Édition internationale

Entretien avec Sophie Briante Guillemont, « La voix des Français de l’étranger »

Alors que l’Hexagone est secoué par la crise gouvernementale et de nouvelles mobilisations sociales, la sénatrice des Français établis à l’étranger, Sophie Briante Guillemont, a accordé un entretien au Petit Journal.

Sophie Briante GuillemontSophie Briante Guillemont
@Sophie Briante Guillemont, sénatrice des Français de l’étranger
Écrit par Émilie PIEL
Publié le 17 septembre 2025, mis à jour le 29 septembre 2025

 

Créés dès la IVᵉ République, les sénateurs des Français établis hors de France sont aujourd’hui au nombre de douze. Avec un mandat de six ans, ils siègent au Sénat aux côtés de leurs homologues de métropole et portent les préoccupations spécifiques des quelque 3,5 millions de Français vivant à l’étranger : éducation, fiscalité, démarches administratives, protection sociale, mais aussi la façon dont les expatriés perçoivent et participent aux grands débats politiques nationaux.

 

Instabilité en France, regards depuis l’étranger

Quelles sont les grandes priorités du Sénat pour les Français établis hors de France ?
Le grand sujet, c’est le projet de loi sur les Français de l’étranger. Mais avec la crise actuelle, le calendrier risque d’être largement bousculé. J’espère que le prochain ministre délégué le reprendra, sans doute l’an prochain. Ce texte doit aborder la représentation des Français de l’étranger, la réforme de la Caisse des Français de l’étranger, et la création d’un label national pour les entrepreneurs français à l’international.

Mais la priorité immédiate, c’est le vote du budget. La vraie question est de savoir si une majorité se dégagera cette année. L’an dernier, les réductions ont été très lourdes : une baisse de 20 % des aides sociales aux Français de l’étranger, et des coupes importantes sur les bourses scolaires de l’AEFE. Défendre ces crédits, c’est ce qui va nous occuper dans les prochains mois.

 

Avez-vous eu l’occasion d’échanger sur les perceptions de la communauté française établie au Pérou face à ce contexte mouvementé ?
De manière générale, les Français qui vivent à l’étranger sont actuellement assez inquiets de ce qu’il se passe en France. Vus de loin, les événements paraissent encore plus instables, car amplifiés par la presse internationale. Mais j’insiste toujours : le Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, ne peut pas être dissous. Nous restons en place pour assurer une continuité.

 

Quelles sont les répercussions concrètes pour les Français de l’étranger ?
Il y en a beaucoup. Nous avons eu cinq ministres délégués aux Français de l’étranger en deux ans. Cela signifie à chaque fois repartir à zéro, recréer des liens, réexpliquer les dossiers. Pourtant, certains sujets – la réforme de l’AEFE, celle de la Caisse des Français de l’étranger – exigent une vision de long terme. Tant que les interlocuteurs changent, ces réformes n’avancent pas.

 

En quoi le regard d’un Français établi dans un pays comme le Pérou peut-il enrichir la réflexion sur la France ?
Le regard des Français de l’étranger apporte toujours une comparaison précieuse. Quand on vit au Pérou et qu’on a connu cinq présidents en vingt ans, dont quatre passés par la prison, avec des ministres qui changent sans cesse, on sait ce qu’est l’instabilité politique. Mais on voit aussi qu’elle peut être décorrélée de la stabilité économique. En France, l’agence Fitch vient par exemple d’abaisser la note de la dette souveraine, en pointant la fragmentation politique. Ici, au Pérou, on observe au contraire que l’instabilité politique ne remet pas forcément en cause la solidité économique. Je pense que les Français de l’étranger voient les choses avec un point de vue enrichi.

 

2026 : tous aux urnes !

Vous êtes récemment allée à Pékin, Canton, Alger, Oran, Milan, Zurich, La Haye, et maintenant à Lima. Comment représenter autant de communautés françaises, dans des contextes si différents ?
On représente ce monde-là grâce aux conseillers des Français de l’étranger. Ils sont élus localement et nous font remonter les problématiques, ce qui nous permet d’être toujours au courant des réalités de terrain. Leur rôle est essentiel : ce sont eux qui attribuent les bourses scolaires, décident des subventions aux associations, ou encore accompagnent les Français en difficulté. Au Pérou, trois conseillers sont en poste : Pierre Berthier, Didier Weber et Vincent Sicet.

