Comment expliquer la relation surréaliste qui existe entre Indochine et le Pérou ? Vladimir Søren, responsable du collectif « Indochine Perú » nous donne quelques éléments de réponses.
Indochine occupe une place spéciale dans le cœur des péruviens. Depuis plus de 30 ans, aucun autre groupe français n’a été autant suivi et aimé au Pérou. Toujours actuellement, on écoute les chansons d’Indochine tous les jours à la radio.
Les fans du Pérou sont toujours très actifs sur les réseaux sociaux. La dernière conférence de presse de Nicola Sirkis, leader d’Indochine, avec le Pérou date d’il y a seulement quelques semaines. Aussitôt, tous les grands journaux du pays en ont fait d’importantes publications.
Alors pourquoi ? Pourquoi existe-t-il une histoire d’amour aussi forte entre Indochine et le Pérou, qui pourtant, faut-il le rappeler, est un pays qui ne parle pas français ?
Nicola Sirkis : « À la question pourquoi ? Je n’en sais rien ! C’est magique »
Voilà ce que répondait le leader d’Indochine à cette question lors de la conférence de presse organisée par l’Alliance française de Lima le 17 juin dernier.
« Je me souviens en 1988, à la conférence de presse à l’AF de Lima, un journaliste péruvien m’avait demandé pourquoi vous avez choisi le Pérou ? J’ai répondu que ce n’est pas nous qui avions choisi le Pérou mais le Pérou qui nous avait choisi ! Pourquoi ? Comment expliquer… ? C’est un peu tout le succès irrationnel d’Indochine… Au Pérou, on pourrait jouer dans un grand stade et dans les autres pays d’Amérique latine dans des petits clubs ».
Pour essayer d’expliquer pourquoi les péruviens aiment tant Indochine, nous sommes allés poser la question à Vladimir Søren, le responsable du fan-club « Indochine Perú ». Il nous précise tout d’abord que « la société péruvienne est très perméable », dans le sens où elle sait recevoir ce qui provient de cultures étrangères. Ensuite, au niveau musical, il nous explique qu’il faut recontextualiser les choses.
« À la fin des années 80, le rock est déjà bien en place. Les radios passaient des chansons de groupes qui chantaient en espagnol et en anglais. Les mélodies étaient relativement semblables les unes des autres ou du moins elles ne réussissaient pas à toucher les péruviens. Au milieu de toute cette offre musicale est apparue la musique d’Indochine. Il y avait quelque chose d’exceptionnel qui éveillait la curiosité des jeunes. Ils ne comprenaient rien au texte mais le rythme et la mélodie détenaient une force qui les stimulait ».
C’est en 1986 que les chansons d’Indochine, notamment « Le troisième sexe », déferlent sur les radios péruviennes. « La seule manière de calmer nos préoccupations [à l’époque] était d’écouter de la musique. C’était le seul moyen par lequel un jeune pouvait oublier les problèmes qu’il retrouvait à la maison ». À cette époque, le Pérou traverse une période difficile. Le pays est dans une situation désastreuse, au bord de la guerre civile entre crise économique et terrorisme. Presque aucun artiste international ne venait s'aventurer au Pérou pour des raisons de sécurité.
C’est pourtant dans ce contexte, en 1988, que le groupe des frères Sirkis débarque pour quatre concerts qui réuniront plus de 40.000 personnes. Le concert programmé au Coliseo Amauta de Lima, d'une capacité d'accueil de 20.000 personnes, s'est joué à guichets fermés. « Il n’y a pas une journée, depuis 1988, où je ne me rappelle pas de nos 4 concerts que nous avons eu à Lima. Ça reste très fort dans ma tête, je sais que nous avons toujours beaucoup de fans là-bas… ça reste quelque chose d’exceptionnellement fou ! Quand Indochine est venu au Pérou en 1988, ça a été un phénomène national incroyable ! » indique Nicola Sirkis.
Vladimir Søren : « Au milieu des voitures piégées, au milieu des attentats et des assassinats… l’amour à distance entre Indochine et son public péruvien se devait d’être scellé par un mariage, ce fut une rencontre intime qui dura 4 nuits en 1988. Même si beaucoup de jeunes n’ont pas pu assister à ce rendez-vous parce qu’ils étaient loin de Lima, cette expérience vécue s’est transmise de générations en générations ».
Vladimir rappelle également l’importance de la relation intergénérationnelle dans les familles nombreuses péruviennes des années 80, « inconsciemment, les enfants absorbaient les musiques qui s’écoutaient à la maison », et celle du rôle joué par les radios locales, de disques vinyles et surtout des cassettes. « Les cassettes arrivaient là où les radios n’émettaient plus. La force mélodique d’Indochine n’est pas restée confinée à un seul quartier de Lima. L’Aventurier a été écouté dans tout le Pérou, des plaines où se sont affrontées les armées de Huáscar et d’Atahualpa, aux prairies d’Ayacucho… en passant par là où un élève devait marcher plusieurs kilomètres pour rejoindre son école et beaucoup d’autres lieux loin des villes ».
« La musique d’Indochine vit en harmonie avec tous les styles musicaux propres au Pérou… comme la cumbia tropicale andine… mais cela n’empêche en rien d’avoir toujours autant de péruviens qui écoutent Indochine ».
Projet d'un concert en 2021 au Pérou pour le bicentenaire ?
Après leur passage en 1988, Indochine n'est plus jamais revenu donner de concert au Pérou. Pourtant, nombreux sont les fans péruviens qui les attendent toujours de pied ferme.
Quand on parle à Nicola Sirkis d’un projet de concert en 2021 au Pérou pour le bicentenaire, il répond : « Ce serait parfait, nous sommes en tournée pour nos 40 ans en Europe, et effectivement ce serait le meilleur moment pour venir au Pérou. Nous avons beaucoup de propositions tous les ans pour venir jouer au Pérou, on n’a malheureusement jamais pu y répondre. Ce serait génial mais… les gens s’attendent à quelque chose de fort, d’énorme, donc… il faut qu’on réfléchisse à comment présenter quelque chose de digne au Pérou pour juste un concert, c’est beaucoup de travail mais j’espère que ce sera le moment enfin de venir jouer au Pérou en 2021 ».
« Le Pérou traverse une crise difficile comme toute l’Amérique latine [à cause du Coronavirus], il y a toujours de l’espoir pour que ça aille mieux dans quelques semaines, on pense beaucoup à tous les péruviens ».