Dessin, peinture, sculpture et même couture. Artiste multifonctions, telle qu’elle se décrit, Ophélia a affirmé son coup de crayon en Asie. Elle redessine à Hong Kong sa force d’entreprendre.
Du haut de ses 26 ans, Ophélia respire la détermination et la passion. Nul besoin de plus de détails pour comprendre que cette artiste aux multiples talents a séduit l’Asie avec son style et son imagination. Avec acharnement, la Française a fait de Hong Kong sa terre d’adoption. Une histoire d’amour qui ne s’est pas faite sans épreuves.
2014. Un double diplôme en mode et en Art en poche, et des passages réussis chez Galliano et Stella McCartney, la designer textile décide de faire ses bagages pour étudier les costumes traditionnels des minorités en Asie. Voyageant seule pour la première fois, elle s’est très vite adaptée à la vie sur la route. “Quand j’arrivais dans un pays, j’essayais de trouver quelqu’un qui parlait anglais. Je lui demandais d’écrire dans mon carnet de croquis des phrases bateau pour expliquer ma démarche, se souvient-elle. Ensuite je louais un scooter et je parcourrais les petits villages à la recherche de costumes bien particuliers”.
Alors qu’elle dénichait des parures conservées au fond des placards, Ophélia apprenait auprès des habitants les techniques requises pour ce type de créations. Des techniques de broderie, de teinture ou de tissage avec des feuilles de lotus, qu’elle envisageait comme “intéressantes pour le monde de la mode occidentale”.
Désillusion. Après une année à traverser le Laos, la Thaïlande, l’Inde, le Vietnam, le Cambodge, les Philippines et la Birmanie, loin des plages touristiques, Ophélia concède à rentrer en France pleine de nouvelles ressources. 500 giga de photos, vidéos, des carnets de croquis et de vrais costumes traditionnels accumulés dans sa valise n’attendaient qu’à être exposés. Un trésor à ses yeux, une perte de temps selon les entreprises françaises. “C’est assez fermé en France, le milieu est difficile d’accès. Et dans le domaine de la mode, on m’a reproché de ne pas être restée sur la scène, d’entretenir mes relations via les réseaux sociaux etc”, lâche-t-elle avant de déplorer: “J’étais partie dans l’espoir que cette étude du costume m’apporte une particularité, une originalité sur le curriculum vitae et en fait ça n’a pas été reconnu en France. Au contraire”.
Loin de se décourager, “qu’est-ce qui me retient en France” s’est demandée Ophélia à l’époque, elle décide de repartir pour l’Asie au bout de trois mois. Comptant sur son bagage de designer textile pour trouver du travail, elle envisage trois villes: Hong Kong, Singapour et Shanghaï. La première sera élue pour sa facilité d’accès aux visas.
Le 7 octobre 2014, la jeune Française foule pour la première fois le sol de la mégalopole. Un choc pour elle qui s’attendait à arriver dans une ville comme Hanoï. “Je me suis pris une claque en arrivant. Je n’avais pas du tout fait de recherches sur cet endroit. J’avais imaginé que je m’achèterai un scooter, je ferai ma petite vie tranquille dans un appartement sympa pour 200 ou 300 euros. Et pas du tout!”, s’amuse-t-elle.
Perdue à la recherche de son auberge de jeunesse, avec une valise de 23 kilos en plein Causeway Bay, la jeune femme commençait à perdre espoir. “Et là il y a une petite nana qui m’a aidée, elle a porté ma valise jusqu’à cette auberge. À partir de ce moment là, la connexion avec Hong Kong s’est faite tout de suite”. Au plus grand étonnement de ses parents, qui pensaient la voir revenir au bout de trois mois, elle mène sa barque dans la Perle de l’Orient depuis trois ans maintenant.
La Frenchy qui séduit l’Asie
Non sans un brin de fierté, Ophélia décrit son ascension à Hong Kong selon trois périodes. “La première année, j’étais super heureuse d’être là, mais j’en ai bavé”, avoue-t-elle. Serveuse au Salon 10 sur Arbuthnot Road, elle louait sa chambre sur AirBnb pour payer son loyer. Elle a tenté sa chance auprès de boîtes de mode, mais son manque d’expérience en Asie ne jouait pas en sa faveur. “En France on m’avait reproché d’être parti pendant un an, et ici c’était de ne pas avoir d’expérience sur place. Sauf qu’au bout d’un moment fallait bien qu’on me donne une première chance, sinon j’en aurai jamais”, s’emporte l’artiste.
