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Willka T’ika, le rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des Andes

Willka T’ika, le rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des AndesWillka T’ika, le rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des Andes
© Willka T'ika 
Écrit par Le Petit Journal LIMA
Publié le 24 février 2022, mis à jour le 5 juin 2023

Alors qu’il faisait ses études en France, Marco Chevarría a conçu l’idée d’un centre botanique pour répondre à un besoin urgent, celui d’assurer la conservation et la promotion de la flore andine.

Le jardin botanique Willka T’ika (« Fleur sacrée » en français) fait partie de l’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM) qui, créée dans le sillage de trois associations d’élus de la montagne de l’Europe, de représentants de territoires de montagne d’une cinquantaine de pays, d’ONG et de chercheurs, milite pour que les populations de montagne aient une meilleure maîtrise de leur destin et de leurs choix de développement. Ce n’est cependant pas le seul lien avec la France. En effet, un des fondateurs du centre, Marco Chevarría, qui répond ici à nos questions, a conçu l’idée du centre botanique alors qu’il  faisait ses études en France, pour répondre à un besoin à la fois urgent et invisible : assurer la conservation et la promotion de la flore andine.

 

Est-il possible de faire ces études de botanique au Pérou ?

« Aujourd’hui c’est plus facile, mais à l’époque, dans les années 2000 – 2001, il y avait seulement quelques heures de botanique dans le cursus de biologie. Pour approfondir, comme je l’ai fait par une maîtrise et un DEA, il fallait partir à l’étranger.  Outre ces deux diplômes (à l’université d’Orléans et à la Sorbonne), j’ai pu faire mes études dans le cadre de l’IRD, et parmi les sept fondateurs du jardin, deux sont Français. En fait je cherchais un moyen de traduire, au Pérou, ce que j’avais appris et vécu en France, et les choses sont devenues claires dans mon esprit : il fallait créer un jardin botanique dédié aux plantes ornementales. Nous y travaillons concrètement depuis 2008 ».  

 

Le souci des plantes fait-il partie de la culture andine ?

« Les gens de la campagne sont très attachés aux différentes espèces de plantes. J’ai rencontré un paysan qui a collecté plus de 65 espèces de kantu (Cantua bugsifolia), mais au Pérou, il y a très peu, voire aucun, soutien des institutions. Notre jardin est peut être unique au Pérou, et même dans toute la région andine (Equateur, Bolivie et Colombie). Il existe un jardin d’orchidées au nord du Pérou, et plusieurs centres, dont le Centre international de la pomme de terre, consacré aux plantes alimentaires, mais rien sur les fleurs ornementales, ce qui est incompréhensible quand on pense à la richesse de la flore péruvienne et aux périls qui pèsent sur elle ».

 

Pour vous, il y a un potentiel écologique, culturel et aussi économique dans la promotion de ces fleurs ?

« Oui, j’ai aussi passé 6 mois en Hollande dans le cadre du IAC (International Agricultural Center) et j’ai bien évidemment visité des entreprises de production de fleurs. J’y ai appris que dans les années 2004-2005, il y avait eu un boom de deux fleurs andines, l’Inca Lila et l’Andean Lila (Alstroemerias). Les graines étaient venues en Europe dans les années 1940 et c’étaient des Hollandais qui les exploitaient ».

 

Pensez-vous que le Pérou pourrait procéder à l’amélioration génétique de ses  fleurs et ne plus être un pays d’extraction en quelque sorte ?

« C’est une ambition qui dépasse pour l’instant largement nos capacités. Cependant, il est nécessaire de conserver les fleurs et de les inventorier pour être en capacité de négocier avec les entreprises. Je parle ici de régulation, qui est un autre sujet sur lequel je me penche activement. En effet, aujourd’hui des voyageurs emportent des graines (et en apportent). En réalité, c’est interdit, dans un sens comme dans l’autre, mais il n’y a dans les faits aucun contrôle. Il faut donc mettre en place des instances qui soient capables de faire respecter les normes, qui existent au plan international, andin et péruvien, pour éviter ce pillage. En fait il en va de même pour les banques de semences alimentaires dont celle de Svalbard en Norvège qui est la plus connue : certes les semences sont conservées, mais rien n’empêche les multinationales agroalimentaires de venir se servir. Il y a donc ici un thème fondamental de souveraineté des États qui entre en jeu, la souveraineté sur les ressources phytogénétiques ».

La richesse de la flore du Pérou, un potentiel qui n’est pas visibilisé.

« Par exemple, le plus grand pourcentage de fuchsias du monde vient des Andes. Notre proposition est donc de conserver, aider à connaître et valoriser cette flore dans toutes les dimensions, économiques et culturelles. Dans les Andes, à la hauteur du niveau écologique « quechua » où se situe le jardin (soit entre 2700 et 3400 mètres), un premier inventaire compte 320 espèces de fleurs, mais il est loin d’être complet. Il existe au Pérou un registre scientifique de toutes les plantes, dont nous savons qu’il comprend environ 50 % de l’ensemble. Certes c’est surtout pour les zones amazoniennes qu’il reste une grande part d’inconnus, mais les chercheurs du centre de la pomme de terre, qui ont recensé plus de 5.000 accessions de pommes de terre, disent qu’il en existe d’autres ».

 

Votre objectif est de conserver ces 320 espèces ?

