Dans un pays où les soupes de nouilles font partie du patrimoine culinaire, il n’est pas surprenant que les nouilles instantanées occupent une place aussi importante dans la vie quotidienne. Du petit-déjeuner des étudiants aux repas de nuit des travailleurs, elles incarnent à la fois la rapidité, la praticité et la saveur familière du Vietnam contemporain. Mais d’où vient cet engouement, et que révèle-t-il de la culture vietnamienne ?


Une histoire industrielle récente
Les premières nouilles instantanées sont apparues au Japon à la fin des années 1950, mais leur véritable expansion au Vietnam date des années 1990. L’un des tournants majeurs fut l’arrivée d’entreprises japonaises comme Acecook, qui s’est implantée à Ho Chi Minh-Ville en 1993. En combinant technologie japonaise et goûts locaux, la marque a su adapter ses produits aux préférences vietnamiennes et conquérir rapidement le marché.
Depuis, le secteur s’est fortement diversifié. À côté des grands groupes comme Masan Consumer (marque Omachi), Asia Foods ou Uniben, sont apparues des initiatives locales et plus originales, comme Caromi, dans la province de Quang Nam, qui produit des nouilles à base de manioc, modernisation d’un savoir-faire traditionnel.
Une consommation nationale impressionnante
Le Vietnam est aujourd’hui l’un des plus grands consommateurs de nouilles instantanées au monde. En 2023, selon la World Instant Noodles Association, le pays a consommé environ 8,5 milliards de portions, ce qui le place au 4ème rang mondial, derrière la Chine, l’Indonésie et l’Inde.
En moyenne, chaque Vietnamien mange environ 85 paquets par an, soit un paquet tous les quatre à cinq jours.
Cette consommation représente plus de 1000 tonnes de nouilles par jour. Le marché, évalué à plusieurs milliards de dollars, croît chaque année d’environ 15 à 20%, porté par une population jeune, urbaine et toujours plus pressée.
Les raisons de ce succès
Plusieurs facteurs expliquent la popularité exceptionnelle des nouilles instantanées au Vietnam.
La praticité : elles se préparent en quelques minutes, avec simplement de l’eau chaude, et ne nécessitent pas d’équipement particulier. Dans un pays où les journées de travail sont longues et où le rythme urbain s’accélère, cet aspect est décisif.
Le prix, ensuite : un paquet coûte en moyenne entre 5 000 et 10 000 dôngs (soit 0,20 à 0,40€), ce qui en fait un repas abordable pour toutes les classes sociales.
Outre cela, elles sont disponibles partout, dans les supérettes, les marchés, les cafés ou même les stations service, ce qui renforce leur ancrage dans le quotidien.
Mais au-delà de l’aspect pratique, leur succès s’explique aussi par la culture culinaire vietnamienne elle-même. Le Vietnam est le pays des soupes de nouilles : pho, bun bo, Hue… Les nouilles instantanées s’inscrivent naturellement dans cette tradition. Leur goût familier évoque les repas faits maison, même lorsqu’on les prépare à la hâte.
Les marques locales ont d’ailleurs adapté les saveurs aux préférences nationales : bouillons de crevettes, de bœuf, de porc grillé ou de poulet citronné, avec un juste équilibre entre piment, sel et douceur.
Enfin, les crises récentes, notamment la pandémie de COVID-19, ont encore renforcé leur place dans les habitudes alimentaires. Faciles à stocker, économiques et réconfortantes, les nouilles instantanées ont été un produit-refuge pendant les confinements.
Un produit qui évolue
Si les nouilles instantanées étaient autrefois perçues comme un aliment bas de gamme, elles connaissent aujourd’hui une forme de “premiumisation”.
Des marques comme Omachi ont introduit des nouilles plus saines, moins grasses, faites à base de pommes de terre ou de manioc.
D’autres innovent avec des saveurs inédites ou des ingrédients plus naturels : Caty Food JSC, par exemple, a lancé en 2024 des nouilles infusées au fruit du dragon, un concept qui séduit les investisseurs.
Les entreprises cherchent aussi à conquérir les marchés étrangers. Les nouilles d’Acecook sont désormais exportées au Japon, en Europe et aux États-Unis, preuve que le goût vietnamien séduit au-delà de ses frontières.
Goût et culture du “mi goi”
Au Vietnam, les nouilles instantanées ne sont pas considérées comme un simple encas, mais comme une base que chacun personnalise.
Les étudiants y ajoutent souvent un œuf ou quelques légumes, les travailleurs un peu de viande ou de tofu, les familles des herbes fraîches, du citron vert ou du piment.
Cette “customisation” fait partie de la culture culinaire vietnamienne : même un plat préparé doit refléter la créativité et l’équilibre des saveurs.
C’est aussi ce qui explique la popularité du “mi goi” (terme courant pour désigner les nouilles en sachet) : elles s’adaptent à tous les goûts, tous les budgets, toutes les situations.
Les défis à venir
Cette consommation massive pose toutefois certains défis. Les autorités sanitaires rappellent régulièrement les risques liés à la teneur en sodium et en graisses saturées des produits les plus basiques.
Pour y répondre, plusieurs marques investissent dans la recherche nutritionnelle, réduisent le sel ou explorent des alternatives naturelles.
L’Union Européenne, de son côté, a récemment assoupli ses contrôles à l’importation sur les nouilles vietnamiennes, reconnaissant une nette amélioration de ses standards de sécurité alimentaire, un signe de maturité pour l’industrie.
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