Les communautés françaises sont toutes différentes : en Algérie, par exemple, près de 90 % des Français sont binationaux, alors qu’au Pérou ce n’est pas du tout la même configuration. Mais il y a aussi beaucoup de points communs : l’éducation, la couverture sociale, la Caisse des Français de l’étranger.

 

Quel message souhaitez-vous transmettre aux Français de l’étranger ?
Mon message est simple : il est essentiel de voter. Il faut s’engager au sein de la communauté française pour assurer une meilleure représentation.

L’an prochain, l’élection des conseillers des Français de l’étranger en mai sera une échéance importante. À l’échelle mondiale, la participation ne dépasse pas 15 %, ce qui reste très faible.

En tant que sénateurs, nous pouvons aussi être contactés directement, mais la première pierre de la représentation, ce sont eux : les conseillers. Ils ont un rôle essentiel et méritent d’être mieux connus.

 

Senatrice
@Sophie Briante Guillemont, sénatrice des Français de l’étranger avec Ludovic Mendes, Député de Moselle

 

Apprendre à mieux connaître et valoriser les Français établis à l’étranger

À Lima, quelles préoccupations ressortent le plus des échanges avec la communauté française ?
Depuis plusieurs années, une inquiétude forte concernait le Lycée franco-péruvien (FrancoPé). Avec ses nouveaux locaux, la situation est désormais bien meilleure.

Aujourd’hui, le sujet le plus souvent évoqué concerne les difficultés rencontrées par les Français qui s’installent ici sans contrat d’expatrié classique. Les entreprises françaises recrutent de plus en plus localement, et ceux qui viennent travailler en droit local sont beaucoup moins accompagnés. En réalité, ce sont des immigrants, qui doivent eux-mêmes affronter les démarches administratives péruviennes, parfois complexes. Mais globalement, la communauté française au Pérou apparaît solide et sans difficultés majeures.

 

Quels sont, selon vous, les grands enjeux qui devraient mobiliser les Français établis hors de France dans les années à venir ?
Il y en a beaucoup, mais le principal, à mes yeux, est de mieux utiliser la richesse que représentent les Français de l’étranger. Beaucoup souhaitent contribuer davantage à la France, or ils sont encore trop souvent perçus comme des « exilés fiscaux », ce qui est très loin de la réalité.

Il y a aussi la question des binationaux, dont le nombre va mécaniquement augmenter. Beaucoup de Français rencontrent leur conjoint ou conjointe à l’étranger et leurs enfants héritent de deux nationalités. L’enjeu est de leur permettre de vivre pleinement leur citoyenneté française, même sans avoir grandi en France. Ce sont eux qui demain pourront occuper des postes importants – dans une entreprise, une université, un gouvernement – et nous devons réfléchir à la manière de préserver leur lien avec la France.

 

Comment pourrait-on valoriser cette communauté de manière plus stratégique ?
Il existe déjà des réseaux structurés, comme les Conseils du commerce extérieur ou les Chambres de commerce. Mais d’autres professions sont beaucoup moins organisées, alors qu’elles pourraient énormément apporter : je pense par exemple aux chercheurs français à l’étranger.

Aujourd’hui, on s’appuie beaucoup sur le réseau diplomatique, qui est d’excellente qualité mais reste par nature limité, avec des diplomates en poste trois ou quatre ans. Or nous avons aussi des Français installés depuis 20 ou 30 ans, parfois même nés à l’étranger, qui connaissent parfaitement le tissu économique, politique ou social. Je ne suis pas sûre que nous valorisions assez cette expertise.

Une piste, c’est ce que fait déjà Le Petit Journal avec les Trophées : identifier et mettre en lumière les talents français à l’étranger. Mais au-delà de la reconnaissance, il faudrait penser de façon plus stratégique à la manière dont cette communauté peut contribuer au rayonnement de la France.

 

En tant que sénatrice des Français établis à l’étranger, Sophie Briante Guillemont repart de Lima avec un double mandat : défendre les préoccupations de la communauté française et renforcer la diplomatie parlementaire, notamment à travers les coopérations franco-péruviennes contre le narcotrafic.

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