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Saint-Laurent, le dernier film de Bertrand Bonello, a ouvert mercredi dernier à Hong Kong la 43ème édition du French Film Festival. Gaspard Ulliel, qui y incarne un Yves Saint-Laurent sulfureux et mystérieux, avait fait le déplacement pour l'occasion. Dix ans après ses premiers succès, le "fiancé" du cinéma français accède enfin avec ce second biopic consacré à la vie du célèbre couturier au rôle "mature" qu'il attendait. Rencontre.
Bertrand Bonello vous a choisi assez vite pour le rôle d'Yves Saint-Laurent. Comment s'est passée votre rencontre avec le réalisateur?
Bien que ce soit Bertrand Bonello qui m'ait contacté, j'ai dû le convaincre. De mon côté, j'ai tout de suite été emballé par le projet - j'attendais depuis longtemps un tel rôle. Nous nous sommes vus une première fois pour une séance de travail à partir d'un document de l'INA : une interview de Saint-Laurent que je devais reproduire. Mais très vite, nous avons travaillé une scène du script où il n'était plus question d'imitation mais d'interprétation. Je voulais nourrir mon personnage avec mon vécu, mes émotions. Bertrand Bonello a voulu un biopic s'affranchissant des codes du genre - ce film est plus libre et personnel. Il était important pour lui de trouver un acteur sur la même longueur d'onde.
Comment se prépare-t-on à incarner un tel personnage public, véritable légende de la mode ?
Je me suis beaucoup documenté. Je ne connaissais que très peu la vie d'Yves Saint-Laurent. J'ai eu un an pour m'imprégner du mythe avant que ne débutent les neuf semaines de tournage, ce qui est exceptionnellement long. J'ai perdu 12 kilos. Pas uniquement pour lui ressembler d'un point de vue physique mais pour ne plus être moi uniquement. Laisser place à l'émergence du personnage. Le plus gros du travail a toutefois été sur la voix. Une voix pleine de grâce, de fragilité. Une voix hâtée. Là encore, je ne voulais pas tomber dans l'imitation. J'ai senti que ça bloquerait très vite, que j'aurais du mal à y injecter de l'émotion. J'ai écouté de nombreux enregistrements pour m'en imprégner, en capter l'essence. Je pense avoir trouvé le bon compromis entre l'attente du public et mon interprétation.
Pierre Niney a été le premier à incarner Saint-Laurent dans le film de Jalil Lespert. Comment vivez-vous cette comparaison forcée avec l'acteur de la Comédie française ?
Je la vis plutôt bien. Evidemment, je me suis pas mal interrogé mais j'ai décidé que cela n'influencerait pas mon travail. Je n'ai d'ailleurs pas cherché à savoir comment Pierre Niney, de son côté, donnait vie à son Saint-Laurent. Lorsque j'ai découvert le film de Jalil Lespert, j'ai tout de suite compris que mon personnage et celui de Pierre Niney pourraient coexister. Je salue d'ailleurs la performance de Pierre Niney qui est brillant. Mais à son Saint-Laurent globalement bienveillant mon personnage apparaît plus profond et subtil.
Doutes, névroses, tourments, excès, drogue, alcool, cigarette : Saint-Laurent, c'est une plongée dans la tête du créateur qui traverse, entre 1968 et 1976 une période très noire. Un portrait de l'intérieur assez douloureux...
Le film de Bertrand Bonello n'est pas uniquement un biopic. C'est un film sur les affres de la création artistique. On découvre qu'Yves Saint-Laurent était un artiste torturé, quelqu'un de profondément dépressif et de nostalgique également. Le film met en évidence ses doutes et ses parts d'ombres qui font son génie. Ce créateur de mode a toujours regretté d'exceller dans ce qu'il appelle « un art mineur », éphémère, comparé à la peinture par exemple. La collection des Ballets Russes de 1976 sur laquelle s'achève le film a été pour lui son ?uvre assimilable à de la peinture. J'ai vécu un an avec le personnage de Saint-Laurent, cela n'a pas été du luxe étant donné la complexité de l'homme.
Saint-Laurent vient d'être sélectionné pour représenter le cinéma français à Hollywood. Après Cannes, vous ne pouviez espérer meilleure reconnaissance.
Le film a dépassé nos espérances depuis sa sortie en France. D'abord avec le festival de Cannes, puis à l'étranger puisque le film a été acheté un peu partout dans le monde. Nous achevons une tournée de promotion de trois mois. Trois mois intenses où il ne nous arrive que de belles choses. Ce n'est pas courant avec un film français. Quatre-vingt trois films vont concourir dans la catégorie du film étranger aux Oscars. Nous verrons bien.
Vous avez commencé le cinéma très jeune, déjà connu trois gros succès dont le César du Meilleur espoir masculin. Mais avec Saint-Laurent, vous décollez !
Je pense effectivement avoir franchi un cap important. C'est jusqu'à présent le travail le plus accompli que j'ai réalisé. J'ai eu de beaux succès très tôt puis traverser une période de remise en question où je ne savais pas dans quelle direction orienter ma carrière. J'ai attendu un rôle comme celui-ci, dense, mature. Aujourd'hui, j'ai trente ans et c'est enfin possible.
Après un tel film, quelle est la suite pour vous ?
Je n'ai pas pu me consacrer à d'autres projets mais d'ici l'été prochain, je rejoins les plateaux de tournage. C'est encore confidentiel, mais il s'agit d'un film en français d'un réalisateur étranger.
Propos recueillis par Elsa Ponchon (www.lepetitjournal.com/hongkong) mardi 25 novembre 2014
Crédits photos Elsa Ponchon











