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L’industrie pharmaceutique indienne secouée par le confinement

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Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 1 juin 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

Le secteur pharmaceutique indien est une industrie stratégique primordiale et au potentiel prometteur pour le pays. La demande internationale en médicament dépend aujourd'hui de l’Inde plus particulièrement pour les génériques et les vaccins. Mais, alors qu'il est donc primordial pour le marché mondial, il n'a pas été épargné par la crise de la Covid-19... On vous raconte comment.

L’industrie pharmaceutique indienne qui emploie 2,7 millions de personnes est le quatrième exportateur du pays et a enregistré une croissance de 7 à 8 % en 2019 avec, avant la crise sanitaire de la Covid-19, une prévision pour 2020 de 11 à 13 % (source Indian Pharmaceutical Alliance). La demande domestique est boostée par un accès de plus en plus facilité aux médicaments suite à la mise en place de programmes gouvernementaux comme le Ayushman Bharat Yojana qui a pour ambition de permettre des traitements à bas prix pour 500 millions de personnes (environ 40% de la population). D’autre part, les classes moyennes dépensent de plus en plus pour leur santé et on observe une augmentation de maladies chroniques parmi la population indienne. 

L’Inde est aujourd’hui le premier fournisseur de médicaments génériques dans le monde. Le secteur pharmaceutique indien approvisionne plus de 50 % de la demande mondiale en vaccins, 40 % de la demande américaine en médicaments génériques et 25 % de tous les médicaments utilisés au Royaume-Uni. A titre d’exemple, 80% des antirétroviraux utilisés dans le monde pour traiter le SIDA (Syndrome d'Immuno Déficience Acquise) sont fournis par les sociétés pharmaceutiques indiennes (source IBEF). Dans la dernière décennie, de nombreuses ONGs ont acheté les médicaments indiens pour des traitements abordables en Afrique et dans certaines régions d'Amérique latine. Médecins sans Frontières (MSF), par exemple, estime que les traitements à base d'antirétroviraux indiens reviennent deux à trois fois moins chers que ceux à base de médicaments d’une marque déposée (source MSF).

 

D'où le qualificatif de pharmacie du monde attribué de plus en plus souvent à l’Inde.

 

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(source IBEF)

 

La crise sanitaire générée par la Covid-19 n’a pas affecté tout de suite l’industrie pharmaceutique locale, comme nous l'indiquait le CEO d’une société pharmaceutique indienne au mois d’avril (Coronavirus : Impact sur l'économie indienne). 

Mais, ses conséquences font surface aujourd'hui après 2 mois de confinement du pays : ralentissement des importations de matières premières, mise en confinement strict de zones industrielles, obstacles pour le transport et la logistique, restrictions d’exportations et baisse de la demande locale. La rédaction revient sur ces différents points et vous présente les perspectives et les opportunités pour la sortie de crise de ce secteur stratégique pour l’Inde et pour le monde.


Un ralentissement des importations de matières premières 

L’Inde dépend à 60-70% des composants chinois pour la fabrication des produits semi-finis ou finis, or l’importation de ces produits a fortement diminué en février. Ce facteur combiné à la fermeture des frontières indiennes mi-mars a impacté la production indienne du dernier trimestre de l'année fiscale. Afin de réduire sa dépendance envers la Chine et de renforcer l’autonomie de l’Inde dans le cadre du nouveau programme “Atmanirbhar Bharat”, le gouvernement a décidé d’allouer des subventions pour un montant total de 1000 crores roupies (soit environ 119 millions d’euros) aux Etats qui établiront des centres de production de médicaments en vrac.


Une réduction de la capacité de production durant le confinement strict

Mi-avril 2020, 50 unités de production pharmaceutique ont dû fermer lorsque la ville de Baddi dans l’Himachal Pradesh a été déclarée zone de confinement strict. D’autres usines ont aussi été forcées de réduire leur production. La ville de Baddi et ses environs sont considérés comme le plus grand centre de production de médicaments en Asie et représentent entre 35 à 40 % de la production indienne. La mise en confinement strict de cette région a généré la crainte d’une pénurie de médicaments dans le pays et même à l’international. 

