"Il ne s’est jamais pris pour le grand Jean-Luc Godard au contraire."
Exégète cinéphile du septième art, Michel Hazanavicius a bien voulu répondre à nos questions à l’Alliance française de Jordan.
Lepetitjournal : "Exagérer, c’est le début d’inventer" clame Godard. Êtes-vous resté fidèle au livre Un an après de Anne Wiazemsky au moment de tourner?
Michel Hazanavicius : Anne m’a donné carte blanche, Elle m’a même fait confiance au point de ne pas lui faire relire le scénario. Elle n’était d’ailleurs pas présente sur le tournage. Elle m’avait dit : si le film me plaît tu mettras mon nom au générique, si ça ne me plaît pas, on trouvera un arrangement.
C’est un film sur le cinéma? Sur Jean-Luc Godard? Ou sur le cinéma de Jean-Luc Godard?
Ce n’est pas un film sur le cinéma, non et je crois qu’il y a un malentendu avec mes précédent films. OSS ne parle jamais de cinéma, The Artist parle un peu de cinéma mais de manière anecdotique. En revanche le cinéma est visible dans la manière de faire. La « machine cinéma » est mise devant, c’est-à-dire que j’aime bien jouer avec le fait qu’on soit au cinéma. Par conséquent en effet il y a une espèce de méta-film.
Il y a d’ailleurs plusieurs mises en abyme qui traversent le film.
C’est vrai mais ce ne sont pas des personnages qui parlent de cinéma, ce sont juste des procédés cinématographiques.
Godard dans le film ne cesse de casser ses lunettes, c’est un running gag comme une métaphore de son aveuglement?
Dans le livre ça arrive deux fois je crois, mais manifestement c’était récurrent. C’est ce que m’a dit Anne (l’auteur du livre) la seule fois où l’on s’est vus. Elle avait toujours refusé de vendre les droits pour l’adaptation sur grand écran. Elle a accepté de me voir parce que je lui ai dit que je trouvais ça très drôle... Ce type qui veut changer sa manière de voir le monde et qui pète ses lunettes à tout instant... je voulais justement en faire un running gag, et elle m’a dit que je pouvais y aller puisque c’était arrivé plus d’une ou deux fois.
Vous l’avez rencontré déjà Godard? Vous savez ce qu’il pense du film?
Non jamais, je ne pense pas qu’il ait vu le film, je pense qu’il s’en fout et je pense que je m’en fous aussi ! Enfin je m’attendais un peu au pire parce qu’il a parfois comme ça des fulgurances, des saillies. Au-delà de ses qualités de cinéaste, il a quand même un sens de la formule assez épatant. Et se prendre une punchline par un type de 86 ans de sa trempe, ça aurait pu faire mal oui (rires). Surtout que le mec porte l’histoire du cinéma sur ses épaules... donc je m’y étais préparé. Au final comme il s’en fout, ça va!
Certes il a le sens de la formule, on le voit en interview, mais on a parfois l’impression qu’il résume ses idées à des slogans. Ça paraît parfois réducteur notamment lorsqu’il est parmi les étudiants de la Sorbonne qui le houspillent à cause de ses propos antisémites...
Alors cette scène à la Sorbonne n’a jamais existé, c’est de la fiction. Ce n’est pas dans le livre par exemple, ni dans une archive. Mais c’est une équivalence de choses qu’il a dites. Il avait par exemple balancé dans un film : « Golda Meir = Hitler » ou des propos comme « L’objectivité ce serait de donner cinq minutes aux Juifs, cinq minutes aux nazis » à la télévision. Ce qui est pour le moins réducteur en effet...
Vous n’avez pas voulu le tourner à la manière des cinéastes de la Nouvelle Vague, caméra à la main?
