Alors que le bilan des inondations de Sumatra atteint désormais plus de 900 morts et compte encore près de 300 disparus, Le Petit Journal de Jakarta a recueilli le témoignage de Robin Comito, un Français rescapé de la catastrophe. Responsable de l'association Harapan Di Gajah pour la sauvegarde des éléphants de Sumatra, il effectuait une visite de terrain lorsque les inondations ont balayé le village où il travaillait. Après un périple épique au milieu du chaos, il a trouvé refuge à Biruën dans le nord de Sumatra et créé une cagnotte pour venir en aide aux victimes.


Que faisiez-vous à Sumatra ?
Originaire du Vercors, j’ai 21 ans et je suis étudiant en Licence de Gestion et protection de la nature. J'ai fondé en 2023 l’association Harapan Di Gajah qui se destine à la sauvegarde des éléphants de Sumatra. Je suis arrivé en Indonésie le 23 novembre dernier pour assurer le suivi de nos projets et de nos équipes qui oeuvrent sur le terrain dans le village de Karang Ampar à Aceh dans le Nord de Sumatra.
Le 25 novembre quand j’arrive au village, on me dit que cela fait 10 jours qu’il pleut de manière torrentielle sans interruption. Il pleut tellement fort que l’on n'arrive même pas à s'entendre parler sous les toits en tôle. Et puis, il y a une chose étrange me disent les villageois. Les éléphants sont partis à 6 kilomètres au sein de la forêt. Généralement quand on voit tous les animaux partir et fuir une zone, c'est qu'il y a quelque chose qui se prépare.
Quand réalisez-vous que la situation est catastrophique ?
On se lève le lendemain du 25 novembre et on voit tout autour de la cabane où l’on dormait une immense rivière là où normalement il n'y a qu'un tout petit filet d’eau. On voit la route en face de la cabane qui est complètement inondée et l’on assiste à des glissements de terrain en face de la maison. Puis, on apprend qu'une partie du village a été détruite et qu'il y a une dizaine de personnes portées disparues. À ce moment, on n’a plus de connexion internet et l’on a des nouvelles des villages environnants grâce à des talkie-walkie. C’est alors que nous apprenons que la seule route qui nous relie à la ville de Bireuën a été coupée par un glissement de terrain et que le seul pont par lequel on doit passer pour aller en ville a été endommagé. Cela veut dire plus d'électricité, plus d'eau, plus de connexion, plus de nourriture. Aujourd’hui encore, le village de Karang Ampar est littéralement coupé du monde.
Qu'est-ce que vous décidez de faire à ce moment-là ?
L'enjeu à ce moment-là, c'est de partir à Bireuën à 80 km. Heureusement, il refait beau et le niveau de l'eau redescend. Mais sans routes et sans ponts, il faut partir à pied. Je suis accompagné d’un villageois et de deux amis indonésiens. On traverse de nombreux endroits où il y a eu des glissements de terrain. On découvre alors que le lit de la rivière qui normalement fait 50 mètres de large en fait désormais 500 !
Une équipe de WWF qui travaille aussi dans la région a installé deux câbles pour permettre aux gens de traverser. Plus on avance, plus on retrouve des habitants des autres villages qui cherchent à partir.
C’est un moment très difficile parce qu'on voit la détresse dans les yeux des gens. On voit des femmes qui sont en pleurs, qui enlacent leur mari ou leurs enfants qu'elles n'ont pas vu depuis des jours. Elles étaient inquiètes parce qu'il y a eu eu des morts dans la région.
Partis le dimanche matin, nous arrivons finalement à Bireuën le lundi soir et découvrons l’ampleur de la catastrophe.
Dans le village où vous travaillez, tout le monde est parti ou des gens sont restés?
Peu de personnes sont parties. Déjà tous les anciens du village ne peuvent pas partir et pour les enfants, c'est compliqué aussi. Et puis, il faut être en bonne situation, en bonnes conditions physiques pour pouvoir marcher sur de longues distances. Je pense que la majorité des habitants sont restés. D’après les nouvelles que j’arrive à avoir il y a maintenant une crise alimentaire du fait que les routes soient toujours coupées.
Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Je suis choqué. C’est difficile de laisser des amis derrière moi et de se sentir impuissant. Les gens que je croisais sur la route me demandaient de prendre des photos et des vidéos pour témoigner de tout cela. J'ai créé avec mon association une collecte d'urgence pour essayer de les aider en termes d'accès à la nourriture, à l'eau, essayer de faire un relais entre la ville et le village. (Pour participer à la cagnotte c'est sur le site https://harapandigajah.org/)
Quel est l’avenir de votre association dans cette situation ?
Tous les membres de l’association sont des volontaires. Dans l’immédiat, ils vont devoir gérer leur propre situation. L’un des buts de notre association est d’éviter les conflits entre éléphants et villageois. L’un des problèmes majeurs est la perte d’habitat due à la déforestation, forçant les éléphants à s’approcher des zones cultivées ou habitées, ce qui crée des tensions et parfois des violences. Nous travaillons avec les villageois à la mise en place de méthodes non violentes pour faire face à ces situations et l’on commençait à avoir des premiers résultats positifs. Pour le moment les éléphants ne peuvent pas revenir car les sols sont trop instables. S’ils reviennent trop rapidement ça va faire encore plus à gérer pour les habitants. Beaucoup m’ont dit que dans ce cas-là, ils évacueront. On va voir comment évolue la situation mais il faudra au moins six mois pour que le village se remette de tout cela.
Harapan di Gajah agit sur plusieurs volets :
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Réduire les conflits éléphants/humains : l’un des problèmes majeurs est la perte d’habitat due à la déforestation, forçant les éléphants à s’approcher des zones cultivées ou habitées, ce qui crée des tensions et parfois des violences.
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Mettre fin aux méthodes violentes utilisées parfois contre les éléphants (clôtures électriques, empoisonnements, tirs, etc.), en proposant des alternatives non violentes.
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Déployer des patrouilles et des systèmes d’alerte et de dissuasion douce : dès 2025, l’association collabore avec des villages à Sumatra (ex. un village nommé Karang Ampar) pour remplacer les clôtures électriques par un dispositif d’anticipation des déplacements des éléphants, et organiser des patrouilles afin de repousser les animaux sans violence.
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Créer un sanctuaire (ou refuge / centre de retraite) pour les éléphants captifs ou blessés — ceux qui ne peuvent plus travailler, souvent en vieillissant, ou ceux qui souffrent de conditions inadaptées — afin de leur offrir un cadre de vie adapté, proche de la nature, et des soins vétérinaires.
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