 

Tweet de Scott Gottlieb, ancien FDA Commissioner 

 

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Source The Economic Times of India

 

Depuis, l'activité a repris graduellement dans la zone. Aujourd’hui, le CEO d’une société pharmaceutique indienne indique que ses usines tournent à 60-80% de leur capacité en fonction des États dans lesquels elles se trouvent. 


 

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D’autre part, l'arrêt du trafic aérien international a empêché les organismes de contrôle occidentaux d’inspecter les usines indiennes. Le FDA, par exemple, envoie régulièrement des inspecteurs vérifier que les centres de production indiens qui fournissent le marché américain adhérent aux normes sanitaires prévues par les Etats-Unis. Durant les derniers mois, ces contrôles sur le terrain n’ont pu avoir lieu et plusieurs usines étaient dans l’attente d’un feu vert pour démarrer comme celles des sociétés Lupin et Dr Reddy’s à Pithampur dans le Madhya Pradesh et à Srikakulam dans l’Andhra Pradesh (source The Economic Times of India).

 

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Source The Economic Times of India

 

Des difficultés pour l’emballage de certains médicaments

Le confinement et la fermeture des frontières inter-états ont eu une conséquence plus inattendue sur la fabrication de médicaments. 

Les producteurs utilisent de la gélatine issue des os de bovins pour l’enveloppe des gélules que l’on avale. Or, la production de gélatine a subi des perturbations à la suite de la fermeture des abattoirs durant le confinement 1.0. La réouverture des abattoirs dans les phases suivantes du confinement a ensuite été ralentie par les nombreux obstacles rencontrés par les transporteurs de bovins.

En Inde, la production de gélules est d’environ 10 à 12 milliards de pièces par mois et on estime qu’elle a subi une baisse de 30 à 40% durant le confinement. 


 

Un casse-tête pour le transport

The Economic Times of India rapporte que l’industrie pharmaceutique indienne a rencontré de nombreux obstacles dans le transport des produits que ce soit en amont pour l’approvisionnement en provenance de Chine et en aval pour livrer les produits au marché domestique et à l’international. A la suite de la fermeture des frontières et du ralentissement du fonctionnement des services administratifs, le débarquement et dédouanement des containers dans les ports a été fortement ralenti au début du confinement.

De plus, la plupart des sociétés indiennes utilisent la capacité de fret des avions commerciaux. Avec l'arrêt complet du trafic aérien de passagers, les sociétés ont dû faire face à des problèmes d’approvisionnement et de distribution. Certaines compagnies aériennes locales comme Spicejet ont ensuite obtenu l’autorisation de mise en place de vols cargo pour faciliter le transport domestique. 


Une contraction de la demande domestique en avril 2020

Selon The Economic Times of India, le confinement du pays a entrainé une des contractions les plus fortes depuis trois ans du marché domestique de produits pharmaceutiques. En avril 2020, la croissance de la demande a décliné de 12% par rapport à avril 2019, c’est la première fois depuis la mise en place de la GST (la taxe sur les produits et services) en juillet 2017. 

 

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Le marché domestique est dominé à 40% par les médicaments pour les traitements anti- infectieux, les médicaments contre la douleur, les médicaments pour les maladies gastro-entériques et les vitamines (les trois derniers produits sont généralement prescrits avec le traitement anti-infectieux). Les prescriptions pour ces quatre types de produits ont connu une baisse de 21% en moyenne au mois d’avril 2020.


Une réduction des exportations au dernier trimestre 2019-2020

Le 3 mars 2020, afin de prévenir une potentielle pénurie dans le pays, le gouvernement indien a interdit l’exportation de 26 produits pharmaceutiques semi-finis comme les ingrédients actifs (API) pour le Paracétamol et l’Hydroxychloroquine. Il a autorisé à nouveau l’exportation d’Hydroxychloroquine et de 24 autres produits en avril 2020, et enfin celle des ingrédients actifs du Paracétamol le 28 mai 2020. Entre avril 2019 et janvier 2020, l’Inde a exporté pour 72,52 millions de dollars de Paracétamol et 5,41 milliards de dollars de produits à base de Paracétamol (source The Economic Times of India). L’Inde fournit 70% de l’Hydroxychloroquine utilisée dans le monde. Ipca Laboratories, Zydus Cadila et Wallace Pharmaceuticals en sont les principaux fabricants en Inde.

