Depuis les discussions et l’adoption par l’Assemblée Nationale Populaire chinoise de la loi sur la sécurité nationale, une partie de la population hongkongaise semble avoir adopté une stratégie de préparation d’un plan B. Certains gouvernements leur ont exprimé un soutien, notamment le Royaume-Uni, qui fait évoluer son passeport dit BN(O). 3 millions de Hongkongais se préparent-ils à fuir?
Plan B pour les Hongkongais
Des mouvements inhabituels ont été rapportés par différents acteurs de l’économie hongkongaise, et parfois démentis hâtivement.
- Le 30 mai, les guichets de change ont été pris d’assaut par des Hongkongais pressés d’acheter des devises étrangères, dollars américains et livres sterling.
- Les agences d’aide à l’immigration ont fait l’objet de demandes urgentes de clients paniqués, cherchant à partir dès le lendemain.
- Les agents immobiliers qui travaillent sur les marchés étrangers ont aussi rapporté une activité frénétique. L’investissement immobilier est en effet un moyen rapide et finalement peu coûteux d’obtenir la naturalisation via le fameux Golden Visa: Grèce, Espagne, Portugal, Malte, Montenegro…les options ne manquent pas.
- Les titulaires de passeports BN(O) expirés ou perdus se sont empressés de les faire renouveler ou remplacer, alors que les 1000HKD nécessaires en rebutaient plus d’un il y a peu. Des Hongkongais éligibles ont aussi fait leur première demande, et les queues chez DHL pour l'envoi des documents se sont allongées.
Tout ceci ressemble à un exode, comme il y en avait eu dans les années 1990 à l’approche de la rétrocession. On estime que près de 500.000 personnes ont alors quitté Hong Kong, notamment après Tian’anmen.
Qu’est-ce que le BN(0)?
Le British National (Overseas) passport, créé en 1985, fait partie intégrante des accords de rétrocession signés. Tous les résidents permanents de Hong Kong nés avant celle-ci peuvent demander un passeport BN(O). Le BN(0) accorde le droit de séjour au Royaume-Uni jusqu’à 6 mois, la possibilité de voter, la possibilité de travailler dans l’administration à des postes non-réservés. Il permet aussi, à l’issue de 5 ans de résidence, d’obtenir la citoyenneté britannique autrement que par naturalisation ou droit du sang.
Il ne donne cependant pas un droit automatique à travailler ou résider, ni aucun accès aux aides sociales britanniques et n'est pas transférable à ses enfants.
Considéré comme une garantie insuffisante par les 2.9 millions de Hongkongais éligibles qui en ont fait la demande à l’époque, seuls 350.000 BN(0) sont valides aujourd’hui. En 2005 encore, le consulat général britannique ressentait le besoin de faire des publicités pour le BN(O) passport: "Travel with confidence on your BN(O) passport. Reliable. Secure. And renewable for life."
Les voisins de Macao, face à la même problématique, se sont vus offrir par le Portugal le maintien de leur citoyenneté portugaise et le droit de séjour après 1999. Le Royaume-Uni avait aussi, dans le cas de Gibraltar et des îles Falkland, maintenu la citoyenneté britannique. Le dernier gouverneur britannique Chris Patten avait demandé la même chose pour les Hongkongais, mais le Parlement n’avait pas suivi.
Depuis 2019, de nombreux manifestants brandissent leur BN(O) marron, comme un petit livre rouge censé les protéger des violences policières. Ils ont régulièrement appelé le gouvernement britannique à faire évoluer le statut des détenteurs de BN(O) vers une vraie citoyenneté.
"Le Royaume-Uni vous propose une alternative"
Le passage de la loi de sécurité nationale en Chine n’a pas laissé les diplomates des pays occidentaux indifférents. Etats-Unis, Canada, Australie notamment se sont exprimés, de même que des groupes de défense des droits de l’homme, sur le devoir d’accueillir les Hongkongais fuyant le territoire.
Le Premier Ministre Britannique Boris Johnson, dans une tribune dans le South China Morning Post et The Time publiée le 3 juin, annonce le projet de modifier les règles migratoires britanniques. Ainsi, la durée maximum de séjour de 6 mois passera à 12 mois reconductibles, l’objectif à terme étant d’accorder un droit de travail et de progresser vers une vraie citoyenneté.
Le Foreign Secretary Britannique, Dominic Raab, a précisé que le gouvernement britannique mettra en application cette nouvelle politique seulement "si la Chine continue dans cette voie" (i.e. si l’exécutif chinois promulgue les décrets d’application de la loi votée par l’ANP), et "en attendant de voir les détails du contenu de la loi votée". Il simplifiera les démarches des titulaires de BN(O) non valides, soit 2.9 millions de personnes (selon le British Consulate General in Hong Kong).
