JARDINS - L’art de la topiaire dans les jardins de Lisbonne

L'art de la topiaire est par excellence l'art du jardinier, puisqu'en latin jardinier se dit "topiarius". Cet art est réservé à celui qui sait tailler arbres et arbustes selon les formes les plus variées, perpétuant ainsi un savoir-faire qui remonte à l'Antiquité, où Grecs et Romains prenaient déjà plaisir à façonner ainsi leur jardin.

L´art de la topiaire
Des massifs de buis, de troènes ou de myrtes étaient taillés régulièrement, se laissant "domestiquer" pour obtenir différentes formes géométriques,comme pyramides, cônes, spirales ou rappeler des formes de la nature imitant rochers ou boules de verdure. Aujourd'hui, certains jardiniers n'hésitent pas à représenter aussi des formes animales ou des objets emblématiques.

Les jardins dit "à la française"
Ils s'inspirent de cette tradition et le plus célèbre créateur de ce style reste sans conteste André Le Notre (1613-1700) avec les jardins de Versailles conçus par lui, sans oublier ceux des Tuileries, Vaux-le-Vicomte ou Chantilly. Dans ces jardins tirés au cordeau, la géométrie s'exprime à volonté. Des allées plus ou moins larges sont encadrées de rangées de buis, dans un espace ouvert à la perspective et exposé au regard. Ces jardins se laissent admirer "à l'étage", à partir d'une terrasse qui les surplombe, d'une fenêtre ou d'un balcon. Les broderies de buis s'associent à des pièces d'eau aux jets multiples, la statuaire doit y être bien représentée et des parterres de fleurs donnent un peu de couleur, hormis le vert dominant exprimé à loisir par des surfaces plus ou moins grandes consacrées aux pelouses.

(Le jardin botanique de Ajuda)

Les jardins "à l'anglaise"

Dans une approche totalement opposée, les jardins «à l'anglaise», eux, s'inspirent de la nature et influencèrent dans la seconde moitié du XVIIIº siècle des jardins européens, la mode étant alors orientée vers le touffu et au naturel artificiellement recrée, avec un gout prononcé pour les arbres imposants et mythiques issus des empires coloniaux (Ginkgo, Cryptoméria, Pittospores ou Sidéroxylon) ou de provenance exotique. Ce jardin anglais devenait ainsi philosophique, exprimant également des valeurs romantiques. Cette conception était antagoniste à la vision systématique et rationnelle du style précédent qui, lui, passait pour le témoignage d'un absolutisme suranné imposé aux végétaux, correspondant à un sentiment de grandeur pour des monarques comme Henri IV ou Louis XIV ou des hommes d'Etat comme le Marquis de Pombal. Ce fut Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), enterré à Ermenonville dans un jardin de philosophe "à l'anglaise", qui contribua idéologiquement à naturaliser en France cette sensibilité toute britannique.

L´art de la topiaire dans les jardins de Lisbonne
A Lisbonne, ce sera surtout la conception anglaise qui sera la plus souvent adoptée, bien que quasiment tous les jardins de palais, résidences officielles ou demeures de nobles aient dédié une partie de leur espace vert au style français. Pour exemples, le jardin botanique d'Ajuda, qui fut le premier jardin fermé de la capitale(1769), crée par l'Italien Domingo Vandelli, avec ses 4 kms de haies de buis ou celui de la Tapada das Necessidades dans la partie réservée au ministère des Affaires étrangères.

Les jardins de Lisbonne, en général, s'identifient à recréer un milieu artificiel imitant la nature avec un semblant de désordre où le mélange de plantes de provenances différentes permet d'avoir une végétation dense, même en plein hiver, avec un feuillage persistant et une ombre fournie quand la chaleur se fait sentir en été. Il est tout aussi important qu'un jardin soit un refuge à l'abri des agressions extérieures et plus dense il sera et plus on y sera l'aise. Souvent, on veillera aussi à le mettre à l'abri des regards indiscrets en y dressant tout autour des arbres de grand port ou en le plaçant de manière à ne pas être vu des voies de passage.

Ce principe ne s'adapte évidemment pas à un jardin où l'ombre est quasiment inexistante, comme c'est le cas quand on exerce la topiaire et que l'on choisit d'avoir de grandes surfaces dégagées.

(Palácio da Fronteira)

Les plantes associées à la topiaire
Les plantes et espèces végétatives, qui sont les plus utilisées pour l'exercice de la topiaire, sont essentiellement des espèces à feuilles persistantes, petites, compactes et résistantes à des tailles fréquentes et régulières. Dans cette catégorie, on trouvera le buis (Buxus sempervirens), plante par excellence pour ce genre d'exercice, les troènes (Ligustrum sinensis et japonicum), les myrtes (Myrtus communis), les fusains (Eonymus japonica) et aussi thuyas (T.occidentalis), lauriers (Laurus nobilis) ou ifs (Taxus baccata). Toutes ces plantes sont également utilisées pour la constitution de haies de jardin, car ces dernières demandent aussi des coupes régulières. Bien que considérées comme des arbustes ou petits arbres, elles peuvent cependant atteindre une taille digne d'un arbre si on les laisse se développer à loisir, sans coups de ciseaux répétitifs.

Dans un jardin à la française, les arbres ne doivent pas arrêter le regard; il ne faut pas gêner les perspectives dessinées par leurs créateurs. Ainsi, pour conserver l'élégance du jardin, il faut travailler sur des petits gabarits et chercher des essences qui ne montent pas trop haut. Comme le soulignait un article commémorant les 400 ans de la naissance de Le Notre, en 2013, "Le Notre, qui était un génie de l'espace, n'a pas crée des mètres carrés de jardins, mais plutôt des mètres cubes reposant sur les lois de l'optique. Son jardin est une boîte géométrique dans laquelle aucune ligne, jamais ne s'entrechoque."

(Palácio da Fronteira)

André Laurins (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) Reprise du lundi 27 avril 2015
Technicien agronome (laurins.andre@gmail.com)

Photos ©M.J. Sobral