Arrivée par hasard en Inde il y a 10 ans, Isabelle Pacaud n'est plus jamais repartie. Aujourd'hui résidente de Pondichéry, elle nous raconte, avec ses mots, son quotidien où le Coronavirus rôde toujours…
« Le virus est parti »
Esther, qui habite tout près dans le village des pêcheurs de Vaithikupam, me raconte combien les derniers mois ont été éprouvants économiquement : plus de clients pour ses massages et soins de beauté à domicile, elle a dû faire face à la situation grâce à la générosité des uns et des autres et à sa foi inébranlable. Elle a l'art de raconter des situations dramatiques dans des éclats de rire. C'est toujours une bonne leçon pour moi. Elle témoigne de ses prières continuelles, elle est catholique, reliquat de la colonisation française et portugaise en Inde. Dans son "broken english" je comprends néanmoins clairement la situation. Tout le monde souffre, je prie pour que nos enfants ne connaissent pas cela, dit-elle.
Autre signe de changement, une des dernières fermes de la Papamail Koil Street vient de disparaître au pied de mon immeuble. Hier soir, en portant mon compost aux vaches qui depuis des années n'avaient plus beaucoup de verdure, je m'aperçois que le béton a encore frappé. Ce qui est sûr, c'est que pour l'instant, être en Inde est doux dans la clémence de l'hiver du sud du pays entre 20 et 30 degrés. D'autant plus que la question de partir ou rester ne se pose pas. Depuis hier, il ne reste plus que les "bubble air", vols non commerciaux mais tout de même réguliers pour la France. La seule possibilité est de faire l'objet d'un rapatriement. Heureusement, ce n'est pas d’actualité. Ma mère est à l'hôpital. Ce n'est pas vraiment le bon endroit où séjourner en ce moment, même pour se faire soigner, sans aucune visite possible, Covid oblige. Elle a été testée négative. Pour longtemps ? Nous lui avons fait passer de quoi patienter en attendant le retour à la maison, dans le colis l'incontournable scrabble. Seule, il lui reste le téléphone pour entretenir les liens.
Plus de corona comme on dit ici, le virus est parti. Même si l'on ne sait pas bien où, chaque jour offre un quotidien débordant de vie et de mouvement. Il est bon de circuler librement avec les règles de prévention qui sont plus ou moins ancrées selon les milieux. Ce qui est un peu difficile pour mon esprit cartésien (mais pas que...) c'est que le masque est là, mais plus souvent sous le nez voire le menton. Le gel hydroalcoolique trône à chaque entrée dans un système défectueux ou vide, quant aux règles de distanciation physique, elles s'effacent au même rythme que les marquages au sol. La grande nouveauté, c'est l'immunité collective. La presse indienne se fait l'écho de l'Inde comme premier pays ayant atteint le seuil d'immunité collective. Cela étant sous-tendu par la densité, les conditions de promiscuité de certaines catégories de la population et un niveau d'immunité initial déjà élevé compte-tenu des conditions de vie du pays. C'est une bonne nouvelle...et en même temps se pose toujours la question de la véracité de l'information. Aux Senteurs, il n'est pas toujours facile de faire respecter les règles officielles de prévention pour les travailleurs. Signe de l'usure du temps, de l'inconscience ou du manque de responsabilité individuelle ?
La vie d’après
Pas de trêve, en revanche pour les paysans indiens et européens. La terre a pris quelques repos durant les longs mois de confinement ici et là. La reprise n'en paraît que plus dure. À Delhi, la fronde s'exprime en chansons, réminiscences de la grande tradition cinématographique de Bollywood. En Bourgogne et dans le paysage rural français, la révolte est plus discrète mais bien réelle. Il neige et il fait si froid en France pour Sanhita, mon ancienne élève, installée à Strasbourg. Rien ne l'arrête dans sa fougue de jeunesse déployée. Les rares cours en présentiel deux fois par semaine sont déjà pour elle une grande joie.
Ce matin, premier jour de reprise des cours à Knowledge, l'université de l'Ashram. Quelle joie de retrouver mes élèves. Les visages sont masqués certes, mais de ma salle préférée au bord de la mer, la légère brise venue de Beach road rend cette rentrée toute particulière et heureuse. Comment reprendre après onze mois sans évoquer ce qui nous a marqué tout en étant au plus près du moment présent. Les sourires se devinent, l'énergie est palpable. C'est bon...Avec Ashwini et Asmita, mes deux élèves passionnées et passionnantes, nous avons réfléchi ce matin à la question des cours en ligne et en présentiel. Ne sommes-nous pas dans une illusion de croire qu'il est si facile de transposer le réel dans le virtuel ? Le débat est animé. En chevauchant ma TVS rouge au sortir du cours, je tombe sur une timide grappe de fleurs jaunes. Ce n'est pas vraiment la saison de floraison de cet arbre que j'aime tant. Il illumine habituellement les rues aux noms français de la Ville Blanche à une toute autre saison.
Signe du dérèglement climatique ? Cet arbre s'appelle Imagination.
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