Pékin a été choisie comme ville-éprouvette du crédit social, ce projet d’évaluation morale des citoyens annoncé depuis 2014. Le 19 novembre, la mairie révélait son plan d’action doté de 22 tâches et 298 mesures, à réaliser d’ici 2020.
23,6 millions de citadins recevront une note qui évoluera suivant leur comportement financier, d’affaires ou privé. Les firmes et personnes morales (même étrangères) seront aussi assujetties. Au dessus d’un certain score, on sera placé en liste "verte", accédant à des conditions préférentielles pour emprunter, acheter un appartement, ouvrir une société, obtenir des services ou un emploi. En dessous d’un certain seuil, les êtres ou entités seront considérés comme "malhonnêtes", et mis sur liste noire. Pékin leur promet de leur mettre "des barrières en toutes directions" – interdits de prendre l’avion ou le TGV. Pour recouvrer leurs droits, ils devront régler leurs dettes ou amendes. Depuis 2017, selon la Commission nationale du développement et des réformes (NDRC), 475,5 millions d’US$ ont ainsi été récupérés dans le cadre d’un système similaire de la Cour suprême.
Le crédit social prétend renforcer la confiance, en débusquant et punissant automatiquement tout incivilité ou délit. L’administration doit aussi mieux fonctionner, sachant instantanément pour chaque citoyen, à qui elle a à faire: c’est une transcription de la fameuse "société harmonieuse" (和谐社会), slogan de l’ex-Président Hu Jintao dans les années 2000.
Les silences de la municipalité de Pékin sur le futur fonctionnement du crédit social ont de quoi inquiéter. Quels seront les critères d’octroi ou de retrait des points? Quelle autorité gérera le système? Quelles phases de test d’ici 2020? Le terme d’ "orwellien" pour décrire le projet, est récurrent dans la presse occidentale: c’est que le système va priver de droits des centaines de milliers de personnes, applicable à tous durant toute leur vie. Par exemple, l’employeur, public ou privé, pourra consulter la note d’un candidat et l’écarter si elle est trop basse…
Le risque est fort qu’une "erreur de jeunesse", un bug informatique ne brise des vies entières. Le crédit social fait même risquer à la société une uniformisation des personnalités, si les citoyens se mettent à chercher parade à cette épée de Damoclès en modifiant leur style de vie suivant ces critères conformistes. Cela priverait la société de sa diversité.
Ce système présente pour d'autres des avantages. La Chine est un pays où foisonne l’incivilité, avec les possibilités nouvelles ouvertes par l’enrichissement du pays: le développement massif du tourisme, ou encore le vélo partagé dans les grandes villes. Dans cette perspective, le crédit social, couplé à l’apparition d’un maillage dense de caméras de surveillance dans les lieux publics, permettra d’identifier les fauteurs de trouble par reconnaissance faciale, et de les sanctionner automatiquement par des retraits de points… Cela les forcera à rectifier leurs comportements.
Si le système se cantonne à cette traque des délits, il pourrait, contrairement aux attentes des observateurs occidentaux, être considéré acceptable par la majorité de la population, comme atout de sécurisation de la vie publique. S’il va plus loin, pourchassant, notamment sur Internet, toute pensée dissidente, il aura beaucoup plus de mal à se faire accepter.
Son succès dépendra aussi de sa capacité à prendre en compte la prévention de l’incivilité, et la notion de seconde chance après avoir commis une infraction. À ce niveau, un principe de base du crédit social en son état d’avancement actuel, n’est pas fait pour rassurer: "quand on a dilapidé son stock de crédibilité morale, c’est pour toujours."