Et c’est cette détermination qui va rythmer son parcours professionnel. Avec son permis vacances-travail (PVT), elle accepte aussi de petites missions, même celles pour lesquelles elle n’est pas qualifiée. “On m’a dit ‘j’ai besoin d’un graphic designer’. Les gens font la confusion parce que ça relève de l’artistique, mais ça n’a rien à voir avec ce que je fais à la base, précise la designer de mode. J’avais besoin d’argent, voulais faire de nouvelles choses, alors j’ai accepté et je me suis formée au métier en cachette via des tutoriels YouTube”.
Bonne pioche! Un travail réussi qui l’emmène jusqu’au géant Black Sheep, propriétaire de plusieurs restaurants donc Le Garçon Saigon. En charge de réaliser une fresque de quatre mètres sur trois, la graphiste en herbe s’offre une belle vitrine.
Sa notoriété grandissante, “le monde est petit, surtout ici car il y a peu de créatifs”, assure-t-elle, Ophélia se lance dans une nouvelle aventure: la création de son entreprise. Merakilya, soit “un peu de moi dans tout ce que je fais”, lui apporte des contrats avec de belles marques. Les bières 1664, les foulards Woo ou encore le prestigieux hôtel Shangri-La, beaucoup d’enseignes frappent à sa porte.
Un métier qu’elle juge “extraordinaire” et pour lequel elle consacre tout son temps. Sa vision du travail reflète un professionnalisme sans failles. “Même si le contrat ne le stipule pas, je vais passer des heures en plus sur un projet pour qu’il soit parfait aux yeux de mon client”. Enfilant le costume du conseiller, elle n’hésite pas à prévenir: “Pour en arriver là, il faut savoir faire des concessions et se donner au travail. Mais quand je n’ai pas de travail, je ne suis pas heureuse. C’est indécent le plaisir que je prends la-dedans”.
Une histoire de désamour avec la France
“Être Française m’a beaucoup apporté ici”, accorde Ophélia. Des origines avantageuses qui lui ont apporté des contrats pour dessiner des façades parisiennes, ou une carte Où pic-niquer à la française?. “L’image de la France à l’étranger est porteuse pour la carrière. Ils sont attirés par notre savoir-faire et trouve que nous avons du goût”.
Même si elle se dit “fière d’être Française”, la graphiste, qui a grandi aux États-Unis, n’envisage pas de revenir au pays. “Je n’aurais jamais pu accomplir le même travail en France”, souffle-t-elle. Trop codé, trop classifié, le système tricolore ne laisse pas la place aux parcours hors normes. “J’ai quand même essayé. Malgré mon expérience, je ne rentre pas dans les cases donc je n’ai pas ma place. Ça m’a complètement découragé”, soutient-elle.
Un blocage qu’elle a mis en scène lors du festival French May 2017 à Hong Kong. Enfermée dans une boîte en verre durant quatre jours, à la vue des 33.000 visiteurs, elle a voulu recréer ses angoisses parisiennes pour produire une oeuvre. “À Hong Kong je me sens très bien, il fallait que je trouve un moyen de me mettre mal à l’aise. J’ai fait une performance lors de laquelle j’ai créé sur place une oeuvre à base de cordes en fonction de mes sentiments”, décrit l’artiste.
Une artiste en soif de liberté
Graphiste réputée, Ophélia est avant tout une artiste depuis ses 26 ans comme elle s’amuse à le dire. C’est pourquoi sa société Merakilya possède une branche qui lui permet de développer Son Art. Avec quatre expositions à son actif, elle continue à voir les choses en grand. L’artiste touche à tout rêve d’immenses installations dans les rues de Hong Kong. “C’est peut-être justement parce qu’il n’y a pas d’espace. On en revient toujours à l’envie de faire ce qu’on ne peut pas”, rit-elle avec malice.
C’est pourtant ce principe qui l’a poussé à se dépasser: “Il faut croire à 100% en ce qu’on fait. Si moi je n’y crois pas, personne ne le fera à ma place. Pour moi, la passion a été la plus efficace des motivations”.
Ses travaux sont consultables sur le site de Merakilya