Au coeur du déploiement: une artiste immortalise une mission militaire canadienne

L’exposition “Déploiement” est à retrouver au Centre Culturel Canadien du 9 juin au 14 novembre 2023. L’artiste québécoise Emmanuelle Léonard y expose son travail effectué aux côtés de jeunes soldats de l’armée canadienne en 2018, allant s’entraîner dans le Grand Nord dans le cadre de l’Opération Nunalivut.

Vous vous imaginez sûrement le Grand Nord comme une vaste étendue blanche avec un silence si intense qu’il en devient presque pesant. Et bien détrompez-vous: l’exposition “Déploiement” d’Emmanuelle Léonard remettra en question toutes les idées et représentations que vous vous faites sûrement du cercle arctique, au Nord du Canada. Vent de fraîcheur garanti.

 

L’Opération Nunalivut: de quoi parle-t-on?

En faisant de rapides recherches au sujet de l’opération Nunalivut on découvre que c’est une opération menée par les Forces armées canadiennes (FAC) afin de manifester la présence fédérale dans le Nord du Canada. On apprend aussi que cette mission assure annuellement l’entraînement de jeunes militaires dans l’extrême Nord et que depuis 2018, les missions du cercle arctique ont été réunies et se nomment désormais “Opérations Nanook”. 

 

Mais en se rendant au Centre Culturel Canadien on remarque rapidement que l’opération Nunalivut est bien plus que cela: des hommes jeunes, très jeunes, pour la plupart âgés de 18 à 22 ans, confrontés à des conditions climatiques extrêmes, partis loin de leurs familles. Emmanuelle Léonard qui a suivi ces jeunes hommes lors de la dernière opération Nunalivut en 2018 a à cœur de les montrer dans leurs individualités sans omettre le contexte militaire et hiérarchique dans lequel s’inscrit la mission. 

 

Présentée au Centre Culturel Canadien à Paris, cette exposition s’inscrit dans le Programme d’arts des Forces canadiennes (PAFC) ayant pour but “d’offrir aux artistes professionnels la possibilité d’apprendre à mieux connaître le personnel, les opérations quotidiennes et l’esprit des Forces canadiennes, ainsi que les familles et les collectivités qui sont touchées par les activités militaires menées par le Canada”.

 

Le déploiement militaire dans l’Arctique à travers l’objectif d’Emmanuelle Léonard

 

@lepetitjournal.com Déploiement de Emmanuelle Léonard au Centre Culturel Canadien du 9 juin au 14 novembre 2023. #deploiement #emmanuelleleonard #canada #quebec #centreculturelcanadien ♬ Flow

 

Une remise en question de ce que l’on s’imagine de l’extrême Nord: voilà aussi ce que l’on retire de l’exposition d’Emmanuelle Léonard. Une atmosphère lumineuse bleue, l’expérience de la nuit polaire et beaucoup de bruit. Du bruit de moteur, du bruit de générateur, du bruit d’engins. Ne vous effrayez pas en pénétrant dans les salles de l’exposition, vous serez plongés dans le quotidien des forces armées qui, elles, n’ont jamais de répit face au bruit. Et pour cause: son contraire serait fatal. Le silence impliquerait une interruption des moteurs et générateurs qui font tourner toute l’opération. Une situation qui s’avèrerait mortelle pour les équipes déployées à -55°C. 

 

Le grand froid, lui, transpire des œuvres de l’artiste: vidéos, photos, témoignages, sans jamais être traité comme un sujet à part entière, sa latence fait, sans doute de lui, le véritable ennemi des forces armées. Les produits artistiques d’Emmanuelle rendent compte de la difficulté avec laquelle ils maîtrisent le froid, camouflés et à l’allure de grands brûlés avec leurs cagoules blanches. Même lorsque leurs motoneiges ne démarrent pas car leur essence a gelé. En bref, des performances presque surhumaines, de l’ordre de la survie, capturées par l’objectif d’Emmanuelle. 

 

Rencontre avec la population inuite

La ville de référence et la base pour l’opération Nunalivut est en réalité un petit hameau se prénommant Resolute et situé dans le territoire canadien du Nunavut. Outre le fait que ce soit le deuxième village situé le plus au Nord du Canada et que ce soit l’un des endroits les plus froids habités au monde, son nom cache en vérité une histoire tragique de l’Histoire coloniale canadienne. à sa création en pleine guerre froide, le Canada avait besoin d’affirmer sa souveraineté et sa possession des lieux dans l’Extrême-Arctique. Pour ce faire et selon le gouvernement canadien “le gouvernement du Canada y a déplacé de force, en 1953 et 1955, des familles inuites du Nunavik et du Nunavut, les abandonnant sans moyens de substance à un sort tragique”. Aujourd’hui le gouvernement canadien a présenté ses excuses aux populations autochtones et a reconnu que leur présence dans les territoires arctiques était une ressource stratégique extrêmement importante car comme le dit Louise Déry, commissaire de l’exposition “Pour posséder un territoire il faut l’occuper.” 

 

65000 autochtones vivent dans la région de l’Inuit Nunangat, le territoire des Inuits au Canada. Parmi eux, toujours selon le gouvernement canadien, environ 5000 Rangers Inuits collaborent avec les Forces armées à titre de réservistes. Les opérations en Extrême-Arctique vont à la rencontre de ces Rangers qui les soutiennent et les aident grâce à leur expertise du terrain et du climat. Ils permettent également de faire le lien entre les effectifs militaires et les populations locales.

 

“Déploiement” est aussi le fruit d’une collaboration passionnante et fructueuse entre deux femmes québécoises: d’une part Emmanuelle Léonard, l’artiste audacieuse et aventureuse, déjà exposée dans plusieurs musées, galeries et fondations en Amérique et en Europe; et d’autre part Louise Déry, commissaire de l’exposition et directrice de la Galerie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à qui l’on doit déjà une centaine de projets et qui a obtenu le Prix du Gouverneur général du Canada en arts visuels et médiatiques. 

Le Centre Culturel Canadien expose le pays des caribous à travers un axe des plus glacial mais qui, à coup sûr, vous réchauffera le cœur.