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ENVIRONNEMENT – Istanbul a-t-elle assez d’eau ?

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 7 décembre 2015, mis à jour le 8 février 2018

Comment répondre aux besoins en eau d’une ville de 15 millions d’habitants, dont la population a été multipliée par deux en vingt ans et par sept en cinquante ans ? C’est précisément le défi auquel Istanbul, la plus grande ville turque, est confrontée.

La mer Noire au nord, le détroit du Bosphore, la mer de Marmara au sud. Istanbul est une ville entourée et traversée par l’eau. C’est aussi une mégapole qui n’a jamais cessé de s’étendre et de se densifier : elle abrite aujourd’hui 15 millions d’habitants.

La croissance démographique, et sa répartition inégale entre la rive européenne et la rive asiatique, créent un formidable défi pour stocker, traiter, acheminer et évacuer l’eau. Les Stambouliotes consomment en moyenne 2 millions et demi de mètres cubes d’eau potable par jour. C’est cinq fois plus que ce que consomment les Parisiens ; cinq fois plus que ce dont a besoin une ville comme Abidjan.

Face à cette demande, Istanbul ne peut plus compter sur ses propres ressources. “La ville compte sept bassins naturels, qui représentent une surface totale de 3.000 km2, explique Ahmet Doğan, ingénieur en hydraulique et hydrologie, enseignant à l’université Yıldız. Si nos barrages sont pleins, s’il tombe 800 millimètres de pluie par an – ce qui est la quantité moyenne – alors en théorie, Istanbul a suffisamment d’eau pour répondre à ses besoins. En pratique, nous vivons régulièrement des années de faibles précipitations. Dans ce cas-là, les bassins d’Istanbul ne suffisent plus.”

Le projet Melen

L’idée d’aller chercher de l’eau en dehors de la ville est ancienne. Les Romans, les Byzantins, avec leurs citernes et leurs aqueducs, s’y étaient déjà attelés. Mais tout cela est sans commune mesure avec le grand projet Melen (carte), lancé par l’État turc dans les années 1990, toujours en construction, présenté comme “l’assurance en eau” de la mégapole stambouliote. “Ce projet consiste à acheminer vers Istanbul l’eau du bassin de Melen, grâce à des tuyaux de 190 km de long et de 2,5 mètres de diamètre, décrit Ahmet Doğan. C’est comme si Istanbul disposait d’un bassin supplémentaire de 2.300 km2. Quand toutes les étapes seront terminées, le projet Melen pourra fournir à Istanbul un milliard de mètres cubes d’eau par an ! C’est un projet extraordinaire mais nécessaire. Istanbul, avec sa population, n’a d’autre choix que de chercher l’eau là où elle se trouve, dans les provinces voisines.”

A ce stade du projet, la rivière Melen (dans la province de Düzce) fournit déjà à Istanbul jusqu’à 700.000 mètres cubes d’eau par jour. La rive européenne profite de cet apport grâce à un tunnel sous le Bosphore. Mais à l’été 2014, cela n’a pas suffi. Istanbul a dû puiser dans une autre rivière voisine, celle de Sakarya, dont l’eau présente l’inconvénient d’être de moindre qualité et donc plus coûteuse à traiter.

Dursun Yıldız a travaillé pendant 15 ans à la Direction générale des eaux de l’État. Il attend avec impatience l’inauguration du barrage Melen, censé soulager Istanbul jusqu’en 2060. Mais cet ingénieur réfléchit aussi à l’après-2060. “Les paradigmes changent en matière de politique de l’eau. La priorité doit être d’utiliser au mieux ce dont nous disposons. Pas parce que nous le voulons mais parce que la nature, le climat nous l’imposent”, insiste ce spécialiste.

Et de poursuivre : “Dépendre des bassins extérieurs n’est pas une solution de long terme et je pense que de plus en plus, à Istanbul, les politiques vont se tourner vers nos ressources propres. Par exemple, 30% de l’eau qui circule dans nos tuyaux n’arrive jamais aux robinets, en particulier à cause des fuites dues au mauvais état des tuyaux, mais aussi de l’eau détournée et donc non facturée. La mairie s’attaque à ce problème.”

Troisième aéroport et Kanalistanbul

Les réserves d'Istanbul

L’Administration des eaux appelle aussi les Stambouliotes à faire des économies, à mieux consommer l’eau. “Economiser l’eau, ce n’est pas seulement dire aux gens de ne pas la laisser couler quand ils se brossent les dents ! Bien sûr qu’il faut sensibiliser la 

population, mais qui consomme le plus d’eau ? L’industrie par exemple. Il faudrait que ses eaux usées soient davantage traitées pour être réutilisées, réagit Emine Girgin présidente de la Chambre des ingénieurs environnementaux d’Istanbul. Il faudrait aussi utiliser et réutiliser ce qu’on appelle les eaux grises – les eaux peu polluées, comme l’eau des lavabos – dans les bâtiments qui accueillent beaucoup de monde comme les hôtels, les centres commerciaux… Tout cela pourrait engendrer d’énormes économies

La chambre s’oppose au projet Melen, qui nuit selon elle de manière irréversible à la verte vallée de Düzce, où coule une bonne partie de cette rivière. A la place, elle appelle les autorités à protéger les bassins existants, et milite contre le troisième aéroport d’Istanbul. Sa construction a commencé en juin 2014, à proximité du bassin de Terkos, le deuxième plus grand d’Istanbul. “Cet aéroport est une aberration, estime Emine Girgin. Il menace non seulement de polluer les eaux du bassin de Terkos mais surtout, toutes les constructions qu’il va entraîner empêcheront le bassin de collecter de l’eau correctement, et la capacité du bassin va baisser. Et que dire d’un projet comme Kanalistanbul ! Il pose des risques réels au barrage de Sazlıdere, un barrage important d’Istanbul qui sera forcément détruit si le projet voit le jour à l’endroit prévu.”

Les autorités assurent que les abords de Terkos resteront inconstructibles et que le bassin ne souffrira pas du nouvel aéroport, appelé à devenir le plus grand du monde. Quant au projet Kanalistanbul – qui consisterait à creuser un deuxième Bosphore dans l’ouest de la ville, pour soulager le trafic sur le détroit – il n’est encore qu’à l’état de plans. Mais le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, semble décidé à le voir aboutir – si possible durant son mandat, qui pourrait s’écouler jusqu’en 2024.

Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 8 décembre 2015

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Publié le 7 décembre 2015, mis à jour le 8 février 2018

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