Édition internationale

"Le nom des rois", un roman de Charif Majdalani

Avec Le nom des rois (éditions Stock), l´écrivain libanais d´expression française Charif Majdalani explore ce qui subsiste de l´enfance lorsqu´elle capitule devant les fracas du monde. Un roman bouleversant sur l´exil, la guerre, la fin de l´innocence, l´amour adolescent et la mémoire d´un Liban disparu. Un récit intime et universel.

Charif MajdalaniCharif Majdalani
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 8 novembre 2025, mis à jour le 12 novembre 2025

Le nom des rois : un récit qui se déroule pendant la période de prospérité précédant la guerre civile

Après la fin du mandat français, le Liban est devenu dans les années quarante du vingtième siècle, de par sa culture et sa démographie religieuse, un pays singulier dans le cadre de la complexe géographie du Proche-Orient. Entre son indépendance et le début de la guerre civile interconfessionnelle qui l´a ravagé de 1975 à 1990, le Liban a connu une période de stabilité politique et économique en raison de la forte croissance des secteurs du tourisme, de l'agriculture, ainsi que des finances et des services (banque, et assurances, notamment). Le pays était d´ailleurs considéré comme le « coffre-fort du Levant » ou «La Suisse du Proche-Orient». 

C´est cette époque de prospérité précédant la guerre civile qu´il a en partie vécue pendant son enfance et son adolescence que Charif  Majdalani retrace dans son dernier ouvrage aux contours autobiographiques Le nom des rois, paru fin août aux éditions Stock. Né en 1960 à Beyrouth, Charif  Majdalani est l´auteur d´une dizaine de livres dont Villa des femmes (éditions du Seuil, 2015, prix Jean Giono) ou Journal d´un effondrement (éditions Actes-Sud, 2020, prix spécial du jury Femina). Il est également professeur à l´université Saint-Joseph dans la capitale libanaise. 


Le nom des rois, un ouvrage aux contours autobiographiques 

Ce récit s´articule en deux parties. Dans la première, l´auteur raconte son enfance heureuse, sa passion pour la littérature et son désir encore secret de devenir écrivain. Dans la seconde, c'est le point de basculement du pays dans une guerre civile qui va durer de 1975 à 1990 et faire sombrer un pays prospère dans le chaos. Le titre du roman renvoie aux généalogies royales dont le narrateur, enfant puis pré-adolescent, est un amateur passionné. Il passe d´ailleurs son temps plongé dans les livres, attiré par les biographies de figures de l´Histoire comme Napoléon ou Alexandre le Grand, entre autres. Son père est un riche commerçant qui a fait fortune dans les étoffes. Sa mère dirige le foyer et organise les réceptions où le gotha beyrouthin se retrouve. Le jeune Charif voue, on l´a vu, une passion pour la généalogie des rois qu'il consigne dans ses carnets. 

Au début du deuxième chapitre, il évoque ce temps de son enfance où l´on vivait des jours plutôt paisibles, ou, comme on dit souvent dans un registre familier, on se la coulait douce : « J´habitais en ce temps-là un pays dont on se demande avec étonnement aujourd´hui s´il a vraiment existé. Les vieux marchés, la ville besogneuse que je traversais pour me rendre dans les magasins de mon père, le monde que recevait mes parents, tout cela était sur le point de disparaître, emporté par la guerre et la violence. Mais nul ne s´en souciait vraiment, nul n´y pensait, nul ne pouvait y croire ni même l´imaginer ».     

D´après le narrateur, nulle part ailleurs qu´au Liban, les Trente Glorieuses ne méritaient si évidemment leur nom. Tant à cause des dates qui ont vu la naissance et la disparition du pays que pour les sommets atteints «dans l´opulence de ce bout de terre à cette époque» : les cabarets étaient les plus célèbres de tout l´Orient ; dans les salles de théâtre et au Casino du Liban chantaient Dalida, Brel ou Louis Armstrong ; Klemperer et Zeffirelli excellaient dans le décor des temples de Baalbek ;  Belmondo faisait des cabrioles en compagnie de Jean Seberg dans les couloirs de l´hôtel Phénicia : Aragon dormait à l´hôtel Palmyra ; les espions se donnaient rendez-vous au bar de l´Hôtel Saint-Georges et, enfin, Niemeyer bâtissait la foire de Tripoli sur le modèle de Brasília. Bref, une société moderne et occidentalisée. 

Les péripéties vécues à l´école sont également au centre de ce récit. Un jour, alors que le narrateur est en classe, le professeur de français, M. Beauvais, présente à tous un nouvel élève, Le narrateur découvre que ce garçon, désormais son camarade de pupitre, est le fils du roi des Îles du Verseau. Walid Abdessalam –c´est le nom du nouveau venu– devient son ami au même titre que d´autres camarades de classe comme François Daussoy, Michel Costas ou Antoine Kfouri. C´est à peu près à cette époque qu´il commence à s´intéresser sérieusement aux jeunes filles et que surgissent ses premiers émois amoureux : Anaïs, Simone, plus tard Clara lorsque le pays est déjà en guerre, sont des noms qui vont marquer de façon indélébile son initiation sentimentale. 

Des signes avant-coureurs de la guerre pointaient à l´horizon mais on semblait les ignorer : «Les premiers mois de ce qui n´était pas encore une guerre, ce monde ancien résista. Pourtant, lorsque je regarde aujourd´hui les livres d´histoire, je m´aperçois que ce que je vivais ne correspondait pas tout à fait à la réalité et indubitablement, déjà à ce moment, tout semblait joué et nous nous précipitions allègrement vers l´abîme. La violence que je ne pouvais soupçonner et sur laquelle je ne me suis jamais penché en détail, était déjà très élevée. Les enlèvements, la haine, les barricades, selon les livres et les reportages photo, nous enserraient déjà (…) on entendait des rafales intempestives et de sourdes explosions, mais cela semblait provenir d´un autre espace géographique, d´une réalité parallèle à celle dans laquelle je continuai à vivre». 

Le nom des rois de Charif Majdalani est un récit émouvant écrit dans un style élégant. Un roman sur l´exil, la guerre, la fin de l´innocence, l´amour adolescent et la mémoire d´un Liban disparu. 

Charif Majdalani, Le nom des rois, éditions Stock, Paris, août 2025.

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos