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LE THÉ EN INDONÉSIE – Voyage avec un négociant en thé

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Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 26 décembre 2017, mis à jour le 22 mars 2017

L'homme est discret mais lorsqu'il parle du thé son visage s'éclaire. Depuis 4 ans, après avoir travaillé dans la crevette ou les aliments pour animaux comme négociant, le Français Emmanuel Varieras a plongé dans le thé, comme s'il y été né. Il est aujourd'hui à la tête de l'entreprise Van Rees en Indonésie, une société néerlandaise de trading en thé qui a vu le jour il y a 200 ans, en 1819. Emmanuel nous a guidé sur le chemin du thé en Indonésie, nous a raconté son métier avec générosité et expliqué les détails d'un commerce qui s'il n'est pas stratégique pour les exportations indonésiennes n'en est pas moins traditionnel, depuis l'arrivée des planteurs du temps de la colonisation. 

Mercredi matin, 10H, au coeur de Menteng, la bourse au thé. C'est aussi le coeur de la semaine pour le trader qu'est Emmanuel. La bourse au thé est un organisme d'Etat. Au même endroit se déroulent les enchères pour les autres « commodities » ou produits de base : le café, le cacao, l'huile de palme, le caoutchouc. Autant dire que le thé ne représente pas grand-chose au regard des autres flux.

Ici les enchères durent 4H, là où elles durent 2 jours à Colombo ou à Mombasa. L'Indonésie est aujourd'hui seulement 7ème producteur mondial de thé et a perdu 2 places en 10 ans.  La production est de 140 000 tonnes par an dont 60 à 70%  font l'objet des transactions hebdomaires à la Bourse au thé et partent ensuite à l'export. Car depuis le 1er mars, toute la production de thé destinée à l'export en Indonésie passe par la bourse au thé, plus question de l'acheter en direct auprès des planteurs affiliés à la société d'Etat qui gère cette culture, la PT Perkebunan Nusantara. C'est une des actions menées par la Directrice de la bourse des produits de base pour dynamiser à nouveau l'exportation des thés indonésiens.

L'enchère du jour va débuter, les crieurs s'installent et Emmanuel, le trader de Van Rees s'attable parmi ses 20 collègues et néanmoins concurrents. Car sous la cordialité et la politesse, chacun se prépare au combat, au jeu stratégique qui va s'engager dans quelques minutes et auquel nous ne comprendrons pas grand-chose, tellement cela va vite. Le nez penché sur le catalogue de la vente du jour où les lots sont répartis par plantations, Emmanuel engage les hostilités. Bien qu'il nous ait annoncé une « petite » enchère pour eux après avoir déjà acheté 700 tonnes depuis le début de l'année, Emmanuel semble être sur tous les coups à base de gestes ultra-codifiés. C'est aussi une des seules enchères au monde où on ne parle pas anglais, tout se fait en bahasa indonesia. Le prix de vente moyen aux enchères est d'environ 1,70 /kg, ce qui positionne le thé indonésien en bonne place par rapport à d'autres pays en terme de rapport qualité-prix. Lors des enchères, les traders achètent des lots, 1 lot représentant 20 sacs de 50 Kg, soit 1 tonne.

Le travail d'Emmanuel ne s'arrête pas à un seul jeu de stratégie, amusant certes mais un peu stérile s'il n'était pas accompagné de la suite : « le thé change avec les saisons, et chaque semaine apporte son lot de surprises. Nous goutons donc les échantillons de chaque lot acheté le mercredi avant d'en confirmer l'ordre d'achat et les notons de 1 à 10. Nous buvons environ 200 tasses par jour. Et il n'y pas de routine, ça a du charme » énonce Emmanuel, tout sourire.

Négociant et testeur

Rendez-vous est donc pris, deux jours plus tard pour la dégustation dans les bureaux discrets de Van Rees à Kemang. Ici, c'est encore un autre univers qui s'ouvre à nous : disposées sur une grande table haute, une vingtaine de tasses attendent les thés. 3 grammes par tasse, 6 minutes d'infusion, les conditions optimales pour une dégustation dans les règles de l'art. Comme pour le vin, les goûteurs n'avalent pas le breuvage et disposent d'un crachoir. Emmanuel et son acolyte connaissent bien leurs clients et leurs goûts. Starbucks, Twinnings, Tetley, Lipton cherchent des thés colorés, d'une infusion rapide et fort en goût. « Nous exportons 4 à 6000 tonnes de thé indonésien par an et sommes parmi les trois plus gros exportateurs en Indonésie. Nos thés partent vers les Etats-Unis, l'Europe, le Japon ».  Les thés sont donc testés, goûtés selon des critères très précis et une grille de notation confidentielle. La couleur a son importance, du rouge au doré, et la coloration du thé lorsqu'on y ajoute une larme de lait est également vérifiée car certaines colorations ne passeront pas la barrière culturelle des anglais ou des irlandais par exemple. Le goût bien sûr est également un critère important : corsé, léger, fleuri, fruité, épicé ou encore tourbé, fumé. L'astringence et l'amertume sont vérifiées.

Le Camellia Sinensis d'Assam, du nom scientifique du théier cultivé en Indonésie, supporte bien les pluies et les altitudes où il est cultivé, principalement dans la région de Bandung et de Sumatra. Malheureusement, les plantations d'états souffrent d'un manque d'investissements des usines et du vieillissement des plants qui ont souvent plus d'une centaine d'année, les autres commodities étant plus lucratives pour l'Indonésie. Néanmoins, le thé indonésien est encore de bonne qualité et la nouvelle directrice de la bourse d'Etat pousse les producteurs à réinvestir sur cette culture, dans les plantations et les usines.

Et comme « le thé n'arrête pas de nous en apprendre » ainsi qu'en conclut Emmanuel, on peut espérer qu'il a encore de beaux jours dans la culture indonésienne.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les origines de la culture du thé en Indonésie et particulièrement dans la région de Bandung, précipitez-vous sur « Les Seigneurs du Thé » de Hella S. Haasse , édition POINTS. Voir résumé ci-dessous.

Amélie Heim (www.lepetitjournal.com/jakarta)

Crédit photos : Véronique Ouvrard et Lucie Pech

Les Seigneurs du Thé de Hella S. Haasse édité en poche chez Points. 
Nous sommes à la fin du XIXème siècle, la famille Kerkhoven a choisi de tenter l'aventure des Indes Néerlandaises et part vers l'Indonésie pour créer une plantation. Quelques années plus tard, ses études terminées et impatient de vivre la grande aventure, le fils ainé, Rudolf emmène sa jeune épouse sur les traces de son père en Indonésie et crée sa propre plantation de thé.  Très documenté, le roman se lit facilement au gré des descriptions de Batavia, de la vie de la bourgeoisie néerlandaise dans ce pays si différent du leur, de la difficulté de vivre isolés de tout et de tous dans les montagnes autour de Bandung. On plonge également dans les relations entre planteurs et ouvriers indonésiens, les choix économiques et humains des chefs des plantations, les voyages difficiles entre Batavia, Bogor et Bandung, les débuts du chemin de fer. Pour qui vit en Indonésie aujourd'hui, ce roman est un incontournable et permet de découvrir une époque pas si lointaine.
 

 

lepetitjournal.com jakarta
Publié le 26 décembre 2017, mis à jour le 22 mars 2017