambassade du Canada pour clôturer la fête de la francophonie. Lisbonne est une ville magnifique, j'entends parler français un peu partout dans la rue, ce qui me dit qu'il y a beaucoup de touristes français à Lisbonne. Il y a beaucoup de gens dans les restaurants et dans les cafés qui s'expriment en français pour pouvoir accueillir cette clientèle. C'est comme ça qu'une langue prend vie dans une ville. Au Portugal, il fut un temps où le français était la seconde langue apprise à l'école et donc je suppose que ce sont les gens des anciennes générations qui parlent le français. Mais je pense que le commerce va aider à une reprise puisque le tourisme semble très florissant au Portugal.
Vous connaissez quelques écrivains portugais ?
Je connais un petit peu les très grands écrivains, c'est à dire Pessoa, Camões. C´est naturellement Pessoa la grande figure de la littérature portugaise contemporaine.
Quels liens voyez-vous entre la francophonie et la lusophonie ?
Les langues. Les langues qui sont des manières de vivre, doivent de plus en plus signaler leur présence au monde pour avoir une plus grande richesse dans le monde qu'elle soit spirituelle, économique, sociale. La lusophonie, la francophonie et les autres langues sont tout à fait les bienvenues dans l'espace du monde.
Pensez-vous que la richesse linguistique d´une langue soit compatible avec le fait de vouloir lui imposer une seule norme ; en particulier si l'on pense au français de France et à celui du Québec ou au portugais du Portugal et celui du Brésil, par exemple ?
La question qui se pose est celle d'une élite qui dicte sa volonté et celle d'un peuple qui fait ce qu'il veut. Et la seule réponse, c'est le temps. Il faut attendre pour savoir si les normes proposées par les élites peuvent rentrer dans l'usage. Si le peuple les rejette, s'il ne les écoute pas... Ce n'est pas la première fois que des élites proposent des réformes et que le peuple n'obéit pas. L'élite n'est pas tout le temps un mot négatif. Ce sont les élites qui ont passé le plus de temps dans les livres et qui disent "d'après moi, selon la tendance du monde, il serait intéressant de simplifier notre langue pour permettre à d'autres gens de capter plus rapidement notre façon de voir". Parfois le peuple accepte et trouve que c'est bien et d'autres fois, il n'accepte pas.
Précisément, que répondez-vous à ceux qui critiquent l'Académie française et le conservatisme de l'Institution ?
Il ne faut pas écouter les Français dans les rapports avec leurs institutions. Il suffit de dire officiellement que l'on va fermer l'Académie française pour les voir tous dans la rue. Les critiques les plus virulentes viennent des académiciens. L'Académie française est comme une auberge espagnole, on y mange ce que l'on y apporte. Cette question de dire que beaucoup de grands écrivains ont refusé de rentrer sous la Coupole est en demi-teinte, on peut aussi dire que beaucoup de grands écrivains y ont été. La liste est longue. Une académie n'est pas forcément faite avec les plus grands écrivains d'un pays. Elle est faite surtout avec des gens qui veulent bien y être et qui sont enthousiastes. La question qui se pose est : que faisons-nous de nos institutions ? Allons-nous vouloir qu'elles changent. J'ai déjà entendu une critique disant qu'il fallait que des gens Français rentrent à l'Académie française mais que ceux qui ne sont pas Français ne sont pas dignes d'y rentrer. Selon moi, il y a beaucoup de snobisme à désigner qui est grand écrivain et qui ne l'est pas. Il est possible qu'un grand écrivain en déclin n'ait pas plus de talent qu'un jeune écrivain inconnu dont l'étoile va briller plus tard.
La fameuse inspiration, vous allez la chercher où pour écrire ?
Je n'en sais rien, je pense qu'un livre existe quand il est terminé. Avant cela, on ne sait pas car le talent seul ne suffit pas. Je n'écris pas forcément tous les jours mais peu importe. Le livre est là quand il est là.
Iris bertin et Custódia Domingues (www.lepetitjournal.com/lisbonne) vendredi 24 juin 2016
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