Il était une fois… le travail ad honorem et les sept nains de la politique
J’ai un peu tourné la question dans ma tête pour savoir comment commencer cet article, et j’ai finalement opté pour le faire dans le pur style des contes de fées.
Publié le 3 septembre 2025, mis à jour le 5 septembre 2025
Il était une fois, où l’on se battait pour démocratiser la démocratie elle-même. On cherchait à ce que davantage de personnes participent à la vie politique et accèdent aux fonctions publiques.
Vous aurez bien noté que j’ai utilisé le passé, puisque, au moins au Pérou – et je dirais même dans une grande partie du monde –, cette mémoire est déjà couverte de toiles d’araignée.
Je veux bien vous parler du travail ad honorem en politique. Cette fameuse idée est répétée dans l’actualité par plusieurs acteurs, qui essayent de persuader dans une tentative nettement démagogique (voir article sur la différence avec le populisme) qu’un élu qui renonce à son salaire est nécessairement plus vertueux ou plus proche du « peuple ».
Ils prennent une critique parfaitement légitime de l’establishment politique et la transforment en une pomme empoisonnée : sous un vernis séduisant, leurs formules manichéistes démontrent une méconnaissance profonde des évolutions institutionnelles et des réflexions philosophiques qui ont fondé la rémunération des acteurs politiques.
Platon et la rémunération des dirigeants
Le montant de la rémunération des dirigeants est quelque chose de parfaitement discutable, tout comme le niveau de vie aussi présomptueux qu’ils maintiennent. Ce qui ne peut pas être remis en cause, en revanche, c’est la rémunération en elle-même.
Dans l’un des ouvrages majeurs de la réflexion politique, La République, Platon nous dévoile les raisons philosophiques qui la justifient. Suivons le déroulement de sa logique :
Ce disciple de Socrate part du principe que ceux qui gouvernent doivent le faire dans l’intérêt de tous, et non pas en cherchant leur bénéfice personnel. Jusqu’ici, je trouve que personne ne va s’opposer à ce que dit Platon.
Il poursuit en affirmant que toute activité ou tout métier est un art, et qu’à ce titre, il doit être rémunéré d’une manière ou d’une autre. En suivant cette logique, un dirigeant politique — ou un philosophe-roi, comme les appelait Platon — fait face à deux possibilités. Soit il reçoit une compensation économique pour son travail, précisément parce que ce dernier ne vise pas son intérêt personnel ; soit il gouverne en apparence gratuitement, mais en réalité sa rémunération provient de l’exercice même du pouvoir. C’est-à-dire qu’il en tire un bénéfice personnel, au détriment de l’intérêt commun.
En d’autres termes, Platon nous dit que la rémunération du politique découle directement du fait qu’il ne cherche pas son propre bénéfice à travers son action.
Je vois déjà ceux qui vont me dire que ce n’est pas toujours le cas. Bien évidemment — et vous avez toute la raison du monde.
Mais je vais me permettre de nuancer un peu votre propos, puisque la rémunération perçue par l’acteur politique est un élément, parmi d’autres, qui permet de lutter contre la corruption. Elle représente aussi un argument moral pour réclamer des comptes aux politiques qui s’écartent du bon chemin.
Une manière de dire : « Tu n’as aucun intérêt, ni aucune justification, à prioriser des intérêts personnels, puisque la rémunération de ton travail s’exprime déjà par ton salaire. »
@Kindel Media
Les professionnels de la politique
Attendez, je n’ai pas fini. Pour les haineux de la philosophie, je vous apporte aussi un peu de sociologie.
Dans tous les cas, pour cette partie je vais faire appel à un des pères fondateurs de la sociologie politique : l’Allemand Max Weber. Ce dernier, qui a étudié l’évolution et complexification de la tâche politique au cours des années, nous détaille l’apparition du salaire des dirigeants et fonctionnaires.
Historiquement, la relation entre représentant et représenté se nouait selon des logiques clientélistes. Dit de manière plus colloquiale, un électeur de l'époque réfléchirait ainsi : « Monsieur le candidat propose de réduire les impôts ; cela me convient, donc je vote pour lui. » Ce fameux « Monsieur», notable local disposant d’un capital social et économique très important, n’était pas rémunéré, et son mandat lui servait avant tout à renforcer son ancrage local et à exercer son paternalisme dans son secteur.
Avec la modernisation des sociétés et des systèmes sociaux, les activités politiques deviennent de plus en plus complexes, nécessitent donc une expertise particulière pour être exercées. De même, l’apparition des classes moyennes ainsi que l’instauration du suffrage universel suscitent l’intérêt d’une nouvelle partie de la population pour accéder aux fonctions politiques.
Ces deux phénomènes conduisent à ce que Weber a appelé la professionnalisation de la politique. Les politiques, qui vivaient pour la politique, vont aussi vivre de la politique, c'est-à-dire, en recevant un salaire ou une indemnité. Cette professionnalisation permet de démocratiser l’accès aux fonctions de représentation.
S’il est clair que la politique reste, de manière générale, « une affaire de riches », le salaire a permis à une énorme quantité d’acteurs issus de milieux modestes d’exercer cette activité. Concrètement, si l’on travaillait encore ad honorem en politique, nous n’aurions jamais eu un Pepe Mujica ou un Lula.
Parallèlement, le fait que la politique devienne un métier crée une incitation à bien gouverner : les élus, soucieux de conserver leur poste, chercheront à répondre aux attentes des citoyens pour ne pas être évincés lors des prochaines élections. C’est donc aussi une manière de garantir un certain professionnalisme et une forme de responsabilité dans l’exercice du pouvoir.
Faire travailler les politiques ad honorem ne fera donc que réduire la qualité de nos dirigeants, les rendre plus irresponsables, et réserver le pouvoir à une petite élite économique et sociale. Personnellement, ce n’est pas ce que je souhaite pour mon pays.