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« Présumés français » : l’assimilation forcée des métis de l’Indochine (Ep 2.)

Dès le XIXe siècle, la présence française en Indochine se traduit par des naissances d’enfants métis - entre colons et femmes du pays. Les autorités françaises vont alors prendre conscience d’une « question eurasienne », et créent la Fédération des Œuvres de l’Enfance Française d’Indochine (F.O.E.F.I) en 1950 qui organise le déplacement de ces enfants. Dès leur arrivée en France au terme d’un périple de 30 jours en bateau ou de 30 heure en avion, les enfants Eurasiens vont-ils être sommés de tourner une page de leur vie…

« Présumés français » : l’assimilation forcée des métis de l’Indochine« Présumés français » : l’assimilation forcée des métis de l’Indochine
Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 25 septembre 2024, mis à jour le 25 septembre 2024

« Présumés français » : l’assimilation forcée des métis de l’Indochine - Retrouvez le premier épisode de cette série.

C’est une certaine Marguerite Graffeuil, trésorière de la Fédération, veuve du Résident supérieur en Annam de 1934 à 1940, qui organise l’accueil des enfants avec l’aide du ministère de la France d’Outre-mer. Grâce aux subventions obtenues, la Fédération peut acheter entre 1949 et 1959 un grand nombre de propriétés pour les accueillir. Son siège social s’installe au 7, rue Washington, à Paris, dès 1954.

 

FOEFI en France : carte

 


La F.O.E.F.I continue d’élever les pupilles qui lui sont confiés dans des foyers non mixtes. Il y aura, par exemple, Saint-Rambert-en-Bugey, pour les filles, et Vouvray, pour les garçons.

 

Séparation des frères et soeurs

 

Cette non-mixité suppose une séparation des fratries le cas échéant, mais qu’à cela ne tienne. Les liens familiaux déjà difficiles à maintenir à si grande distance sont effacés jusqu’à disparaître et les enfants sont formés à devenir des Français selon une norme traditionnelle s’inscrivant dans la droite ligne d’une une politique paternaliste qui prolonge le pouvoir colonial sur les corps et les vies au-delà même de la survivance de la colonie elle-même, laquelle sera définitivement perdue en 1954, suite aux accords de Genève.

 

Marguerite Graffeuil, au centre, entourée de jeunes pupilles
Marguerite Graffeuil, au centre, entourée de jeunes pupilles


La fondation est de toute façon certaine d’être sur le droit chemin en estimant que l’assimilation de ses protégés à la société française passe par l’effacement pur et simple de toute référence à leur passé : leurs objets personnels leur sont confisqués, il leur est interdit de parler vietnamien sous peine de punition, sont instamment priés d’oublier les enseignements bouddhistes pour embrasser la religion catholique, hors de laquelle il n’est point de salut comme chacun sait.

 

Pensionnaires eurasiennes au foyer de l’abbaye, le jour de leur communion
Pensionnaires eurasiennes de la F.O.E.F.I au foyer de l’abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey, le jour de leur communion, 1964.

 

La F.O.E.F.I a des ambitions claires, pour ses pupilles : il faut leur assurer un avenir stable, et surtout, faire en sorte qu’ils se marient plus tard avec un Français ou une Française, de façon à « sceller » un peu plus leur assimilation. De l’école au service militaire, les garçons devront constamment faire preuve de leur capacité d’adaptation. Quant aux filles, elles devront apprendre à devenir de bonnes épouses et de bonnes mères de famille.

 

Pour en faire des « Français comme les autres »

 

Force est de constater que dans la plupart des cas, les enfants passés au crible de cette assimilation forcée vont effectivement devenir des « Français comme les autres », selon l’expression consacrée. Pour la F.O.E.F.I, preuve sera ainsi faite que ces enfants auraient pu incarner l’avenir de la France en Indochine.

1019 certificats d’études primaires, 748 BEPC, 393 BAC, 29 brevets élémentaires,39 brevets industriels, 751 CAP, 68 BEP, 65 brevets de secrétariat de direction,116 diplômes d’État, à quoi il faut ajouter 20 diplômés en Droit,21 en Lettre, 44 en Médecine, 146 en Sciences ainsi que 80 autres diplômes supérieurs.

Sur le plan de la formation, le bilan est évidemment satisfaisant. Mission accomplie, donc !

 

« Je pense que j’ai eu de la chance de ne pas être revendicative, d’être sage. J’allais où on me disait d’aller. Ça m’a permis d’accepter ma situation », reconnaîtra une des pupilles, une parmi tant d’autres.

La F.O.E.F.I, elle, va durer jusqu’au 8 novembre 1983, date de sa dissolution. En 1972, déjà, la Secrétaire d’État à l’action sociale, Marie-Madeleine Dienesch, avait décrété qu’en raison de la diminution du nombre d’Eurasiens relevant de la Fédération, une cessation d’activité devait être prévue dans un délai de 4 ans à l’échéance du 31 décembre 1976. La Fédération arrivera à maintenir son activité pendant 7 années supplémentaires, sans recevoir la moindre subvention.

 

Dao ga, dit vit

 

« Tête de poulet, cul de canard ».

Pendant longtemps, les eurasiens vont trainer leur double identité comme une casserole.  

 

« L'Eurasie, ce pays imaginé, fantasmé, salutaire pour ces enfants qui ont un jour tout perdu pour ensuite se réinventer en France », écrit Sophie Hochart.

 

Elle-même la petite-fille de l’une de ces pupilles eurasienne recueillies par la F.O.E.F.I, elle est l'auteure d’un ouvrage sur le sujet, intitulé Le déracinement silencieux.

 

Le déracinement silencieux



Il faut bien admettre que les enfants ainsi rapatriés avaient parfois de bonnes raisons de l’être, et que les conditions de vie dans les foyers gérés par la F.O.E.F.I étaient plus qu’acceptables, notamment sur le plan matériel.  

En cela, les pupilles eurasiens ont eu un sort bien plus enviable que celui des rapatriés d’urgence de l’après-Indochine, ces fameux « harkis indochinois » auquel Le petit journal avait d’ailleurs consacré un article.

Il n’empêche. C’est bel et bien à un déracinement qu’ils ont été confrontés, avec tout ce que cela peut avoir de douloureux et de traumatique.

 

« Aujourd’hui je me pose des questions sur ce troc qui a été opéré entre la sécurité que l’on nous a offerte et le foyer que nous avons perdu. Etait-ce bien ou pas ? », s’interroge l’un d’entre eux.

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