“Au Vietnam, un repas sans nuoc mam n’est pas un repas”. Ces mots, qui sont ceux de l’éminent professeur Tran Ngoc Them, ont le mérite d’être sans équivoque.
De fait, le Vietnam ne serait pas le Vietnam sans son nuoc mam, qui est une sauce à base de poissons fermentés, et qui se reconnait non seulement à sa couleur foncée, mais surtout à son odeur unique et particulièrement saisissante pour les narines non averties.
Pour les étrangers, le nuoc mam agirait presque comme un révélateur. C’est un test de “vietnamitude” des plus radicaux: il y a ceux qui s’en régalent, ceux qui s’en accommodent, et les autres ...
Et pourtant, le fait d’utiliser des sauces à base de poisson fermentés n’est pas l’apanage des Vietnamiens. Dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains faisaient volontiers des salaison d’anchois, de maquereaux ou de sardines, dont ils extrayaient ensuite le jus.
En Asie, la sauce de poisson n’apparaît que vers le 6e siècle de notre ère, dans le sud de la Chine, où elle devient rapidement un condiment fort apprécié. Pas étonnant, dès lors, que le Vietnam, qui est à proximité, tant géographique que culturelle, finisse par se l’approprier au point d’en faire “sa” spécialité.
Un produit artisanal
Le procédé de fabrication du nuoc mam est simple et artisanal: il suffit de presser des poissons fermentés dans du sel et d’en extraire le jus. Dit comme ça...
En principe, ce sont des anchois qui sont utilisés. Les pêcheurs les entreposent dans d’immenses fûts de bois. C’est d’ailleurs le bois qui donne sa coloration particulière à la saumure. A Phu Quoc, qui passe pour être le haut lieu du nuoc mam, c’est du laurier à suif qui est ainsi mis à contribution.
Pour ce qui est des dosages, il y a une sacro-sainte règle à respecter: une dose de sel pour trois doses d’anchois.
Sinon, il faut savoir que le tout premier pressage est considéré comme le meilleur, comme c’est le cas pour l’huile d’olive. Ce premier filet, sirupeux à souhait, est un vrai nectar, assurent les connaisseurs. Quant aux effluves qui s’en dégagent.
Mais il faut savoir aussi que le nuoc mam est un véritable atout santé. Il est en effet gorgé de protéines, d’acides aminés et d’éléments minéraux qui favorisent la formation des os et du sang. Il apporte également une quantité non négligeable de fer, de cuivre et de vitamines, en particulier la vitamine B12, essentielle au bon fonctionnement du cerveau et du système nerveux.
Nuoc mam local "made in Vietnam"
Le nuoc mam est certes produit un peu partout, tout au long du littoral vietnamien, mais il y a tout de même trois sites qui se dégagent.
L’île de Phu Quoc, dans le Sud, est ainsi considérée comme le saint des saints par les amateurs de nuoc mam. Elle abrite en effet des centaines de fabriques artisanales et produit chaque année près de 10 millions de litres de sauce.
Quant à leur nuoc mam, il est le seul du Vietnam à bénéficier d’une Indication Géographique Protégée. Et pour cause: il s’exporte dans le monde entier.
Petit détail à connaître, toutefois: il est interdit de prendre l’avion à Phu Quoc avec des flacons de nuoc mam en soute! Si ceux-ci venaient à se briser. A Phan Tiet aussi, au nord-est de Saïgon le nuoc mam est une tradition artisanale. On y trouve d’ailleurs un musée dédié, qui présente aux visiteurs le processus de fabrication de la sauce, mais aussi de nombreux documents relatifs aux villages de pêcheurs de cette partie de la côte.
En remontant encore, on arrive à Nha Trang, célèbre station balnéaire s’il en est, qui est aussi le troisième haut lieu de fabrication du nuoc mam.
Nuoc mam : particulièrement savoureux
Le nuoc mam est utilisé dans la plupart des préparations culinaires vietnamiennes. Mais il figure également en bonne place sur la table, où il tient le rôle traditionnellement dévolu au sel dans bien d’autres cuisines du monde.
Pur, il doit être dosé avec une certaine parcimonie, eu égard à sa solide teneur en sodium et surtout à son goût très prononcé.
C’est sans doute pour cette raison qu’il est très souvent dilué. Que ce soit avec du citron, du sucre, de l’ail, du piment, du gingembre, des cacahuètes non grillées et non salées, de la pâte de crevette, de la coriandre, ou encore de la menthe, il sera toujours en bonne, voire en très bonne compagnie...
C’est généralement dans du nuoc mam que l’on trempe les rouleaux de printemps ou les nems. Sinon, le nuoc mam accompagne de nombreux poissons, crustacés et viandes, mais aussi des légumes sautés, crus, à la vapeur ou bouillis.
“C’était délicieux: une combinaison merveilleuse de piquant et de douceur et la richesse du goût de la rivière. Pour moi, l’odeur-même du Vietnam”... Ces mots, qui seront ceux de la fin, sont cette-fois ceux d’un poète américain, Bruce Weigl, qui a combattu à Quang Tri en 1967 et en 1968.