« L’amour est enfant de bohème, il n’a jamais jamais connu de loi… »
Voilà des paroles qui n’avaient pas résonné entre les planches du Teatro Municipal de Lima depuis des décennies.
Publié le 5 septembre 2025, mis à jour le 16 septembre 2025
Pour la première fois, c’est une cheffe française, Nathalie Marin, qui fait renaître Carmen, à l’occasion de la relance de la saison lyrique 2025.
Carmen, hier rebelle, aujourd’hui universelle
Créé le 03 mars 1875, cet opéra du compositeur George Bizet fête cette année ses 150 ans. Au fil des quatre actes, le public suit Carmen, une jeune bohémienne libre et insoumise, qui refuse de se laisser dominer par l’amour jaloux d’un soldat et paie de sa vie son désir d’indépendance.
Provocatrice à l’époque de Bizet, l'œuvre est aujourd’hui mondialement acclamée, avec plus de 20 300 représentations en 2024, selon Operabase, qui classe ainsi Carmen en troisième place des opéras les plus joués au monde. À Lima, la mise en scène épurée de Jean-Pierre Gamarra et les prestations de Silvia Tro Santafé (Carmen), Marcelo Puente (Don José), Vittorio Prato (Escamillo) et Darija Augustan (Micaëla) captivent la salle et prouvent que Carmen n’a rien perdu de sa force. Le public liménien, plus expressif qu’en Europe, applaudit entre chaque air et acclame les chanteurs à pleine voix.
Pour Nathalie Marin, ce choix de programmation illustre l’importance de « faire dialoguer le patrimoine et la création ». Après Bizet, elle dirigera L’Enfant et les Sortilèges, une fantaisie lyrique composée par Maurice Ravel entre 1919 et 1925, dans une mise en scène du Franco-Suisse Christophe Feutrier. Cet opéra studio sera l’occasion d’initier de jeunes professionnels au répertoire français, sur la scène du sublime Teatro A. Segura, du 12 au 14 septembre prochains.
Mais pour Nathalie Marin, faire revivre le patrimoine ne suffit pas : elle milite aussi pour la création contemporaine et pour que plus de femmes prennent place dans un univers encore très masculin.
« Je suis militante pour les compositrices », aime-t-elle rappeler.
À l’occasion de L’Enfant et les sortilèges, elle a choisi de former une jeune cheffe d’orchestre péruvienne, un geste symbolique qui illustre sa volonté de transmettre et de donner une place aux femmes sur le podium.
Quand la direction d’orchestre se conjugue au féminin
Devenir cheffe d’orchestre, c’est entrer dans un monde longtemps fermé aux femmes.
« Pendant des décennies, les grands orchestres européens n’ont pas accepté de femmes », rappelle Nathalie Marin.
« Il ne faut pas parler avec des pincettes, il faut le dire, haut et fort : c’est encore malheureusement trop rare. Quand j’ai commencé, il fallait se battre. On m’invitait beaucoup le 8 mars, mais je disais “il y a aussi d’autres dates où je peux diriger !” »
Peu à peu, les mentalités évoluent.
« J’ai dirigé en Suisse il y a une vingtaine d’années, et déjà ils écrivaient cheffe et pas chef, alors qu’en France c’était encore un scandale ! Mais maintenant, c’est admis. »
Nathalie Marin
Moins corsetés par des siècles de traditions, les orchestres latino-américains ont laissé plus vite une place aux femmes, là où l’Europe est restée figée — l’Orchestre philharmonique de Vienne n’a admis sa première musicienne qu’en 1997..
« Alors peut-être que dans la vie, les Latinos sont machos… Je ne sais pas s’ils le sont plus que les Français, mais dans la musique académique, ils ont donné plus vite une place aux femmes cheffes d’orchestre qu’en Europe », confie Nathalie Marin.
Formée en France et au Danemark, elle a dû s’imposer dans un contexte encore très fermé.
« Le métier de chef d’orchestre est emblématique : on est sur un podium, c’est un métier d’autorité. Dans des orchestres presque exclusivement masculins, ça leur faisait bizarre d’être dirigés par une femme. »
La liberté comme partition
Mais comme l'héroïne de Bizet, Nathalie Marin est allée au bout de sa passion, menant à la baguette ceux qui tentaient de s’interposer sur son chemin. Dès l’âge de cinq ans, lorsqu’elle dirigeait déjà son frère dans le salon familial, Nathalie Marin connaissait sa vocation pour ce métier si exigeant.
« Carmen, elle est très émancipée, elle est rebelle, elle est libre, surtout. La liberté, c'est aussi une des valeurs essentielles à ma vie », confie-t-elle.
De l’Ouzbékistan au Pérou, en passant par la Turquie et la Chine, Nathalie Marin a dirigé dans trente pays, dessinant une trajectoire artistique résolument cosmopolite.
« J’aime les voyages, j’aime aller à la rencontre des cultures. » nous souffle-t-elle.
Du rêve d’enfant aux plus grandes scènes internationales, elle s’impose aujourd’hui comme une Carmen contemporaine : libre, audacieuse et résolument fidèle à sa propre voix.