La rivalité entre les deux premières puissances mondiales s’étend au contrôle des câbles sous-marins. Aujourd’hui, la Chine comme les Etats-Unis essaient de développer leurs réseaux au fond des océans.
Les cables sous-marins : un enjeu de taille
A l’heure des satellites, on peut nourrir l’illusion que le contrôle des télécommunications passe par celui de l’espace. Or, cet enjeu se trouve complètement ailleurs, au fond des océans. Aujourd’hui, dans le monde, les 480 câbles sous-marins actuellement recensés (contre 263 en 2014) permettent d’assurer 99% des communications entre les continents. Sans eux, il n’y aurait ni Internet mondial, ni téléphonie, et encore moins d’intelligence artificielle, celle-ci étant très consommatrice de capacités de transmissions de données.
Cependant, ces câbles ne sont pas « neutres ». Ils appartiennent à des entreprises ou des Etats, et peuvent de ce fait être utilisés pour contrôler les échanges de mails, les transactions bancaires et bien d’autres données encore plus sensibles. En 2013, l’une des fuites révélées par Edward Snowden était la façon selon laquelle les Britanniques avaient capté les données des câbles transatlantiques entre l’Europe et les Etats-Unis.
Des projets de cables bloqués
Dans ce contexte qui peut engendrer de la paranoïa, l’Amérique de Trump a décidé dès 2018 de bloquer des projets de câbles qui comprennent des capitaux chinois. Elle s’est alors appuyée sur un point de droit international qui stipule que chaque câble doit avoir l’aval d’un pays riverain dans sa limite des 12 miles nautiques autour de son territoire. C’est ainsi qu’en 2019 Washington a sabordé le projet Pacific Light Cable Network, porté par Google, Facebook et le chinois Dr Peng Telecom and Media Group. Le câble qui aurait dû relier Hong Kong et les Etats-Unis n’a jamais été jusqu’à son terme, Washington n’hésitant pas sur ce coup à torpiller un projet porté par des entreprises américaines au seul motif qu’elles s’étaient associées à un groupe chinois.
Dans l’autre sens, les entreprises américaines se plaignent de délais trop longs pour obtenir des autorisations à passer par la mer de Chine. Ainsi, le câble SJC2, porté notamment par Meta, est retardé depuis plus d’un an. Il doit à terme relier le Japon et Singapour en passant par Hong Kong.
Un avenir incertain pour la mer de Chine
Par conséquent, aujourd’hui, la Chine comme les Etats-Unis essaient de contourner l’autre pays. Ainsi, dans le cadre des « Nouvelles routes de la Soie numériques », China Mobile a ainsi activé le 30 août 2024 le câble PEACE (Pakistan East Africa Connecting Europe), qui va relier l’Asie à la France via l’Afrique.
Son trajet est assez proche de celui de SeaMeWe-6, installé en avril 2024 à la plage du Prado à Marseille. Si ce dernier regroupe 16 copropriétaires dont Microsoft et Orange, les investisseurs chinois présents au début ont quitté ce projet SeaMeWe6 en mars 2023, quand leurs partenaires ont choisi comme développeur l’entreprise américaine Subcom au détriment du chinois Hengtong. Cette rivalité a pu expliquer en partie l’activation rapide du projet PEACE.
De son côté, Washington soutient des projets qui « oublient » de passer par la mer de Chine. SubCom développe ainsi, avec Meta, Google et NTT, un câble nommé Apricot qui doit relier Singapour, Taiwan et le Japon, en passant à l’est des Philippines.
Parfois, la rivalité va même jusqu’à surenchérir sur le rival. Ainsi, en 2022, les Etats-Unis ont financé, avec l’Australie et le Japon, un projet de lien entre Kosrae, Nauru et Kiribati pour contrer un autre dossier qui avait déposé par la Chine.
A terme, la planète pourrait donc se retrouver coupée entre les pays qui seront dépendants des câbles américains et les autres, selon une logique proche de la coupure entre zone effectuant ses échanges en dollars et zone dédollarisée. Et même, à terme, certains craignent un « Splinternet », qui serait une fracture entre un écosystème Internet dirigé par les Etats-Unis et un autre dirigé par la Chine.