Quatre-vingts ans après son début, la guerre civile espagnole (1936-1939) suscite toujours l´intérêt des écrivains. On retrouve ce sujet à travers le roman de José Alvarez (Français d´origine espagnole) Avec la mort en tenue de bataille, une histoire d´amour, de trahison et de sang.
L´Espagne ou la mémoire de la guerre.
En 2016 on a signalé le quatre-vingtième anniversaire du début de la guerre civile espagnole. Huit décennies plus tard, les plaies ne se sont toujours pas refermées, mais la littérature est là pour rappeler ce que fut cette période sombre de l´histoire de l´Espagne et de l´Europe.
Nombre de civils ont fui la guerre et la misère et se sont réfugiés ailleurs. Nombre d´entre eux ont refait leur vie dans le nouveau Monde, surtout au Mexique. Ceux qui sont restés en Europe ont surtout trouvé refuge dans les deux pays voisins, le Portugal et la France. En France, ils ont souvent été internés -surtout les communistes et les anarchistes- dans le camp de Collioure, un camp comparé par certains à un bagne, soulevant l´indignation des voix progressistes en France. C´est également à Collioure dans un modeste hôtel qu´est mort malade et dans des conditions déplorables le grand poète Antonio Machado.
Lors de la rentrée littéraire 2016, il est passé quasiment inaperçu (hormis un excellent article de François-Olivier Rousseau dans Le Magazine Littéraire) le deuxième roman de José Alvarez Avec la mort en tenue de bataille. Et pourtant, il s´agit à mon avis d´un des romans les plus puissants de cette rentrée. On regarde et l´on analyse la guerre surtout sous le prisme des hommes combattants et l´on oublie souvent que les femmes y ont joué à un autre niveau un rôle tout aussi important. Néanmoins, dans la littérature inspirée par la guerre civile espagnole et la grisaille du franquisme on trouve quand même des romans où la figure de la femme est sur le devant de la scène : La voix endormie (La voz dormida) de Dulce Chacón, Pas pleurer de Lydie Salvayre (prix Goncourt 2014)(1) ou Ana Non d´Agustín Gomez-Arcos, en sont des exemples frappants auxquels on pourrait ajouter maintenant Avec la mort en tenue de bataille de José Alvarez.
Une femme comme personnage principal
L´inoubliable personnage principal de ce roman est Inès, mère et épouse respectable qui se jette à corps perdu dans cette lutte fratricide lorsque éclate ce conflit qui a déchiré des familles et rendu ennemis des gens qui, la veille encore, devisaient en toute fraternité.
Dès le début de la guerre, Inès se voit privée de son mari qui, en voyage à Buenos Aires, décide de ne pas rentrer en Espagne pendant tout le conflit. Plus grave, néanmoins, que l´absence de son mari dans la période tragique que vit le pays, c´est l´absence de nouvelles de ses enfants qu´elle croyait à l´abri de la guerre et en sécurité auprès d´amis en France et qu´en raison de quelques manigances qui se déroulent au cours de l´intrigue ont été mis en danger.
L´hypocrisie, le cynisme et l´abjection de la condition humaine, Inès et sa s?ur Conception les côtoient dès le début de la guerre en se rendant compte de la traîtrise de deux personnes très proches de la famille, le cousin Enrique de Velasco, un phalangiste, et le curé et confident Don Alfonso. Les deux s´unissent pour confisquer les biens des deux s?urs. Prenant fait et cause pour leur frère Pedro et leurs compagnons de lutte républicains, Inès et Conception connaissent même la prison et l´humiliation pendant quelques jours : "L´après-midi même, les détenues furent forcées de défiler entièrement nues dans l´arène, à cinq heures -l´heure de la mise à mort les jours de corrida- devant les prisonniers, contraints d´assister au spectacle, assis sur les gradins comme pour un divertissement. Et, pour ajouter à l´humiliation des corps dénudés, exhibés comme de la viande, ils étaient sommés d´insulter ces femmes, le plus vulgairement possible. Si, par pudeur, certains détournaient la tête ou refusaient de mêler leurs voix aux hurlements obscènes, ils étaient dévêtus à leur tour et férocement battus. Quant à ceux qui osèrent se rebeller, ils furent jetés au cachot."
Le calvaire d´Inès et Conception prend fin, mais la terreur de la guerre durera encore trois ans. À la recherche de ses enfants, Inès rencontre des personnages ambigus, mais aussi des hommes qui font éveiller en elle la flamme de l´amour : Andrès, l´ami fidèle qui l´aide à découvrir ses enfants, et Félix, fulgurant désir d´une nuit, Félix qui a failli se faire tuer par le pervers colonel phalangiste Huerta qui «jubilait, disait-on, au spectacle qui consistait à dissoudre des corps dans un bain d´acide, dans les hurlements de douleur des suppliciés dont la chair dévorée s´effaçait peu à peu».
On trouve aussi dans ce roman des références à des événements historiques précis comme l´exaspération de Francisco Franco, le généralissime, le futur caudillo, devant l´arrogance ostentatoire de Queipo de Llano qui faisait exposer son portrait un peu partout, dans les écoles, les lieux publics et même sur les cendriers et sur les balcons des maisons où des républicains avaient été exécutés. Ou encore les vociférations du général Millán Astray qui criait "Abajo la inteligencia !" ("À bas l´intelligence !") et "Viva la muerte !" ("Vive la mort !"), à l´Université de Salamanque, le 12 octobre 1936, devant le discours antifranquiste du professeur et écrivain Miguel de Unamuno.
Alors que certains livres sont encensés par quelques critiques et jurés de prix littéraires, d´autres sont victimes d´un silence quasiment insupportable. C´est le cas de Avec la mort en tenue de bataille, pourtant un merveilleux roman de José Alvarez, Français d´origine espagnole, né en 1947 à Santander, et qui vit à Paris où il dirige les éditions du Regard, spécialisées dans les livres d´art. Après Anna la nuit (éditions Grasset, 2009), ce deuxième roman représente pour José Alvarez un retour à la fiction sous les meilleurs auspices.
Fernando Couto e Santos (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mercredi 18 janvier 2017
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José Alvarez, Avec la mort en tenue de bataille, éditions Albin Michel, Paris, août 2016.
(1) Pas pleurer de Lydie Salvayre (prix Goncourt 2014) ? Article publié le 7 novembre 2014