Après une séance de plus de 8 heures, le Parlement n'a pas approuvé la motion de censure lancée contre le président Pedro Castillo. Les 87 votes nécessaires pour le destituer n'ont pas été atteints.
Le Parlement péruvien s’est réuni ce lundi 28 mars pour débattre et voter la motion de censure déposée par les partis « Renovación Popular », « Avanza País » et « Fuerza Popular » à l’encontre du Président Castillo, au motif « d'incapacité morale permanente ».
Il s'agit de la deuxième tentative de destitution contre Castillo depuis son élection en juillet 2021, date à laquelle il a remporté un scrutin très serré contre Keiko Fujimori. Le Congrès avait déjà rejeté la première motion de censure le 7 décembre 2021.
L’opposition de droite conservatrice lui reproche, entre autres, des irrégularités lors de la nomination de hauts gradés de la police et des forces armées, des mensonges lors d’enquêtes fiscales, des nominations « douteuses » de plusieurs ministres, mais aussi le projet de soumettre à référendum la cession d’un accès territorial vers la mer à la Bolivie.
Une séance perturbée par plusieurs incidents
La session plénière du Congrès a débuté vers 15h. Le président Pedro Castillo a d’abord pris la parole pour exercer son droit à se défendre contre la motion de censure, puis il s'est retiré de l'hémicycle.
Bien que se soumettant à la règle de la démocratie, le chef de l’État s'est interrogé sur le fait que les tentatives de destitution soient devenues « l'axe central de l'agenda politique et journalistique » depuis son élection. Il a ensuite affirmé que les accusations à son encontre étaient sans fondements, en les qualifiant de « pures spéculations médiatiques et politiques ».
Je vous demande de voter pour la démocratie, pour le Pérou et contre l'instabilité
Dans la dernière partie de son allocution, le président a indiqué que malgré la crise que traverse le pays, il faut avoir « foi et confiance » dans l'avenir du pays. Il a également demandé aux parlementaires de continuer à travailler ensemble. « Les défis urgents que nous avons en matière de santé, d'éducation, d'économie, de sécurité, exigent que nous travaillions ensemble, que nous mettions de côté les aversions et la méfiance, et que nous agissions avec grandeur, engagement et patriotisme », a-t-il déclaré.
La présidente du Parlement, María del Carmen Alva, a ensuite dû suspendre la séance et convoqué un conseil des porte-paroles des groupes parlementaires suite à un incident provoqué par la députée fujimoriste Leslie Olivos qui a brandi une affiche avec la phrase « Vacancia ya » (Destitution immédiate !) lors de l'intervention de l'avocat du président, José Félix Palomino.
Après le retour au calme, Palomino a pu reprendre son exposé des arguments de défense contre les différents points abordés dans la demande de destitution. Le débat des parlementaires sur la motion de censure n’a finalement commencé que trois heures après le début de la séance, vers 18h, pour se terminer par le vote après 23h. Pour officialiser la destitution du chef de l'Etat, 2/3 du nombre total des membres du Congrès, soit 87 voix, étaient nécessaires, mais ce résultat n’a pas été atteint.
55 votes « pour », 54 votes « contre » et 19 abstentions
Pérou, six ans de crise politique, économique et sociale
Depuis les élections générales de 2016, lorsque Pedro Pablo Kuczynski (PPK) a été élu président de la République, en battant Keiko Fujimori au second tour - fille du dictateur Alberto Fujimori - tout a commencé à se dégrader dans le pays. Suite à la présidence de PPK, qui n'a duré que deux ans après sa démission le 23 mars 2018, Martín Vizcarra a occupé cette fonction également pendant deux ans avant d’être destitué par le Congrès pour « incapacité morale » en novembre 2020. Son successeur, Manuel Merino, gouvernera moins de cinq jours puisqu’il démissionnera face à la pression des manifestations de la rue. Francisco Sagasti devient alors le troisième président du Pérou en une semaine. Il sera en poste de novembre 2020 à juillet 2021, date de l’élection controversée de Pedro Castillo.
Cette deuxième tentative de destitution contre Castillo, en seulement huit mois de gouvernance, enfonce toujours un peu plus le Pérou dans une véritable instabilité politique, économique et sociale. « La censure présidentielle a été banalisée. Cela enlève le sérieux de la politique. Face aux erreurs commises par l'exécutif, le Congrès n'aide pas beaucoup non plus. Tout cela a commencé lorsque Keiko Fujimori l'a utilisée pour évincer PPK, ce qui a généré une fracture qui n'a pas encore été refermée. La motion de censure contre PPK est survenue comme un caprice personnel de Mme Fujimori et est ensuite devenue une stratégie d'opposition standard » a déclaré Guillermo Nugent, historien et sociologue péruvien.
La CIDH s'inquiète de l'utilisation répétée de la censure présidentielle au Pérou
La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) estime que cette mesure ne doit pas être utilisée « pour affecter l'ordre démocratique constitué et les droits politiques des Péruviens »
En rappelant que la procédure de censure présidentielle a été lancée 6 fois depuis décembre 2017, la CIDH explique que cette mesure contribue aux problèmes de gouvernance du Pérou, un pays qui a eu 5 présidents et 3 parlements depuis 2016, un pays affaibli par les affrontements entre les différents pouvoirs public.
La CIDH souligne donc la nécessité urgente de redéfinir la procédure de censure présidentielle pour sortir de la subjectivité associée à la notion d’incapacité morale permanente, afin d'éviter son utilisation systématique, et rappelle que, conformément à la Charte démocratique interaméricaine, la séparation des pouvoirs est essentiel à la démocratie représentative.