Savez-vous qu’il est possible de faire du cuir avec de la peau de poisson ? Plus spécifiquement de la peau de raie ou de requin ? Entre cuir et minéral, ce cuir s’appelle le galuchat. C'est la partie centrale du poisson, recouverte de perles qui ressemblent à des taches de cristal, qui le rend si spécial. Ce produit provient d’une pêche non-industrielle dont le but alimentaire original demeure le moteur. Les peaux sont collectées dans toute l’Asie du Sud-Est, mais essentiellement en Indonésie.
Histoire du galuchat
Dès le VIIIe siècle au Japon, on trouve des objets utilisant du galuchat tels que des poignées et des gaines de tanto et de katana, sabres japonais, ainsi que des décorations d'armure de samouraï. À l'époque, les peaux n'étaient pas tannées et les perles qui recouvrent la peau n'étaient pas poncées, ce qui offrait une très bonne adhérence aux objets qu'elles recouvraient.
En Europe, le galuchat connait ses heures de gloire en ébénisterie et en gainerie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Longtemps délaissé, il réapparait quelque temps dans les années 1920 avec l’art décoratif et plus récemment en maroquinerie quand il revient en force au milieu des années 1980 pour devenir un produit de luxe.
Au XVIe siècle, la peau de roussette était utilisée comme abrasif du fait de ses écailles en pointe. Le galuchat était si rugueux qu'il fut aussi longtemps utilisé comme papier de verre par les menuisiers japonais. On le retrouve encore aujourd'hui sous cet aspect dans certains restaurants de sushis où il est utilisé pour râper le wasabi.
Origine du mot Galuchat
Le mot galuchat provient du nom du maître tapissier parisien Jean-Claude Galluchat (avec un double L). Après de nombreux essais, il fut le premier à tanner et teindre avec succès la peau de raie. Il était le maître gainier de la marquise de Pompadour, maîtresse du roi Louis XV. Il est dit que la marquise ne passait pas une semaine sans acheter des petits objets, souvent en galuchat. Il faut dire que l’artisan habillait de peau de poisson les objets les plus rares (nécessaires à couture, étuis, lorgnettes de théâtre, flacons de senteurs, montres, malles…) si bien que le nom propre devint synonyme de la matière, en perdant son L. À l’époque, le galuchat était très apprécié en vert.
Deux sortes de galuchat
On distingue deux sortes de galuchat : celui à gros grains et celui à petits grains. Les grains sont un composé de dentine et d’émail.
- Le galuchat à gros grains provient de la raie pastenague. On utilise le dos de la raie. Arrondis, les grains sont légèrement poncés.
- Le galuchat à petits grains provient essentiellement de la roussette. On utilise sa partie ventrale. Les grains sont pointus, rendant la peau très rugueuse. Les grains sont poncés afin d’obtenir une peau lisse et un aspect transparent.
Ce produit provient d’une pêche non-industrielle dont le but alimentaire original demeure le moteur. À l’origine, la raie était recherchée pour les propriétés médicinales de son squelette et de certains de ses organes internes. Sa peau était considérée comme toxique et donc jetée. Mais depuis que l’homme s’est intéressé à la valorisation des déchets, les peaux se sont vues revalorisées, et servent désormais à la maroquinerie fine.
Provenance des raies
Les peaux de raies sont collectées dans toute l'Asie du Sud-Est, mais on les trouve principalement en Indonésie. Elles proviennent de l'île de Java, et aussi de Lampung, Kalimantan, Sulawesi, Maluku et East Nusa Tenggara.
La peau de raie est extrêmement résistante, environ deux fois et demie la résistance de la peau de vache. Le galuchat est ainsi connu pour être résistant aux rayures, voire à l'épreuve des balles. Au Japon, il est utilisé comme revêtement pour les boucliers des samouraïs ou pour les gilets pare-balles.
Parce que la technique de traitement est différente de la peau de vache, peu d'artisans sont capables de transformer la peau de raie en un produit de qualité.
Le processus de tannerie du galuchat
Le processus pour obtenir le galuchat est long, le tannage peut durer jusqu’à deux semaines.
- Avant d'être tannées, les peaux sont triées par sexe et taille.
- Ensuite, la peau doit être séparée de la chair. Pour ce faire, la peau est retirée de sa carcasse et mise à tremper dans de l’eau de mer afin d’en faciliter l’écharnage.
- Une fois séparée, la peau est conservée par salage et abondamment lavée pour éviter la pourriture ainsi que les odeurs, ce qui fait que le galuchat n’a pas vraiment d’odeur.
- La peau est raclée à l’intérieur et brossée à l’extérieur jusqu'à ce qu’elle ne dépasse pas 1,5 mm d'épaisseur.
La couleur naturelle de la peau est gris beige. Les peaux sont séchées au soleil ce qui a tendance à durcir les peaux.
- Une fois tous les processus de salage terminés, les perles encore très brutes sont poncées afin de niveler la peau et lui donner la « finition galuchat ».
- Le cuir semi-fini peut donc être coloré. Les peaux sont trempées avec des colorants spéciaux qui doivent pouvoir être absorbés par les écailles. Il s’agit d’un processus de « teinture en profondeur », l’objectif étant d’atteindre le cœur du cuir ainsi que les perles. Les peaux acquièrent alors une couleur riche et vive des deux côtés.
- Puis vient la patine. Elle se fait à la cire, au vernis ou laissée brute (pour la peau de raie). On peut aussi laquer le galuchat.
- Les peaux sont prêtes à être transformées en objets. Grâce à la configuration et la texture de ses perles, chaque peau est unique.
Les principaux critères de qualité du galuchat sont sa souplesse, sa couleur, la qualité de ses grains.
Pour un produit fini, la qualité de finition des bourrelets est importante, étant donné que la principale difficulté rencontrée lors de la création d’un objet est la couture, car les écailles sont très dures.
Voici une petite astuce pour reconnaitre du vrai galuchat. Il vous suffit d’essayer de rayer le cuir avec vos ongles. Mission impossible, le galuchat étant très résistant à l’abrasion !
Si vous vous rendez au port de Muara Angke, au nord de Jakarta, vous verrez les pêcheurs préparez les peaux des raies afin de les transformer en galuchat.
photos prises sur le site de Muara Angke, Jakarta.