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Un peu d’encre française dans la plume péruvienne

La France et le Pérou partagent une connexion notable à travers la littérature. Souffrance, inspiration et apprentissage sont ce que Paris a signifié pour les grands auteurs péruviens.

MAQUINAMAQUINA
@Patrick Fore
Écrit par Rodrigo Castillejo
Publié le 29 juillet 2024, mis à jour le 30 juillet 2024

L’influence de la France dans le monde littéraire est indéniable. Marquée par des auteurs tels qu’Albert Camus ou Émile Zola, la nation tricolore a toujours eu des génies de la littérature. Pourtant, cette influence s’étend bien au-delà de ces figures emblématiques. C'est ainsi que la ville de Paris a représenté pour de nombreux auteurs étrangers un lieu d’inspiration dans lequel ils ont su développer tout leur talent.

Bien que ce phénomène touche une grande variété de pays, cet article se limitera à décrire brièvement le cas péruvien. Le Pérou a en effet été fortement influencé par la France, tant sur ses grands représentants que sur ses œuvres. Cette influence a contribué à créer une mystique particulière qui a finalement établi ces auteurs comme des piliers du monde intellectuel.

Mario Vargas Llosa

Cet auteur né dans la ville d'Arequipa, est sans doute un des écrivains les plus importants de l'histoire du Pérou. Il a remporté une multitude de prix, dont le Prix Nobel et le Prix Miguel de Cervantes, il se distingue également par sa capacité à puiser dans la culture française pour enrichir son œuvre. Vargas Llosa représente ainsi l'exemple parfait de l'écrivain ayant su s'inspirer de la culture française pour développer tout son talent.

Il découvre la littérature française pour la première fois à l'école Leoncio Prado. Envoyé par son père pour qu'il "se fasse homme", Vargas Llosa décide plutôt de se lancer dans la lecture des Misérables de Victor Hugo et du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. Il fut tellement fasciné par ces œuvres qu'il décida d'apprendre le français.

mario vargas
@Livre de Mario Vargas Llosa

 

Cet intérêt ne fait que se renforcer à son arrivée à l’université en 1953. La figure engagée de Jean Paul Sartre sur le plan intellectuel attire toute son attention, ce qui inspirera sa dimension politique de jeunesse. Bien que Sartre n'ait pas eu beaucoup d'influence sur son style littéraire, les chroniques et essais politiques du jeune auteur péruvien témoignent de son admiration pour l’engagement de son idole intellectuel à se positionner face aux grandes problématiques sociales.

Quelques années plus tard, Vargas Llosa participe à un concours littéraire organisé par La Revue Française, dont le prix était un séjour de 15 jours à Paris. L'auteur péruvien remporte le prix, et c’est ainsi qu’il a sa première relation physique avec la France.

Il part ensuite pour continuer ses études en Espagne, et ce n'est qu'en 1959, aux alentours de ses 20 ans, qu'il vivra pour la première fois dans la capitale française. C'est à ce moment-là, selon lui, qu'il découvre véritablement l'Amérique latine. Contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, c'est en France que Vargas Llosa commence à lire Gabriel García Márquez, Julio Cortázar et d'autres grands auteurs de la région. Il découvre alors « les problèmes communs aux pays d'Amérique latine et l'horrible héritage des dictatures militaires. » C'est à partir de là qu'il commence véritablement à écrire en espagnol et à se sentir comme un écrivain du Pérou et de l'Amérique latine.

Parallèlement, dès son arrivée, Vargas Llosa découvre celui qui deviendra l’auteur qui marquera définitivement son style littéraire : Gustave Flaubert. Il raconte avoir acheté un exemplaire de Madame Bovary le soir même de son arrivée, et l’avoir relue une milliers de fois depuis.

C’est donc en France, qu’avec la découverte de ce nouveau monde intellectuel latino-américain et de l’énorme influence du style de l'auteur de Salammbô, que Vargas Llosa finit par se consolider en tant qu’écrivain. C’est en effet à Paris que Vargas Llosa termine l'écriture de ses premiers ouvrages, tels que Ciudad de los Perros, Conversación en la Catedral et La Casa Verde, des livres qui finiront par marquer une époque.

Bien qu'il ne vive plus en France depuis longtemps, le lien entre ce pays et l’auteur péruvien n’a jamais cessé d’exister. Il a reçu la Légion d'honneur en 1985 de la part du gouvernement français, et en 2021, il a été élu membre de l'Académie française. Cette investiture témoigne de l'affection profonde et réciproque entre la langue française et le prix Nobel péruvien, et illustre l'influence marquante que le monde francophone a eue sur lui, au point de le faire devenir Immortel.

