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Ce soir à 19h, Géraldine Lenain, historienne de l'art et écrivain, sera présente à la médiathèque de l'Alliance Française de Jordan pour présenter son livre, Monsieur Loo, le roman d'un marchand d'art asiatique.
Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, toutes les plus grandes collections d'art chinois et asiatiques institutionnelles ou privées portent la marque de Monsieur Loo dont le nom est reconnu par les experts occidentaux comme celui du "plus grand marchand d'art asiatique de tous les temps" ? Et pourtant, jusqu'à ce que le livre de Géraldine Lenain lève le voile sur sa vie, experts ou grand public, personne ne savait rien de ce grand marchand.
Une heureuse coïncidence
A l'origine du livre, Géraldine Lenain évoque "une heureuse coïncidence" : c'est à elle que le petit-fils de Monsieur Loo fait appel en octobre 2006. Il souhaite lui "montrer quelque chose" trouvé à la pagode, la maison construite par le marchand d'art rue de Courcelles à Paris. Contre toute attente, il soumet à son expertise plusieurs cartons de classeurs, de correspondances, de photos noir et blanc et autres documents qui représentent 50 ans d'archives personnelles du marchand d'art, jamais ouvertes, et que la famille vient de découvrir, alors qu'elle nettoie de fond en comble le bâtiment avant sa mise en vente.
Cette spécialiste des arts chinois oscille alors entre "émerveillement et tiraillement" en imaginant ce que cette découverte permettra de tirer comme informations personnelles sur le personnage tout en craignant la dispersion de ce trésor. Elle passe des semaines à dépouiller l'ensemble et commence une enquête qui va durer plusieurs années et l'emmène sur les traces des plus belles collections d?art asiatique mais également et surtout au c?ur d'une famille et de ses mystères, d'une vie pleine de secrets et de non-dits. En étudiant toutes ces archives personnelles, les archives institutionnelles et en interrogeant les quelques témoins encore vivants de l'époque, Géraldine Lenain a en effet découvert bien plus qu'un marchand d'art : un homme dont la vie elle-même est un roman, une histoire qui ne peut se raconter qu'en adoptant une approche littéraire plutôt qu'académique.
L'homme dont la vie est un roman, un personnage complexe et secret
C'est l'histoire d'un jeune orphelin paysan chinois devenu cuisinier qui embarque à l'âge de 22 ans sur un navire dans les valises de son employeur et qui grâce à son intelligence, parfois son manque de scrupules et surtout sa ruse et ses réseaux
C.T. Loo, la Pagode, rue de Courcelles, dans les années 1930 - Paris - @ Thierry Jacob
Personnage complexe qui ne parle pas de ses sentiments et "garde tout pour lui", Monsieur Loo vit plusieurs vies dans la discrétion, en les scindant et en les compartimentant. Chinois marié à une Française, il ne parle jamais de sa famille avec les Chinois et jamais de son côté chinois avec les Français. Véritable caméléon social, il porte la robe traditionnelle en Chine et s'habille en homme du monde au raffinement et à l'élégance toujours impeccables en Occident. Homme pétri de contradictions, il s'accommode à sa manière des vérités et des sentiments. Bien qu'il soit père de quatre filles, il déclare ne pas avoir d'enfants parce qu'il n'a pas de fils. Amoureux fou d'une Française de son âge, il en épouse la fille, deux fois plus jeune que lui et fait ménage à trois. Il dit aimer les objets mais les détériore dans les transports, prétend aimer la Chine mais la pille pendant 50 ans. Admiré en Occident, il est encore considéré aujourd'hui comme un traitre et un grand criminel dans son pays natal ?
