Invité par l'Ambassade de France au Pérou et la Camara peruana del Libro dans le cadre de la 26ème édition du Salon international du livre de Lima – (FIL 2022), le scénariste français Romain Dutter nous parle de son lien avec le continent sud-américain, une histoire passionnelle au cœur de son projet de quatrième roman graphique.
Je suis passionné par l'Amérique latine et j'essaie de comprendre pourquoi !
L’histoire qui lie Romain Dutter à l’Amérique latine commence il y a plus de 20 ans. Tout jeune bachelier et avant de commencer des études de Médiation culturelle à Paris, il rêve de voyages et notamment de découvrir les Andes péruviennes. Romain réussit à partir pour un mois en Bolivie en tant que volontaire international, une première expérience en Amérique latine qui se passe très bien mais trop courte à son goût (il y retournera l’année suivante). Puis en 2001, il travaillera au Pérou, un mois dans une association qui met en place des bibliothèques de rue à Cusco, mais aussi en Bolivie et au Chili.
« Ensuite, je reviens en Amérique latine en 2003, pour y rester un an et demi. Je pars pour le Honduras en Service volontaire européen. Je me retrouve à travailler dans une maison de la culture à Santa Rosa de Copán et à aller frapper à la porte de la prison de cette petite ville. Ce qui n'est pas tout à fait un hasard parce que depuis toujours, je suis plutôt dans les cultures alternatives, entre le social et le culturel, et je suis également très attaché à ma liberté, donc l'enfermement et la thématique carcérale sont des questions qui me parlaient. Je n'avais jamais mis les pieds dans une prison, ni en France ni en Amérique latine. Mais le contexte était super avec ces détenus, j’ai passé 9 mois avec eux d’abord sur un axe plus social et ensuite un peu plus culturel avec des ateliers où nous faisions intervenir des artisans de la ville pour leur enseigner le travail du cuir, du bois… il y avait un vrai échange ! »
Après être repassé par le Pérou, Romain retourne en France en 2004 et garde dans un coin de sa tête cette expérience en prison. Il reprend ses études avec un master en Coopération internationale, ce qui va lui permettre de repartir plusieurs fois en Amérique latine : Bolivie, Pérou, Argentine…
« Je reviens en France en me demandant ce que j’allais faire : France ? Amérique latine ? Pérou ?... Finalement, je me dis que je veux être parmi les miens et agir sur du local en France, toujours en utilisant les deux volets, social et culturel, de mes études de Médiation culturelle et de Coopération internationale. Et un jour, quelqu’un me parle d’un poste de coordinateur culturel dans le centre pénitentiaire de Fresnes. Je regarde l’annonce et je me dis que c'est pour moi !... Je commence à travailler à Fresnes en 2008 et j’y resterai jusqu'en 2018 ».
De cette expérience de 10 ans en milieu carcéral où vous avez facilité l'accès à la culture pour les détenus, vous voulez en témoignez, ce que vous ferez à travers le roman graphique, pourquoi ce support d’expression ?
« Pendant que je travaille à Fresnes, j’ai fait un documentaire, en tant que scénariste, sur les cultures urbaines en Amérique latine (Bolivie, Argentine et Chili) : “Latin Street Revolucion”. J'ai toujours eu cette fibre de l'écriture mais avec un peu la peur de me lancer. À Fresnes, je prenais des notes sur mon expérience dans la prison parce que je me disais que ça pourrait être intéressant d'en parler. Il y a une véritable curiosité des gens sur le milieu carcéral. Au début, j'ai essayé d'en faire un simple témoignage écrit mais je n'arrivais pas à retranscrire toute cette expérience à travers uniquement des mots, il manquait quelque chose. Étant donné que je suis fan de bandes dessinées et que je lis beaucoup de romans graphiques, j’ai commencé à imaginer des planches sur certaines anecdotes vécues en prison et finalement, je me suis lancé dans l’écriture d’un scénario d’une quarantaine de pages de BD ».
Romain Dutter part ensuite à la recherche d'un dessinateur. Il fait jouer la force de son réseau et rencontre une dizaine d’illustrateurs mais le style ne correspond pas ou le feeling n’est pas au rendez-vous. C’est finalement un très bon ami avec qui Romain est parti plusieurs fois en Amérique latine, Grégoire Bouquet (qui fait tourner des groupes de cumbia en France grâce à sa boîte de production “Boa Viagem Music”), qui lui dit « Mon frère dessine ! » « En voyant les dessins que Julien faisait, je me dis que c'est mortel et que c’est exactement ce que je veux… Donc très vite, je l'appelle pour lui proposer mon projet et c’est parti ! Nous commençons à travailler sur un dossier pour les maisons d'édition. Après six mois de préparation, nous présentons ce dossier à Steinkis qui nous dit qu’ils sont très intéressés et nous font rapidement signer un contrat ».
