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Rinaldo Marmara à l’ACTF : que signifie être levantin…

Dans le cadre de la célébration du 75ème anniversaire de l’Association Culturelle Turquie-France a eu lieu, le vendredi 24 mai 2024, dans la Salle de réunion de l’Hôpital de la Paix, une conférence du célèbre historien Rinaldo Marmara, sur le thème : "La dualité de la Communauté latine après la prise de Constantinople en 1453 et les Levantins".

Illustration LevantinsIllustration Levantins
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 29 mai 2024, mis à jour le 18 septembre 2024

On ne présente plus Rinaldo Marmara. Docteur de l’Université Paul Valéry de Montpellier avec sa thèse sur les Levantins, il est connu pour avoir écrit une cinquantaine de livres et pour ses recherches dans les archives du Vatican concernant les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Turquie. Historien officiel du Vicariat Apostolique d’Istanbul, porte-parole et attaché culturel de la Conférence Episcopale des évêques catholiques de Turquie, Chevalier dans l’Ordre de Saint-Grégoire Le Grand du Saint-Siège, il dirige aussi le Centre de Recherche des Relations Diplomatiques Vatican-Turquie, qui a été créé par l’Université de Bahçeşehir.

 

Rinaldo Marmara
Trois livres de Rinaldo Marmara 

 

Rappel sur l’histoire des Levantins

Chez les Byzantins, l’empereur Alexis I Comnène avait signé avec les Vénitiens le traité byzantino-vénitien de 1082 qui accordait à ces derniers des avantages commerciaux. Il leur avait aussi affecté un quartier à Eminönü, situé entre trois portes, où chaque communauté différente, comme les Vénitiens, les Provençaux, les Amalfitains, disposait de son église et de son débarcadère. Après la prise de Constantinople par les Turcs, beaucoup d’étrangers partirent mais les Génois de Galata restèrent et reçurent de Mehmet le Conquérant, le 1er juin 1453, un firman les autorisant à conserver leurs biens et à commercer. On peut considérer ce firman comme l’acte de naissance de la communauté latine.

La dualité de la communauté latine

Dans le langage quotidien, l’adjectif "levantin" était employé pour désigner une personne née dans "le Levant", soit sur les côtes orientales de la Méditerranée, puis, à partir du XXe siècle, il a été utilisé pour qualifier les habitants chrétiens d’origine étrangère de l’Empire ottoman, essentiellement Vénitiens, Génois, Français, Anglais, Allemands, qui restaient plusieurs générations sur place tout en conservant leur statut d’étranger. Cependant, Rinaldo Marmara explique que la question de son directeur de thèse, "Qu’est-ce qu’un Levantin ?", lui avait fait envisager la complexité du sujet. C’est ainsi qu’il a établi qu’il y avait deux sortes de Levantins : les Levantins ottomans et les Latins d’origine étrangère, seuls les premiers devant être en réalité qualifiés de "levantins", même si les livres d’histoire ou les récits de voyageurs font l’amalgame entre les deux notions. La raison ? Les Levantins ottomans représentaient une synthèse de deux civilisations, la turque et la latine, parlaient plusieurs langues même si leur idiome véhiculaire était le grec car ils étaient arrivés à Istanbul après avoir longtemps séjourné dans les îles grecques ; ils étaient très attachés à l’Empire ottoman et très différents des étrangers qui y venaient, même sur une longue durée, pour effectuer du commerce. Ils vivaient généralement à Pera et travaillaient à Galata.

 

Grande Rue de Pera
Grande Rue de Pera

 

Magasins des Levantins à Galata
Magasins des Levantins à Galata

 

La différence entre les levantins et les autres minoritaires de Turquie

Le système des "Millet" chez les Ottomans consistait en une organisation des communautés religieuses étrangères en "nations", même si le mot n’est pas à prendre dans le sens actuel. Ils étaient sujets du sultan mais disposaient d’une certaine autonomie dans la vie religieuse ou l’organisation sociale. Par exemple, les Grecs orthodoxes constituaient le "Millet des Rums" dont la plupart dépendaient du Patriarcat de Constantinople, les Juifs étaient dirigés par un Grand Rabbin appelé "Hahambaşı", qui avait autorité sur tous les Juifs de l’Empire, les Arméniens dépendaient du Patriarcat Arménien de Constantinople, fondé en 1461. Rinaldo Marmara dit que l’Empire ottoman était une sorte de précurseur de l’Union européenne d’aujourd’hui, puisque chaque communauté y vivait séparément, avec ses écoles, ses lieux de culte, ses hôpitaux, ses tribunaux, son cinéma, son théâtre.

Ces "Millet" n’étaient pas des Levantins car ils étaient sujets du sultan. Par contre, la communauté latine n’a pas été reconnue comme "Millet" car son chef, le Pape, se trouvait en dehors de l’Empire, même si le sultan a créé une Chancellerie latine ottomane. Ils n’étaient donc pas sujets du sultan et ce sont ses membres qui étaient les "Levantins", avec un statut d’étrangers. La période située entre les réformes du Tanzimat, en 1839, et la Première Guerre

mondiale constitue l’apogée de la communauté latine levantine, qui perd ses avantages commerciaux lorsque le Traité de Lausanne, qui marque la création de la Turquie-nation, abolit les Capitulations.

 

Quartier des Petits-Champs (Tarlabaşı) à Pera
Quartier des Petits-Champs (Tarlabaşı) à Pera

 

Le travail sur les archives

Pour étudier les Levantins, Rinaldo Marmara a travaillé sur les archives : les archives ecclésiastiques, celles des prêtres, des églises et des cimetières, qui sont très importantes car on y trouve des statistiques des personnes. Il a scanné une grande partie des documents des églises latines d’Istanbul afin de les mettre à la disposition de tous. Quant aux archives du Vatican concernant l’Empire ottoman, il y en a encore de nombreuses boîtes non ouvertes, elles sont en français et en italien et il faut donc maîtriser parfaitement les deux langues pour les lire ; en ce qui le concerne, il en a constitué un catalogue en turc concernant la période entre 1923 et 1930 et les débuts de la république turque.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il reste peu de Levantins, entre 2000 et 3000 pour Izmir et Istanbul ; les uns ont quitté la Turquie, d’autres se sont fondus dans les mariages mixtes, l’idée commune qui cimentait la communauté a disparu. Cependant, parmi ceux qui restent, ils sont encore nombreux, comme Rinaldo Marmara, à incarner la richesse de cette identité si particulière, en même temps orientale et européenne, qui se considère comme une sorte de pont entre la Turquie et l’Europe.

Vous pouvez écouter, sur RFI, le très intéressant podcast d’Anne Andlauer, réalisé en 2015, "À la rencontre des Levantins de Turquie".

 

 

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Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 29 mai 2024, mis à jour le 18 septembre 2024

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