Un visionnaire
Homme à l'imagination débordante, Monsieur Loo n'hésite pas à prendre des risques, s'engage dans des projets pharaoniques comme la construction de sa pagode, prouesse architecturale qui "enveloppe" un ancien hôtel particulier Louis Philippe, dont il fait la vitrine de sa réussite. Homme de réseaux, aussi bien connecté en Chine qu'en Occident, il côtoie les
La Pagode, rue de Courcelles, dans les années 1930 - Paris - @ Thierry Jacob
S'il est aujourd'hui connu et reconnu de tous les experts, c'est parce qu'il fut un pionnier: il est celui qui a formé le goût du "véritable art chinois" en Occident pour faire aimer les ?uvres réalisées en Chine pour les Chinois et non plus les "chinoiseries", fabriquées pour l'export. Statuaire, bronzes et jades archaïques ou fresques, il a développé un marché qui n'existait pas ni en Europe ni aux Etats-Unis au début du XXème siècle en créant notamment tout un vocabulaire pour les Occidentaux qui ne pouvaient pas utiliser les mêmes termes ou la même chronologie que les Chinois. C'est lui qui a inventé les termes de "baroque chinois" ou de "classicisme chinois", des mots qui ne veulent rien dire en Chine mais qui transposent des concepts occidentaux utiles à la vente.
Toujours avec une longueur d'avance, il s'allie très tôt aux chercheurs et archéologues qui lui donnent plus de crédibilité, alors qu'il alimente chaque année gracieusement nombre d'institutions et de musées. Premier marchand à publier lui-même ses catalogues d'exposition, des publications de référence fruits d'une véritable recherche, dans lesquelles sont traduits inscriptions et poèmes, sa galerie de la 5ème avenue devient un véritable salon littéraire où l'on est sûr de trouver deux ou trois collectionneurs ou conservateurs échangeant des idées et débattant des nouvelles techniques.
Un marchand ? mais aussi un grand philanthrope
Monsieur Loo est également un grand philanthrope, une qualité rare pour un Chinois de l'époque. Dans ses galeries, que ce soit à New York, Shanghai ou Paris, il a toujours une boite en laque dans laquelle n'importe qui peut déposer une demande, que ce soit pour de l'argent, un visa, de la nourriture, un vêtement ou n'importe quoi. Et Monsieur Loo ne dit jamais non ? Il
Pendant la Première puis pendant la Seconde guerre mondiale, alors qu'il est basé aux Etats-Unis, il soutient et aide ceux qui sont restés en Europe. Lui qui n'a pas fait d'études, place beaucoup d'espoir dans la recherche, favorise les étudiants notamment en médecine ou en sciences, qui représentent à ses yeux, l'avenir de son pays d'origine et finance plus largement toutes les bonnes causes.
Outre la formidable histoire de Monsieur Loo, le livre de Géraldine Lenain est aussi une plongée dans l'histoire tumultueuse du monde et plus particulièrement dans celle de la Chine puisqu'on traverse toutes les époques : la révolution, l'arrivée des communistes etc. S'il ne donne pas de réponses, le roman est aussi une réflexion très actuelle sur le rôle des collectionneurs et des marchands dans la protection et la mise en valeur ou au contraire dans la destruction des ?uvres d'art.
Mort en 1957, avant la révolution culturelle qu'il ne pouvait anticiper, C.T. Loo a ainsi passé les dix dernières années de sa vie à répondre aux accusations de la Chine qui le considère toujours comme un "pilleur". Convaincu que le monde est un musée et que les objets appartiennent à tous, il se considérait comme un intermédiaire chargé de faire connaitre et apprécier la culture de son pays aux Occidentaux. Il était persuadé que c'est à travers les objets, la culture et l'éducation qu'il est possible de faire passer certains messages, ce qu'est la Chine, sa grandeur et son ancienneté.
Sophie Mabru (www.lepetitjournal.com/hong-kong) lundi 7 octobre 2013
Crédits photos Alliance française Hong Kong
| Monsieur Loo, le roman d'un marchand d'art asiatique Géraldine Lenain aux éditions Philippe Picquier Lire aussi l'article de notre édition de Shanghai : GERALDINE LENAIN ? "Nous sommes ravis d'être de retour en Chine" |