Alfredo Bryce Echenique

On va parler maintenant de, Alfredo Bryce, l’auteur d'un des grands classiques de la littérature latinoaméricaine, Un Mundo Para Julius. Ce dernier, ainsi que Vargas Llosa, est un des grands auteurs de l'histoire de la littérature péruvienne. Il a notamment reçu le Premio Nacional de Literatura, le Premio Nacional de Narrativa de España, entre autres.

À la différence de son homologue, son histoire avec la France commence plus tard. Après avoir entamé ses études de droit à l’université San Marcos, il part en 1964, autour de ses 25 ans, grâce à une bourse, pour faire des études en littérature française classique et en littérature française contemporaine à la Sorbonne. Il a ensuite donné des cours à de nombreuses universités dont Paris Nanterre, Paris-Vincennes, entre autres.

ecrivain
@historiaperuana

La période que Bryce Echenique a passée en France a été cruciale pour la formation de son identité personnelle et de sa vision artistique. Contrairement à l’image romantique et idéalisée de Paris souvent décrite dans les romans, Echenique a vécu une expérience « dure » dans la capitale française. Il considère néanmoins qu'il est essentiel pour un Latino-Américain d'être confronté à une ville comme Paris, qui peut être impitoyable, car cela favorise une maturité permettant de dépasser le « sentimentalisme » caractéristique des gens de la région.

Cela se reflète dans les thèmes littéraires abordés par Bryce Echenique. Dans ses premiers ouvrages, il critique la haute société péruvienne, qu'il dépeint comme raciste, cruelle et injuste. Un exemple notable est "Un mundo para Julius", où, à travers les yeux d'un jeune garçon, Echenique décrit diverses injustices, allant du racisme aux abus sexuels.

Par ailleurs, son expérience difficile en France l'a inspiré à démystifier la vie d'un expatrié dans la capitale française. Dans La vida exagerada de Martín Romaña, il raconte les expériences et les désillusions d’un personnage péruvien face à la vie dans la Ville Lumière. Il révèle un aspect beaucoup plus réaliste et cruel de la réalité d'un Latino-Américain à Paris, mêlant les défis de l'adaptation culturelle à une quête personnelle d'identité et d'épanouissement.

César Vallejo

L’auteur dont il sera question maintenant possède une relation très complexe avec la France. Son séjour à Paris a été constamment associé à la souffrance, la pauvreté et la misère. Cependant, c’est cette dimension de sa personne qui a créé autour de lui une mystique, laquelle, associée à la magnificence de ses œuvres, l’a élevé au rang de l’un des poètes les plus importants du XXe siècle.

Avant même son arrivée en France, Vallejo avait déjà une vie compliquée. Il avait connu un séjour éphémère en prison à la suite d’une fausse accusation d’avoir provoqué un incendie. De plus, l’échec face au public de l’époque de son recueil de poésie Trilce, qui deviendra plus tard un classique de la poésie d’avant-garde, avait été une grande déception pour lui.

On n’est pas sûr si c’est à cause de ces événements ou simplement par curiosité intellectuelle que Vallejo décide de partir en Europe. Il arrive à Paris en 1923, à l’âge de 31 ans pour ne plus jamais retourner au Pérou.

ecrivain
@Suzy Hazelwood

Toutefois, la réalité est que la péripétie de Vallejo au Vieux Continent se résume en grande partie à la misère. Pour subsister, il travaille comme pigiste dans divers journaux, et sans domicile fixe, il se déplace d’un hôtel à un autre. On dit même qu’il a dû dormir dans les rues à certaines occasions. Ceci exacerbe la dimension obscure qui existait déjà en lui, faisant de la mort, de la souffrance et des injustices ses sujets de prédilection dans ses poèmes, qui seront, pour la plupart, publiés posthumément.

« Je mourrai à Paris, un jour d’averse, Un jour dont j’ai déjà le souvenir.

Je mourrai à Paris — j’en ai pas honte — Peut-être un jeudi d’automne. »

C’est ainsi que Vallejo commence son poème Pierre noire sur pierre blanche. Et effectivement il ne s’était pas trompé, puisque c’est à Paris que le génie incompris péruvien trouva la mort, non pas un jeudi d’automne comme il l’avait prédit, mais bien un jour pluvieux, gris et triste, à l’image de sa vie.

RODRIGO
Publié le 29 juillet 2024, mis à jour le 30 juillet 2024

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