Saviez-vous qu’Ankara n’a été choisie comme capitale de la Turquie qu’en 1923 ? Une décision marquante de Mustafa Kemal pour symboliser l’essor d’une nouvelle nation. Entre volonté stratégique et architectes visionnaires, la transformation d’Ankara d’une bourgade en capitale moderne fut le fruit de projets ambitieux.
Le jour où Ankara devint la capitale de la Turquie
Ce fut le 13 octobre 1923 que l’Assemblée nationale turque annonça qu’Ankara était désormais la capitale de la Turquie. Il ne faut pas oublier que cette ville avait déjà été choisie officieusement comme capitale par Mustafa Kemal lorsqu’il y avait inauguré la Grande Assemblée nationale de Turquie le 23 avril 1920 et qu’elle avait constitué le centre de la résistance durant la Guerre d’Indépendance.
La décision revêtait un caractère moral et stratégique, d’une part comme symbole de la rupture avec le monde impérial ottoman et de la modernisation de la Turquie, d’autre part parce que sa position géographique en Anatolie, loin des rivages, la rendait moins vulnérable qu’Istanbul aux attaques ennemies.
Une capitale créée « ex nihilo »
Le choix d’Ankara comme nouvelle capitale entraîna une série de travaux pharaoniques destinés à transformer en centre politique et culturel une petite bourgade de vingt-mille habitants.
Car il fallait y créer non seulement des bâtiments officiels mais aussi des édifices capables d’assurer le rayonnement culturel de l’endroit. La construction de la nouvelle ville s’étala sur une quinzaine d’années, avec plusieurs plans successifs. Mustafa Kemal chargea des ingénieurs turcs comme Kemaleddin Bey ou Vedat Tek d’élaborer le projet, mais aussi des étrangers, comme Giulio Mongieri, et surtout des urbanistes allemands et autrichiens faisant partie des personnalités du monde de l’ingénierie, de la médecine, des universités et des arts, invitées à s’installer en Turquie suite aux persécutions des Nazis. Un concours fut organisé et le vainqueur, l’allemand Hermann Jansen, conçut, en 1927, un plan découpant la cité en secteurs et espaces verts.
Quant à l’autrichien Clemens Holzmeister, lui aussi lauréat d’un concours, il mit au point les plans du quartier gouvernemental en élevant quatorze immeubles de ministères et ambassades, et, en 1931, le palais présidentiel de Çankaya.
Dans son roman "Les quatre dames d’Angora", Claude Farrère, fait s’extasier son héros, Villandry, sur les larges avenues tracées par l’urbaniste allemand : « Deux chaussées parallèles y encadraient un large trottoir médian et deux trottoirs latéraux encadraient les deux chaussées. Le tout était éclairé somptueusement par une triple rangée de réverbères électriques… Et c’était beau. »
Le déménagement des ambassades étrangères à Ankara
Si l’annonce du transfert de la capitale à Ankara enthousiasma certains pays, pour d’autres, comme les Français, les Anglais ou les Italiens, qui possédaient à Istanbul des bâtiments historiques, ce fut une déception. D’autant plus que nombre d’entre eux doutaient carrément que le projet soit réalisable. Pour faire accepter sa décision controversée et accélérer le déménagement, la Turquie décida, d’une part de fermer en 1927 son bureau d’Istanbul du Ministère des Affaires étrangères et d’autre part, de donner des terrains aux pays étrangers pour qu’ils puissent y ériger leur nouvelle ambassade. C’est ainsi qu’en l’espace de dix ans, la population d’Ankara augmenta de quinze mille habitants.
L’ambassade de France à Ankara
En 1928, le gouvernement turc donna à la France un terrain de quinze mille mètres carrés situé dans le district de Çankaya, où Atatürk avait installé le gouvernement et prévu de faire venir toutes les représentations diplomatiques ; la France acheta ensuite le terrain voisin pour bénéficier de plus d’espace. En attendant le nouveau bâtiment, l’ambassadeur s’installa dans une villa de location. En 1933, Albert Laprade (1883-1973), architecte en chef des Bâtiments civils et Palais nationaux, fut chargé de concrétiser le projet. À l’époque, il était déjà connu pour avoir réalisé avec Henri Prost le plan de Casablanca et avoir fait construire la Résidence générale de Rabat et le Palais de la Porte Dorée à Paris.
Quant à la nouvelle ambassade de France, elle commença à fonctionner en 1937, dès que le gros-œuvre fut achevé. Selon Isabelle Nathan et Paul Poudade, auteurs des trois tomes de « Ambassades de France, les trésors du patrimoine diplomatique » elle pouvait être considérée « en rupture avec l’Istanbul ottomane et s’inscrivant admirablement dans l’Ankara moderniste de Mustafa Kemal… » (voir le site de l’ambassade, https://tr.ambafrance.org)
Toutes ces réalisations font qu’aujourd’hui, la découverte de cet exceptionnel patrimoine architectural constitue l’un des phares des visites touristiques d’Ankara…