« Symphonie carcérale, petites et grandes histoires de concerts en prison » (Steinkis, 2018 – Illustrateur : Bouqé), traduit en espagnol par la Maison d'édition Dibbuks en 2019.
Vous restez très proche du Pérou puisqu’en 2019, vous êtes venu présenter votre livre dans une prison de Lima et aujourd’hui, vous revenez notamment pour des interventions à la FIL 2022…
« En 2019, j’ai présenté mon livre dans la prison Miguel Castro Castro. Je suis intervenu dans le cadre d'une rencontre et d’un atelier organisés conjointement par l’association Red Ayni Perú et l’INPE (Institut National Pénitentiaire péruvien) : une expérience incroyable ! Le fait de pouvoir présenter mon livre en espagnol, au Pérou, dans une prison, c’était très fort en émotion pour moi ».
« Ensuite, malgré une tournée dans tout le Pérou en 2020 annulée pour cause de pandémie de Covid-19, j’ai participé, l’année dernière et cette année, à travers des ateliers en visioconférence sur l’écriture d’un scénario, au Concours du Roman Graphique ». (“Concurso Nacional de Narrativa Gráfica” organisé par la Maison de la Littérature Péruvienne, le réseau des Alliances Françaises du Pérou, l’Ambassade de France au Pérou et le Ministère péruvien de la Culture par l’intermédiaire de la Direction du Livre et de la Lecture).
Pour ce nouveau voyage sur les terres péruviennes, Romain Dutter a commencé par une intervention au Lycée français de Lima (Colegio Franco Peruano), ce mardi 2 août, où il a parlé aux classes de secondes de romans graphiques bien sûr, mais aussi de l'importance que peut avoir l'accès à la culture dans les prisons en France et au Pérou.
Dans le cadre de la 26ème édition du Salon international du livre de Lima (FIL 2022), le scénariste français a déjà participé à deux tables rondes (le mardi 2 août : "Espace et territoire dans le roman graphique" et le mercredi 3 août : "Récits illustrés : l'importance des images pour la littérature et les autres médias"). Il interviendra une troisième fois ce jeudi 4 août, à 19h, autour de la thématique suivante : "Littérature de témoignages et documentaires comme expression de la réalité" (Parc des expositions FIL - Auditorium Clorinda Matto, Parc Próceres, Jesús María).
Vous travaillez actuellement sur votre quatrième projet de roman graphique (prévu pour fin 2024) qui se concentrera sur l'Amérique latine et la relation passionnée qui vous lie à ce continent depuis plus de vingt ans, parlez-nous-en !
« C'est un projet auquel je pense depuis des années, avant même d'être auteur de BD. Ce que je veux raconter, c'est en quoi l'Amérique latine m’a construit moi individuellement, en m'apprenant énormément, et en quoi j'espère lui avoir moi aussi transmis certaines choses à travers un échange culturel lors de ces 20 ans de différents voyages et projets sur le continent ».
Je veux raconter cette relation amoureuse que je considère partagée.
« Comme dans toute relation amoureuse, je veux expliquer comment nous avons appris à nous connaître et à dépasser les clichés l'un sur l'autre, c’est-à-dire dépasser la vision exotique que je pouvais avoir sur elle et réciproquement qu’elle dépasse l’image du gringo. Comment nous avons appris à nous aimer et comment notre relation est aujourd'hui apaisée et partie pour de très longues années. Mais aussi montrer comment le voyage et la relation à l'autre est quelque chose de fondamental. Comment la culture et les rencontres transforment une personne et permettent de se sentir bien avec soi-même ».
« L’idée est de montrer un regard d’un Français sur l’Amérique latine, sur ce que j’aime mais aussi ce qui me dérange de ce continent, sans angélismes pour ne pas que ce soit cliché ni d'un côté ni de l'autre. Et comme je parle de relation amoureuse, je voulais travailler avec une illustratrice pour avoir un regard féminin et justement ne pas tomber dans les clichés. Ce sera Elléa Bird que j’ai rencontrée à travers ma maison d’édition et qui apportera un autre regard et un autre style de dessin. Nous intégrerons également à ce roman graphique des photos de voyages et de rencontres, une manière d'être plus hybride sur la forme ».