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Journal d'une famille confinée à Hoi An - Bouger à tout prix

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Deux des protagonistes de l'histoire (© Vu Trong Phan Advertising Photography)
Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 6 août 2020, mis à jour le 12 août 2020

Quand une semaine de vacances en bord de mer tourne au confinement forcé en quartier vietnamien. Pendant quelques jours, lepetitjournal.com suit les aventures d'une famille bloquée à Hoi An, dont voici le deuxième épisode.
 

5 août - Bouger à tout prix

Ce matin, l’émotion est forte. Facebook nous téléporte au Liban, témoin direct de cette explosion hallucinante. Frissons. En une fraction de seconde, un lot d’habitations est pulvérisé. Rien. Ils n’ont pensé à rien. Pas eu le temps de quitter les lieux, d’avoir peur, de se préparer, de prier… rien, pulvérisés, projetés dans l’autre monde en un instant.

Nous prions pour eux, pour ceux qui restent, pour le Liban qui saigne depuis si longtemps… Pour Rima, une collègue et amie Libanaise de Sara installée à Saïgon depuis longtemps ; pour Marine, Fanny ; pour Charbel, mon ami prêtre maronite, qui me confiait : « Tu sais, le plus dur au Liban, c’est de vivre sans pouvoir se projeter dans l’avenir. » Nous pensons à vous, bien conscients que notre petite histoire de confinement n’est rien. Nous avons la chance de vivre, nous.

Vivre. Bouger. Il faut bouger. Surtout quand on est confiné.

En face de chez nous, il y a une femme vietnamienne d’une quarantaine d’années qui ne bouge pas. Avant le confinement strict, elle passait déjà ses journées, dans sa petite cour, accroupie, adossée à la façade de sa maison, pendant des heures entières, sans TV, sans musique, à regarder les gens passer à moto ou à vélo, à épier, à s’enivrer de vide, sans mots dire, à attendre le lendemain… Pour elle, le confinement n’a rien changé. Toujours à la même place, imperturbable. Peut être un peu plus souriante, tout de même, de voir son sort partagé par d’autres désormais.

Son mari est plutôt à l’intérieur de la maison. Un homme maigre, usé et légèrement aigri. Comme le veut la tradition, les beaux parents sont de la partie. Pas sous le même toit pour une fois, mais dans une petite maison mitoyenne. Les deux habitations sont simplissimes : quatre murs, une ou deux cloisons et un toit.

Leur petit garçon d’une dizaine d’années passe le plus clair de son temps dans la rue, devant, s’inventant des jeux avec des bâtons, des bouts de papiers et cherchant à capter l’attention de mes enfants qui ont fini par l’adopter. Ils jouent désormais au badminton ou font du vélo ensemble. Des jeux idéaux qui permettent de respecter les mesures de distanciation sociale et qui rassurent les parents soucieux de bien respecter les consignes qu’on nous rabâche dans les haut-parleurs.

L’immobilisme de cette femme me fascine. À quoi pense-t-elle ? Qu’est-ce qui l’a arrêtée ainsi dans sa course ? Statufiée ? Pourquoi son mari semble-t-il abattu ?... Ils sont innombrables au Vietnam, ces pauvres qui n’espèrent plus grand-chose. Certes, la croissance économique du pays leur a permis d’acquérir un confort sommaire minimum : un toit, une Honda et un écran plat. Mais le reste n’est pas pour eux. Ici, quand on a peu de relations, peu d’éducation et des rêves pas suffisamment hauts pour nous faire lever la tête vers le ciel, on finit par attendre, ne plus bouger et se changer en statue de sel. Il faut dire que pour les pauvres, le travail est particulièrement dur et mal payé. Il vous ôte bien vite vos forces et vos plus belles années.

Dans le petit mouchoir où nous sommes confinés, ils sont relativement nombreux à avoir cette vie simplifiée, sans perspectives d’évolution. D’autres, nombreux également, ont su tirer leur épingle du jeu : une maison plus spacieuse avec un ou deux étages, bien équipée, bien meublée, avec plusieurs écrans plats, un intérieur moderne, une voiture pour certains, et plusieurs motos… pour bouger.

Vivre. Bouger.

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Aujourd’hui, comme chaque jour, nous avons fait de nombreuses fois le tour de quartier qui est délimité par trois rues principales.

La première rue est relativement déserte, sans charme, sans âme et parallèle à la plage qui nous est interdite.

La deuxième rue est celle où nous habitons. C’est la rue centrale. Elle est habitée des deux côtés de la chaussée. C’est par là que les véhicules rejoignent le centre de Hoi An habituellement. C’est dans cette rue que les gens se regardent le plus et se surveillent. C’est là aussi qu’il y aurait le plus de F1 selon les gardiens...

La troisième et dernière rue est tout simplement magique. Elle longe la rivière, elle est verte, calme et ouverte sur l’extérieur. Une de ces rues qui font rêver. De nombreux pêcheurs y vivent. Ils pêchent juste en face, de jour comme de nuit, selon la pêche. En se promenant, on peut admirer plusieurs embarcations vietnamiennes typiques et se rassasier l’âme des reflets du soleil couchant caressant l’eau. Pour s’assurer que les pêcheurs respectent le confinement, un bateau de police est posté au beau milieu de la rivière. Etrange spectacle.

Ces trois rues nous permettent de bouger, marcher, nous remettre en piste chaque jour et nous renouveler. Car la marche a une vertu. Elle nous change les idées et nous fait nous sentir mieux. Pour changer de paysage, et faire en sorte que nos balades ne se transforment pas en une routine emprisonnante, nous inversons le sens de nos grands tours, multiplions les demi-tours et empruntons parfois les petites allées qui relient ces trois rues les unes aux autres.

Pendant nos balades, nous assistons aux activités de nos voisins. Car, même confinés, tout le monde s’active (excepté ma voisine d’en face) : les pêcheurs réparent leurs filets, un monsieur refait une santé à son vieux vélo, un autre coupe des branches qu’il aurait dû couper depuis longtemps, un jeune gaule des fruits du sa kê avec une grande perche dans un arbre, une vieille femme fait un ménage de fond, une autre épluche les légumes, des enfants jouent aux petits chevaux… tout ce petit monde bouge parce que ce petit monde est vivant. Par chance, nous sommes confinés mais nous pouvons encore sortir de la maison, nous pouvons respirer et vivre bien. Confinés mais vivants.

Le mot de Césarée

Chaque jour, il y a des personnes qui s’habillent en blanc et qui nous donnent de la nourriture. Aujourd’hui, ils nous donnent des légumes, des pâtes et des fruits. Il y a vraiment plein de barrières autour du quartier et il y a des policiers qui surveillent qu’on ne parte pas de chez nous sans masque.

 

Auteurs : Sylvain Sismondi et sa famille