Le mouvement #MeToo qui a démarré en Inde plus tard qu’ailleurs continue sur sa lancée. Le réalisateur Rajkumar Hirani est la dernière personne de Bollywood à avoir été accusée de harcèlement sexuel. Les révélations ont été émises par son assistante lors de la réalisation du film Sanju. Celui-ci a pour l’instant nié tout en bloc.
L’ancienne actrice de Bollywood, Tanushree Dutta fut la première personne à publier une accusation sur Twitter contre l’acteur Nana Patekar en septembre 2018. Une semaine après, des actrices ainsi que des journalistes rejoignaient le mouvement en rendant public le harcèlement dont elles avaient été victimes de la part de leurs collègues masculins.
Les révélations ont touché le monde de Bollywood mais aussi un ministre du gouvernement Modi, ancien éditeur du média The Asian Age, M.J. Akbar, qui a été obligé de démissionner après avoir été accusé par six femmes de comportement déplacé et d’avances sexuelles. Depuis, plus de 20 personnes ont affirmé qu’elles avaient subi des violences de la part de M.J. Akbar. Celui-ci a engagé une action civile pour diffamation qu'il a perdue en février 2021. Priya Ramani, la journaliste accusée de diffamation a été acquittée par la cour de Delhi qui a refuté la plainte de M.J. Akbar.
Durant tout le mois d’octobre, nombreux sont les hommes de Bollywood dont le nom a été mentionné dans un tweet #MeToo. Les acteurs Alok Nath et Sajid Khan, le réalisateur Vikas Bahl, le comédien Utsav Chakroborty, le chanteur Anu Malik, le poète Vairamuthu et l’auteur Chetan Baghat ont tous vu leur nom apparaitre sous le #MeToo. Plusieurs journalistes ont du aussi quitter leur poste, notamment le rédacteur politique du Hindustan Times, Prashant Jha. La société de production, Phantom films, connue pour la série Netflix Le Seigneur de Bombay a été dissoute suite aux accusations portées sur un des associés, Vikas Bahl. Mais les hommes ne sont pas les seuls touchés : une comédienne, Kaneez Surta, a aussi divulgué qu’elle avait été harcelée par une autre actrice, Aditi Mittal.
Suite à la première accusation, les Indiennes ont réagi très vite et se sont lancées dans le mouvement sans hésiter. La journaliste freelance Sandhya Mennon, révoltée par les excuses du célèbre comédien Utsav Chakroborty qui venait d’être accusé de harcèlement, a rendu public le comportement inapproprié de trois collègues. Depuis, aidée par d’autres femmes, elle s’active en tant que gardienne du mouvement, écoutant les révélations et discutant avec les victimes de la meilleure façon de les publier.
Selon une étude de Bloomberg, en Inde, le rôle des médias sociaux a été vital. Twitter et Facebook ont offert un espace sécurisé pour raconter les événements subis et cela a permis aux victimes de nommer les accusés. Au contraire des Etats-Unis, où la campagne #MeToo a été relayée par des analyses et des articles dans des journaux respectés, les journalistes indiens qui enquêtent sur des sujets "tabous" rencontrent souvent de nombreux obstacles comme la censure, la peur de perdre son emploi par la personne qui témoigne et ne peuvent donc publier leurs découvertes.
Beaucoup d'Indiens sont d'accord sur le fait que le mouvement #MeToo a mis à jour certains côtés peu reluisants de leur société et a clairement permis à des femmes ayant souffert d’abus sexuels d’en parler. Malheureusement, pour l’instant, cela concerne seulement les personnes les plus privilégiées et nombreux sont ceux qui n’ont pas encore les moyens de faire entendre leur voix.
La plupart des médias ont relayé les tweets des stars de Bollywood sur le sujet mais on ne trouve que peu d’informations sur les opinions des femmes indiennes vivant en dehors de ce milieu. Pour en savoir plus, lepetitjournal.com Bombay a discuté du mouvement #MeToo avec trois Indiennes de la classe moyenne ayant des parcours différents.
Selon une trentenaire, cadre dans une société internationale, il y a deux opinions exprimées par les habitants des villes indiennes à propos du mouvement #MeToo :
- C’est super et cela a donné la force à de nombreuses personnes de s’exprimer contre les gens qui les ont fait souffrir.
- C’est inutile et ne mènera à rien (kuch nahi hoga)
Interrogée sur son avis personnel, elle déclare : “Même si j’ai moi aussi été victime de certains abus, je pense que le mouvement en Inde a été utilisé de manière excessive dans certains cas. Certaines personnes s’en sont servies comme d’un instrument de revanche contre un homme pour des raisons personnelles n’ayant rien à voir avec du harcèlement sexuel et c’est pourquoi la crédibilité des accusations doit être vérifiée attentivement.
Je crois fermement que ce mouvement a permis aux femmes vivant dans ce pays de 1,37 milliards d’habitants et dans lequel le sexe est encore tabou de prendre conscience de leurs droits. Cependant, pour moi, #MeToo est trop orientée vers les femmes alors qu’il y a aussi beaucoup d’hommes qui sont victimes de prédateurs sexuels.”
Une jeune femme travaillant pour une ONG a révélé avoir été victime de comportement déplacés et même d’abus sexuels et affirme : “Ce n’est pas facile d’en parler, ce genre de comportement est dégoûtant. Mais, parfois, on est trop jeune pour comprendre ce qui se passe. La plupart des hommes et des femmes pensent qu’en parler après un certain temps est ridicule et peu crédible, il faut le dire tout de suite. Mais, malheureusement, nous vivons dans une société qui nous inculque que si cela nous arrive, c’est que nous l’avons cherché. Nous ne sommes pas encore élevées pour se battre contre ce genre de comportement et il n’y a que peu de soutien dans les familles. Mais c’est bien que l’on commence à en parler publiquement et j’espère que, bientôt, il y aura dans chaque organisation une cellule de protection contre le harcèlement sexuel.”
Pour une mère de famille vivant chez ses beaux-parents comme beaucoup d’épouses indiennes, le mouvement #MeToo a engendré un réveil de la société indienne et a mis à jour des choses enfouies profondément. Mais elle ajoute : “cependant, si certaines révélations étaient véridiques, d’autres ont été faites uniquement dans le but de connaitre la popularité et ont abîmées l’image de la personne accusée.
#MeToo est dans une certaine mesure à la mode et va disparaitre si cela n’est pas structuré par un cadre légal. En Inde, beaucoup de déclarations servent à se faire de la publicité !”