« Oui, notre ambition – ou notre rêve – serait d’avoir une collection totale, mais aussi de faire du travail de recherche, de systématiser les connaissances, de nourrir une base de données et de susciter des collaborations interdisciplinaires. En effet, il y a les aspects culturels essentiels de la flore, qui méritent d’être mieux explorés. Nous parlons de cultures millénaires, et les fleurs, souvent ornementales, ont eu des usages variés à travers le temps jusqu’à aujourd’hui. Des fleurs sont présentes, codifiées et symbolisées, dans le tissage andin et dans la céramique andine. Nous parlons d’une culture vivante, et d’une iconographie en mouvement. Les femmes portent telle ou telle fleur sur leur chapeau selon qu’elles sont ou non mariées ; pour le carnaval, les animaux sont ornés de fleurs, et il y a le Palchay, une fête traditionnelle de carnaval dans laquelle les jeunes, filles et garçons, dansent après avoir cueilli des fleurs sauvages et s'en être parés. Il y aurait aussi long à dire sur les significations des couleurs. Il en est fait aussi un usage médicinal, ou encore un usage « chamanique » - certaines plantes sont hallucinogènes, comme les Brugmansias (floripondios) ; d’autres aphrodisiaques – pour ne rien dire des fleurs culinaires. En réalité, les pratiques sociales autour des fleurs présentent cette union des dimensions festives, médicinales et spirituelles qui caractérise la culture andine. Voilà pourquoi nous voudrions que nous rejoignent des anthropologues, des ethnobotanistes, des gastronomes etc. ».

 

Allez-vous dans les communautés pour collecter des informations ?

« Hélas pas de façon systématique, mais oui, chaque fois que je me rends quelque part, je prends des photos, je mène des entretiens, j’essaye de recueillir toutes les informations possibles sur les usages culturels des fleurs et leurs particularités locales. Les habitants des campagnes ont conservé et continuent de conserver des fleurs, et théoriquement l’État péruvien, signataire de diverses conventions, devrait les reconnaître. Il faut dire aussi qu’il y a très peu de littérature sur le sujet. Des traces dans des ouvrages remontant à la colonie où le thème des fleurs est associé à celui de la nécessaire extirpation de l’idolâtrie. De fait, il n’est pas absurde de penser qu’il y avait une phytolâtrie à l’époque préhispanique : elle est étudiée par un docteur du Cusco, Fortunato L. Herrera ».

 

Willka T’ika, le rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des Andes
© Willka T'ika 

 

Certaines plantes sont-elles en danger de disparition ?

« Oui, dans la classification officielle de la flore sylvestre menacée du Pérou et sur la liste rouge de l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), on trouve plus de 700 variétés de plantes péruviennes, parmi elles, les Amancaes (Ismene amancaes) pourtant symbole de Lima, la capitale du Pérou.  Pour l’instant le danger ne vient pas de la disparition des abeilles, très présentes à ce niveau écologique, mais si l’agriculture intensive devait continuer à se généraliser, la pollinisation serait en péril, comme en Europe. Les plantes disparaissent plutôt à cause de l’extraction incontrôlable, et aussi à cause des plantes invasives, au premier chef le kikuyu, une graminée qui a été introduite au Pérou dans les années 1920 pour promouvoir le développement de l’élevage et qui est aujourd’hui une véritable catastrophe ».

 

Concrètement, comment est votre jardin ? Quelles sont vos activités ?

« Nous avons 5.000 m² répartis en trois parcelles, à Yucay, dans la vallée sacrée, un endroit dont nous savons qu’il servait de villégiature pour les Incas. Nous avons conçu le jardin en suivant une iconographie inca. Il se développe grâce à quelques appuis locaux – la plupart des voisins sont indifférents, par pragmatisme. L’idée est aussi de respecter le cycle de l’eau : dans les Andes, il y a une saison sèche et une saison des pluies, et les végétaux natifs ont les ressources pour survivre aux quatre mois de sécheresse. Aujourd’hui, avec le changement climatique, ces 4 mois sont devenus parfois 6 ou 7 mois, et nous devrons nous adapter. En tout cas, il est important ne pas consentir sans rien faire à la disparition de ces plantes ornementales, parfois sacrées ».

« Au titre des activités culturelles, nous voulons permettre le développement des arts liés aux fleurs. Pour l’instant, nous participons à un projet qui, sur 5 ans, va permettre de « semer » des poèmes, pour le centenaire du célèbre poème avant-gardiste de César Vallejo, Trilce ». 

« Ce rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des Andes a fait ses premiers pas... Nous invitons tous les passionnés de la conservation des plantes ornementales à nous rejoindre, comme le disait le poète : « Il y a, mes frères et sœurs, tant à faire ». Visitez-nous sur notre site web https://willkatika.weebly.com ou sur FB : Centro Willka T'ika ».

 

Willka T’ika, le rêve d'un jardin botanique de fleurs indigènes des Andes
© Willka T'ika 

 

Marco Chevarría Lazo est originaire de Cusco, au Pérou. Avocat et écologiste passionné par la conservation du patrimoine naturel et culturel andin, il est jardinier par vocation et affection, c’est un fervent zélateur des fleurs des Andes.

Propos recueillis par Sylvie Taussig, écrivaine et chercheuse au CNRS. Dernières publications : Richelieu (Gallimard, Collection Folio biographies, 2017) ; Sous le nopal (Jingwei éditions, 2017) ; Le Système du complotisme (Bouquins, 2021).

 

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