Interprétations et cris d’orfraie
Encore très floues, les différentes déclarations britanniques n’en sont pas moins très commentées. Certains craignent qu'un tiers de la population hongkongaise obtienne un droit de résidence et de travail, entraînant une fuite des cerveaux.
D’autres soulignent que seuls les plus fortunés pourront prendre le risque de vivre un an au Royaume-Uni sans garantie d’obtenir un permis de travail et un travail. Luke de Pulford, coordinateur du nouveau groupe Inter-Parliamentary Alliance on China, a répondu sur ce point: ce serait "impensable et immoral de déporter des détenteurs de passeports BN(O) parce qu’ils n’ont pas assez d’argent… Nous avons promis que nous étions avec tous les Hongkongais. Pas seulement ceux qui peuvent payer".
Devant le volume, le gouvernement du Royaume-Uni est en discussion avec les autres pays de la Five Eyes alliance (Etats-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) pour "partager la charge en cas d’exode".
Les Etats-Unis applaudissent et en rajoutent une couche. Le Sénateur de la majorité Mitch McConnell a déclaré que la réponse américaine "refléterait les autres démocraties qui ont ouvert leurs portes aux Hongkongais fuyant l’oppression."
La Présidente Taiwanaise Tsai Ing-wen a confirmé que son gouvernement travaillait sur des mesures pour permettre aux Hongkongais de s’installer et travailler à Taiwan.
De son côté, le Ministre des Affaires Etrangères chinois Zhao Lijian a immédiatement condamné l’ingérence étrangère dans les affaires chinoises. Le gouvernement hongkongais a décliné tout commentaire et renvoyé aux déclarations du Ministère Chinois des Affaires Etrangères. Voilà pour l’autonomie.
Chacun affute donc ses couteaux et les limites identifiées vont donner lieu à des joutes diplomatiques:
- Les manifestants à Hong Kong nés avant 1997 ne sont pas éligibles, et ce n’est pas négligeable étant donnée la moyenne d’âge dans les mouvements récents.
- D’après les accords de rétrocession, le BN(0) a été prévu pour des résidents hongkongais, il ne visait pas l’installation au Royaume-Uni.
Quelles sont les implications?
Le changement répond d’abord à la volonté populaire, qui considère en effet majoritairement qu’il faut soutenir les détenteurs de BN(O). Une enquête YouGov poll montre que la majorité des Britanniques soutient des droits renforcés pour les Hongkongais détenteurs de BN(O). Ceci prouve que le Brexit n’était pas motivé que par le souhait de freiner le flux migratoire rendu possible par l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne. Le Royaume-Uni reste terre d’accueil.
En ouvrant leurs bras aux Hongkongais, les Britanniques accueillent des étrangers connus pour leur bilinguisme, leur professionnalisme, et leurs compétences financières. Car si tous les Hongkongais qui décident de partir au Royaume-Uni ne sont pas des experts financiers, certains le seront: et la place boursière y gagnera quelques cerveaux bien faits.
Comme Dominic Raab le dit et comme le prouvent les négociations Five Eyes, le Royaume-Uni ne cherche pas particulièrement à attirer 3 millions de personnes. En stimulant les demandes de BN(O), il étend la protection consulaire. Un détenteur de BN(O), comme tout détenteur de passeport britannique, est assisté par le consulat en cas d'arrestation ou d’incarcération sur un territoire étranger. La Chine a déjà fait savoir qu’aucune protection ne serait reconnue sur le territoire chinois, incluant Hong Kong. Mais quid des pays limitrophes?
Au-delà, c’est un signal fort que le Royaume-Uni a révisé sa politique de rapprochement avec la Chine en cours depuis quelques années. Hong Kong (et Boris Johnson) ont changé la donne. Le Commonwealth reprend aussi du poil de la bête, et le Royaume-Uni post-Brexit se rapproche de ses alliés historiques.
Enfin, si le BN(O) ancienne ou nouvelle formule donne quelques assurances aux Hongkongais, la polémique éclaire sur le courage des manifestants actuels: à quel point les manifestants n’ont-ils pas déjà un 2ème passeport? Le Canada notamment, terre d’asile des années 1990, est en effet très agité depuis l’an dernier: beaucoup de Hongkongais y ont des amis, de la famille, et…un passeport. Le Royaume-Uni d’aujourd’hui est-il le Canada d’hier?
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