Les exportations du secteur pharmaceutique indien sur le dernier trimestre de l'année fiscale 2019-2020 ont été affectées par ces interdictions. Pour l'année fiscale 2019-2020, elles ont été évaluées à 20,58 milliards de dollars contre un objectif de 22 milliards de dollars selon un communiqué du conseil de promotion des exportations de produits pharmaceutiques (Pharmaceuticals Export Promotion Council). 

Cette baisse des exportations indiennes a engendré des problèmes d’approvisionnement pour le marché occidental. De nombreuses sociétés de production pharmaceutique dépendent de la Chine et de l’Inde pour satisfaire la demande internationale de médicaments. Selon le FDA americain (Food and Drug Administration), la Chine et l’Inde hébergent environ 31% des usines de production des ingrédients actifs (API) utilisés par l’industrie pharmaceutique mondiale. Le confinement prolongé de la Chine d’abord, puis de l’Inde ainsi que les mesures de restriction temporaires des exportations prises par le gouvernement indien ont généré une baisse perceptible de la production de médicaments en occident. 


Les opportunités pour l’Inde

Le 28 mai 2020, Sanjay Bhattacharyya, secrétaire du ministère indien des Affaires Étrangères a déclaré : "Lors de la crise sanitaire de la Covid-19, l’Inde a assumé le rôle de pharmacie du monde et de fournisseur mondial de produits pour la santé. L’Inde a la capacité de devenir l'intermédiaire entre les pays développés et les pays en voie de développement et de faciliter les flux bilatéraux d’information, de produits et d’expertise. On observe aussi un intérêt grandissant pour le yoga et l’ayurveda.”

L’Inde entend aujourd’hui utiliser sa capacité de production importante afin de renforcer ses parts de marché et son poids sur les systèmes de santé mondiaux. Les experts préconisent trois axes :

  • augmenter les exportations,
  • devenir une destination de tourisme médical privilégiée pour ceux qui recherchent des traitements peu onéreux,
  • poursuivre la diplomatie médicale en fournissant des formations médicales et de l’expertise aux pays en voie de développement.

 

Augmentation des exportations

L’Afrique constitue une des destinations potentielles pour la croissance des exportations de produits pharmaceutiques indiens. En 2017, l’Inde en exportait vers l’Afrique pour 2,8 milliards de dollars soit 22% du total des exportations indiennes de ce secteur. Les médicaments indiens étant peu onéreux, ils sont adaptés aux marchés africains. L’Afrique du sud et le Nigeria sont les principaux clients de l’Inde soit 30% du commerce pharmaceutique entre le sous-continent et le continent. Le potentiel du marché de médicaments africain est estimé à 4,2 milliards de dollars pour les années à venir (source An Analysis of Africa and India’s Trade and Investment)

 

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Diplomatie médicale

Durant la crise sanitaire due à la Covid-19, l’Inde a pratiqué la diplomatie médicale en distribuant gratuitement des médicaments (en particulier la fameuse Hydroxychloroquine) à ses voisins comme le Sri Lanka. Suite à la livraison d’une cargaison de 10 tonnes de médicaments au Sri Lanka, la “Indian High Commission” à Colombo (l'équivalent de l’ambassade indienne au Sri Lanka) a déclaré : “Voici encore une démonstration du soutien inconditionnel de l’Inde envers son voisin, le Sri Lanka. Malgré les défis rencontrés sur son territoire, l’Inde a toujours cru au partage des ressources et de l’expertise avec ses amis et partenaires”.

Dans un podcast de la série Affaires Étrangères de France Culture : La géopolitique du médicament, Christophe Jaffrelot, directeur de recherches au CERI de Sciences-Po revient sur les ambitions de l’Inde dans le secteur pharmaceutique et précise : “L’Inde est, après la Chine, l’autre géant du médicament générique. Héritier du tiers-mondisme à la Nehru, le pays invoque le principe du médicament pour tous pour soutenir des investissements massifs. C’est un secteur très important qui représente plus de 20 milliards de dollars d’exportation annuelle - nous étions à moins de 5 milliards il y a encore quelques années. L’Inde s’est essayée à une diplomatie du médicament. Mais elle a dû reconnaître qu’elle dépendait, elle-aussi, de la Chine.”



 


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