A l'occasion du Festival du Film Asiatique de Hong Kong, nous avons eu la chance de rencontrer Davy Chou, réalisateur franco-cambodgien, pour parler de son nouveau film, Retour à Séoul, projeté à Hong Kong en avant-première et dont la sortie en salle est prévue au printemps 2023.
Cette histoire se passe entre la France et la Corée
Qu’est-ce qui vous amené à faire ce film en premier lieu ?
"Une histoire personnelle qui m’est arrivée. En 2011 lors de mon premier voyage en Corée du Sud pour montrer un film, une de mes meilleures amies avec qui j’ai étudié en France m’a annoncé qu’elle viendrait avec moi. Elle pose une semaine de vacances et m’accompagne. Il se trouve qu’elle est née en Corée et a été adoptée à l’âge d’un an en France. Elle avait alors déjà vécu en Corée pendant deux ans, mais ne voulait plus y retourner. Sauf que sur un coup de tête, elle décide d’y revenir avec moi. Trois jours après, on rencontrait, sur un coup de tête son père et sa grand-mère biologiques. C’est l’intensité des émotions en face desquelles je me suis retrouvé qui m’a le plus marqué. Retour à Séoul, plus que racontant l’histoire de mon amie traite d’un sujet que je connais bien, celui de quelqu’un qui retourne dans un pays dont il est censé venir mais sans rien en connaître. Mais aussi, comment cette expérience du retour va changer un individu."
Pouvons-nous donc parler de film biographique ou autobiographique ? Freddie (le personnage principal) c’est votre amie ou c’est vous ?
C’est principalement mon amie, mais je pense y avoir aussi mis de mon expérience à moi. Après je suis très différent de Freddie, parce que sa colère n’est pas quelque chose qui m’est familière. Pour moi, quand on fait des films, même si on y met beaucoup de soi c’est aussi intéressant de traiter de sujets que l’on expérience pas nous-même. Il y a surtout ce travail de recherche, comment filmer, comment comprendre le personnage et sa place dans le film, et c’est toujours une tension intéressante. Sa colère c’est ce qui m’avait le plus marqué quand j’avais été témoin de cette scène. Sa force, son intensité, me paraissaient disproportionnées. Donc, m’y intéresser à travers ce film, c’était essayer de la comprendre. Cette colère peut avoir une énergie noire et négative, mais je pense que parfois, c’est aussi une force positive.
La quête des racines fait partie de mon histoire
Pourquoi avoir étendu l’histoire du film sur huit ans ?
C’était un élément essentiel de l’histoire de départ. C’est parce que ce genre de traumatisme nécessite du temps pour comprendre, pour appréhender les aboutissements et la juste place à avoir. J’ai aussi fait ça en opposition à d’autres récits sur le retour aux origines qui souvent se cantonnent au cliché de la résolution du conflit interne par la rencontre avec le parent. Dans les expériences que j’ai récoltées, souvent la rencontre avec le parent n’est que le début de quelque chose, d’une peine ou frustration encore plus grande.
Vous avez évoqué dans une interview vous sentir français quand vous étiez arrivé au Cambodge pour la première fois, maintenant qu’en est-il ?
Je ne ressens toujours pas de sentiment de déracinement. Mais avant j’étais clair : je ne suis pas cambodgien, je suis d’origine cambodgienne. Aujourd’hui, je ne dis rien mais je ne reprends plus les gens, parce qu’à mon avis, cette identité est plus complexe que de simples conventions apprises dans la façon de se présenter et de se considérer. Donc je vois bien comment mes treize années passées entre la France et le Cambodge ont changé ma perception de moi-même et de l’histoire de mes parents."
Le pouvoir d'évocation de la musique est immense
La musique occupe une place majeure dans ce film, pourquoi ?
Déjà, j’ai toujours aimé en tant que spectateur l’utilisation de la musique une peu iconoclaste de cinéastes très reconnus comme Scorsese ou Tarantino. J’aime leur façon parfois insolente de mettre de la musique dans la figure, que je trouve jubilatoire, au contraire de l’utilisation de la musique trop polie du cinéma d’auteur. Depuis le début du film, la musique joue une part importante. Dès la première scène, Freddie demande à écouter la musique de façon un peu intrusive, en donnant un ordre au personnage de Tena. Cette musique coréenne, vient d’un pays que Freddie ne connait pas. La musique c’est aussi la recherche de l’inconnu, la volonté d’écouter malgré la distance. Je joue avec la différente nature des musiques comme avec les différences culturelles ou les langues.
Chacun d'entre nous est fait de paradoxes
Dans le film Freddie a un rapport au sexe qui est à la fois destructeur et libérateur, comment voyez-vous ce paradoxe ?
Je m’intéresse à un personnage paradoxal et plein de contradictions de base. Sa vitalité est proportionnelle à sa destruction. On peut l’interpréter psychologiquement comme la peur de l’abandon. Freddie est instable et un condensé d’existence, elle nous interroge sur la signification des rencontre humaines. Toute rencontre vient avec une séparation future. Ses relations sexuelles sont sculptées dans l’essentialisation des relations humains autant dans la rencontre que dans la séparation.
Vous avez un personnage principal féminin, comment avez-vous fait pour vous mettre dans la peau d’une femme ?
Au départ c’était un travail solitaire d’écriture pendant trois ans. J’avais beaucoup discuté avec mon amie avant de me plonger dans le travail d’imagination d’un auteur. Et puis, quand j’ai rencontré Ji-Min Park, qui a joué Freddie, elle avait pleins de questions sur le raisonnement de son personnage. Elle se questionnait sur le sexisme, le patriarcat et la relation que Freddie a avec les hommes en général. J’ai compris qu’elle avait une expérience plus proche de celle du personnage que je n’aurai jamais. J’ai donc adapté.
Le gênant et le comique de situation était-il voulu, ou est-ce un heureux hasard ?
Absolument. J’ai voulu inclure le plus de blagues possibles. Je voulais un mélange de genres. Il y a une part de comique tragique et involontaire même à la situation initiale qui m’a inspiré. Par exemple, la première chose que mon amie a dit à son père (via une traductrice que nous connaissions à peine), « faut qu’il arrête de m’envoyer des textos et comprenne qu’il n’est plus mon père ». Et je me souviens voir la jeune fille se liquéfier, c’était drôle en un sens de voir ça. De voir ces chocs de cultures.