Non justement il y a beaucoup de plans posés, mis à part quelques uns pendant les manifestations de mai 68. C’est un film qui se regarde sans penser à ça. C’est d’abord une histoire avec des personnages qui s’aiment et qui se déchirent et ce premier niveau de lecture est important. La nouvelle vague, les procédés du genre viennent après. Il y a d’abord une histoire d’amour qui se finit, après il y a des vannes. Ce ne sont pas « la Cité de la Peur » ou « Les Trois Frères » mais il y a quand même de la comédie dedans. Enfin en effet il y a ce que j’appellerai le dispositif de cinéma visible, les procédés comme la thèse sur la nudité un moment. Ce que j’ai emprunté à Godard c’est la distanciation. Qu’à un moment donné un personnage puisse sortir de sa situation, de son rôle, et qu’il s’adresse au public face a la caméra. Le champ qu’ouvrait cette liberté-la m’intéressait.
Quand on sort de la salle on se demande ce qu’il faut retenir de Jean-Luc Godard, la première période faste, ses débuts après les Cahiers du cinéma que vous évoquez à peine ou sa lente dégringolade, celle d’un réalisateur qui s’est perdu.
Il n’y a pas de jugement dans mon film. C’est pour ça que cette histoire me plaisait parce que le moment le plus fort de leur séparation c’est quand Godard se radicalise complètement. C’est l’histoire d’un type qui a tout entre les mains, avant 40 ans, pour être satisfait mais qui ne s’en réjouit pas. Il n’est pas heureux. Et je dirais qu’il greffe son mal-être sur cette époque de mai 68, sur cette idée de révolution qui l’amène lui à être dans la rébellion permanente. Ce qui signifie détruire ce qu’on a, pour réinventer autre chose. Mais tout le temps en fait. Et je crois que ça correspond à un truc en lui dans son tempérament. Il rentre dans l’autodestruction et c’est ça qui va détruire leur relation au final. Il ira même jusqu’à renier ses propres films.
C’est un film hommage à cette mouvance qui a changé la façon de faire du cinéma.
Personnellement j’aime toute la première décennie de ce courant, toutes les années 60 en somme. C’est du cinéma qui est à la fois hyper créatif, hyper original, libre, audacieux mais qui propose des films accessibles, j’entends par-là charmants. Via les acteurs déjà comme Bardot, Piccoli, Belmondo... Et aussi trivial que cela puisse paraître je prends du plaisir à les regarder! Après la Chinoise (film de Jean-Luc Godard - ndlr), après 1967 les films s’assèchent je trouve. Ils deviennent plus théoriques, plus dogmatiques. C’est mon sentiment. Pour autant quand je vois l’ensemble de la carrière de Godard je ne permettrais pas de dire qu’il s’est planté à un moment. Il a poursuivi avec autant de liberté et d’audace qu’avant mais dans un cinéma qui se rapprocherait plus de l’art contemporain qu’à du « cinoche » je dirais
C’est une révolution qui le dépasse non?
Beaucoup de gens dans les manifestations lui demandaient comme ça d’être le guide, mais je pense qu’il y a chez lui une profonde humilité. Il n’assumait pas. Il ne s’est jamais pris pour le grand Jean-Luc Godard au contraire. Je crois justement que c’est plus quelqu’un qui ne s’aime pas que quelqu’un qui s’aime trop. Ce qui fait qu’il n’a jamais voulu endosser le rôle de leader d’opinion. Il avait 40 ans, c’était des gamins de 18 ans, les situationnistes ne l’ont pas épargné...
Notamment avec le slogan « Godard le plus con des Suisses pro Chinois »...
Oui ça pour le coup c’est vrai!
Après à Cannes personne ne lui demande de prendre la parole c’est lui qui crée le scandale...
Effectivement, ils sont quelques-uns un mais c’est lui qui est proactif sur l’annulation du festival. Je ne sais pas si c’était la bonne chose à faire, mais je respecte la prise de position et j’aurais aimé faire partie de cette bande-là si j’avais eu leur âge en 68.
Entretien mené par Matthieu Motte et Marc Schildt le 30/11/2017