Chorégraphe français et directeur de Chaillot - Théâtre national de la Danse, Rachid Ouramdane est venu à Hong Kong dans le cadre du French May pour présenter Corps extrêmes, une œuvre qui mêle acrobatie, sport extrême et poésie chorégraphique. Il nous parle de sa vision de l’engagement corporel, de son travail pour les JO de Paris 2024 et de son lien particulier avec Hong Kong.


Apprivoiser le risque ensemble
Votre spectacle Corps extrêmes est présenté au Grand Theatre, Xiqu Centre. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est une pièce née d’un désir ancien : celui de réunir sur scène des sportifs de l’extrême, des acrobates aériens, ceux qui ont une relation presque spirituelle à la nature et au vide. J’ai grandi dans les Alpes, je vis aujourd’hui en Chartreuse, et j’ai toujours été entouré de gens qui pratiquent la montagne, l’escalade, la highline… souvent perçus comme des fous. Mais en réalité, ce sont des gens extrêmement lucides, avec une capacité rare à apprivoiser le risque.
Ce spectacle parle de ça : de la conscience du danger, de l’intensité du rapport au monde, mais aussi de l’écoute, de l’attention à l’autre. Car sans cette vigilance mutuelle, ce qu’ils font serait tout simplement impossible. Corps extrêmes célèbre cette humanité vibrante qui surgit dans la mise en danger maîtrisée.
La scène interroge nos limites
Vous évoquez souvent la fragilité comme point de départ de votre travail. C’est encore le cas ici ?
Absolument. Ce qui m’intéresse dans ces corps poussés à l’extrême, c’est moins leur performance que ce qu’elle révèle de notre vulnérabilité. On entre dans la salle en pensant voir des exploits, on en sort touché par la fragilité de ceux qui les accomplissent.
La scène devient un lieu où l’on interroge nos limites, où l’on découvre que « nous sommes plus grands que ce que nous croyons ». J’aime cette idée que la fragilité, loin d’être un défaut, est une ressource. C’est une constante dans mon travail, que ce soit avec des mineurs isolés, des personnes en situation de handicap ou des victimes de traumatismes. Ce que je cherche, c’est comment transformer l’obstacle en force, par le collectif, par la solidarité.

Paris 2024 sur le Pont Neuf
Vous avez été associé aux cérémonies des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Comment cela s’est-il fait ?
Thomas Jolly, le directeur artistique des cérémonies, m’a confié une partie de l’événement : le Pont Neuf. C’est un espace emblématique, et il a pensé que mes chorégraphies aériennes pouvaient y trouver un sens. C’était très enthousiasmant, parce que j’ai toujours rêvé de jouer à l’échelle d’une ville.
Avec mes équipes, on a l’habitude d’investir des lieux hors-norme : la cathédrale de Bordeaux, les tours de La Rochelle, le Panthéon… Chaque site devient un partenaire de jeu, un paysage pour le mouvement. On y insère des corps dans des endroits incongrus, qui réveillent notre regard. Un corps suspendu à une corniche peut faire basculer notre perception du quotidien.
Hong Kong propose un dialogue
C’est la deuxième fois que vous venez à Hong Kong. Quel est votre lien avec cette ville ?
J’ai eu la chance de venir régulièrement en Chine et à Hong Kong, notamment en 2023 avec Les Traceurs, une performance en plein air dans le parc de West Kowloon. C’était magique. Les gens nous disaient : « Je passe tous les jours par ici, mais maintenant, ce lieu a une charge émotionnelle différente. » C’est exactement ce que je cherche : inscrire des souvenirs sensibles dans les espaces urbains.
Et puis il y a des complicités fortes, notamment avec la maison Van Cleef & Arpels, qui soutient la danse contemporaine, West Kowloon et bien sûr avec le French May. On sent ici un vrai désir de dialogue entre l’art et la cité, entre la scène et les publics. Cela fait écho à ce que j’essaie de développer au Théâtre National de la Danse, en France.
L’art permet de créer du commun
Votre travail brouille les frontières entre art, sport, science, engagement… Quelle est votre vision du rôle de l’art aujourd’hui ?
Je crois que l’art est un formidable espace de réinvention. Il permet de penser autrement la société, de relier des disciplines, des mondes qui ne se parlent pas toujours. C’est ce que j’essaie de faire : créer des ponts, mettre en dialogue les savoirs, les expériences, les corps.
Et puis, plus simplement, offrir des moments de partage, d’émotion, où les gens se sentent moins seuls. C’est peut-être ça, le plus important : créer du commun. Parce qu’au fond, même dans les sports les plus extrêmes, ce qu’on voit, c’est une solidarité radicale. Et c’est de là que jaillit la beauté.
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