Édition internationale

Marine Thomas : "City of Shells parle d'une histoire que nous devons réécrire"

À travers le documentaire City of Shells, Marine Thomas et son équipe alertent sur la disparition quasi totale des récifs d’huîtres sauvages à Hong Kong. Ces écosystèmes essentiels, qui filtraient l’eau et structuraient la biodiversité côtière, ont aussi contribué à l’histoire économique et architecturale de la région. La responsable conservation de The Nature Conservancy à Hong Kong milite pour leur protection et leur réintroduction. Entretien avec une écologiste passionnée.

marine thomasmarine thomas
Écrit par Didier Pujol
Publié le 26 mai 2025, mis à jour le 27 mai 2025

 

Une franco-hongkongaise engagée pour l’océan

Vous êtes née à Hong Kong. Qu’est-ce qui vous a conduite à vous consacrer à la conservation marine ?

Je suis née et j’ai grandi à Hong Kong, dans un mélange de cultures française et hongkongaise. Mon amour pour la nature m’a suivie depuis l’enfance. À 13 ans, j’ai commencé la plongée sous-marine et c’est là que s’est vraiment éveillée ma passion pour l’océan. Après quelques années dans l’industrie du luxe, j’ai choisi de tout recommencer à zéro pour travailler dans la conservation. Aujourd’hui, je dirige l’équipe conservation de The Nature Conservancy à Hong Kong.

Une histoire millénaire engloutie

 

Pourquoi les récifs d’huîtres sont-ils au cœur de votre combat ?

Parce qu’ils sont à la fois essentiels et oubliés. On pense souvent aux huîtres comme à un produit alimentaire, mais ce sont surtout des piliers écologiques. Elles filtrent l’eau, absorbent les nutriments excédentaires, favorisent la biodiversité et stabilisent les côtes. Autrefois, les récifs d’huîtres couvraient toute la côte de Hong Kong, notamment à North et South Lantau. Ils ont aussi joué un rôle historique majeur : leurs coquilles étaient utilisées pour produire de la chaux, essentielle dans la construction des murs de Macau et même à Hong Kong.

 

Qu’est-il arrivé à ces récifs ?

Comme dans beaucoup de grandes villes côtières, ils ont été surexploités et détruits par l’urbanisation et la pollution. Aujourd’hui, 85 % des récifs d’huîtres ont disparu dans le monde, et à Hong Kong, c’est presque une extinction fonctionnelle. On a oublié qu’ils formaient autrefois de véritables récifs, comparables à ceux de corail, mais dans les estuaires.

City of Shells est un projet de mémoire et d’avenir

 

Comment est né le documentaire City of Shells ?

C’est un projet né sur le terrain. Nous explorions les fonds marins de South Lantau, à la recherche de traces d’anciens récifs, quand le réalisateur Mike Sakas nous a rejoints. Pendant trois ans, il a documenté notre travail de terrain, nos découvertes, nos partenariats avec des ostréiculteurs locaux et chercheurs. Le film retrace cette aventure scientifique et humaine, et met en lumière une histoire écologique oubliée.

 

Que montre-t-on concrètement dans ce film ?

Le film retrace les étapes d’un programme de restauration pionnier. Nous avons commencé par identifier les anciennes zones récifales à l’aide de cartes anciennes et de données scientifiques. Puis nous avons mené des expéditions en plongée, souvent à l’aveugle. Nous avons restauré un récif pilote à proximité de l’aéroport de Hong Kong, en partenariat avec l’Autorité Aéroportuaire, et nous avons pu constater les premiers signes de colonisation par les huîtres et d’autres espèces marines.

Restaurer un écosystème, c'est recréer une chaîne de vie

 

Comment restaure-t-on un récif d’huîtres ?

C’est un processus long et complexe. Il ne s’agit pas seulement de déposer des coquilles au fond de l’eau. Il faut d’abord reconstruire la structure récifale, puis réintroduire les huîtres, souvent en achetant des juvéniles auprès des ostréiculteurs locaux ou en les élevant en laboratoire. À South Lantau, nous avons la chance d’avoir encore des larves sauvages dans l’eau : il suffit parfois de poser un substrat dur pour qu’elles s’y installent naturellement.

Pourquoi ces efforts sont-ils si importants pour la biodiversité ?

Parce que les huîtres jouent un rôle de base dans l’écosystème. Ce sont des filtreurs naturels qui améliorent la qualité de l’eau, mais aussi des bâtisseurs d’habitat. Leur présence favorise toute une chaîne alimentaire : vers, crustacés, poissons, oiseaux… Un récif en bonne santé, c’est un hotspot de vie marine. Et c’est aussi une défense naturelle contre l’érosion côtière.

Passer à l’action, maintenant

 

Quel message portez-vous aujourd’hui à travers ce film ?

Le message est clair : nous devons protéger et restaurer ces écosystèmes avant qu’il ne soit trop tard. Le film sert de support à notre campagne de sensibilisation et à notre plaidoyer dans le cadre de la consultation publique sur le plan d’action biodiversité (BSAP). Nous demandons une reconnaissance officielle des récifs d’huîtres comme habitat marin prioritaire, et l’extension des zones marines protégées à Hong Kong.

 

Avez-vous le soutien nécessaire ?

Nous avons des partenaires, des scientifiques, même des entreprises comme Hermès qui nous soutiennent. Le vrai défi, aujourd’hui, ce sont les blocages administratifs : l’accès au domaine marin, le manque de cadre réglementaire. Il nous faut une vision politique ambitieuse. Mais chaque citoyen peut faire entendre sa voix. La consultation publique est ouverte jusqu’au 11 juillet. Ce film, c’est une invitation à agir.

Le documentaire City of Shells est disponible sur le site de The Nature Conservancy et fait partie d’une campagne pour la protection des récifs d’huîtres. La consultation publique du BSAP est ouverte jusqu’au 11 juillet. Pour en savoir plus tapez ici

 

Commentaires

Flash infos