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Entrepreneur : comment Albin a fondé 8 concepts différents à Saigon

entrepreneur albin saigonentrepreneur albin saigon
Écrit par Loanne Jeunet
Publié le 22 octobre 2019, mis à jour le 12 avril 2020

Restaurants de cuisine française, fruits de mer à la méditerranéenne, barbecue, craftbeer… Des concepts imaginés par Albin Deforges, Français installé au Vietnam depuis quinze ans. Il dit tout sur son aventure entrepreneuriale. 

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 ​​​​​​Locaux de Fresh Catch. © Alberto Prieto

Albin Deforges nous attend de pied ferme dans son restaurant, abrité entre les murs d’une sublime maison de caractère, construite par l’architecte Ngô Viết Thụ, à l’origine du Palais de la Réunification. On sent que le quadragénaire est particulièrement fier de son restaurant dans lequel le filet de pêche au plafond et le luminaire en forme de calamar géant annoncent la couleur : ici, on cuisine les fruits de mer, à la méditerranéenne. C’est le dernier né d’une fratrie de huit, car Albin n’en est pas à son coup d’essai : après quinze ans passés au Vietnam, il a eu le temps de mûrir différents concepts, en passant par la cuisine française, le barbecue américain, la bière artisanale, et plus récemment, les fruits de mer aux saveurs résolument espagnoles.

lepetitjournal.com Ho Chi Minh Ville : Quel est votre parcours ? 

Albin Deforges : J’ai grandi en France jusqu’à l’âge de 19 ans, et je suis parti en Angleterre pour travailler dans divers restaurants et bars. J’ai ensuite suivi une formation à l’école hôtelière de Lausanne, durant laquelle j’ai pu exercer à New York et Saint Martin dans les Caraïbes. Au terme de ces quatre années d’études, je me suis envolé pour Montréal pour un an, au milieu de la forêt dans un hôtel, en tant qu’assistant du directeur de la restauration. C’était une bonne expérience, mais l’Asie m’appelait. Une amie m’a parlé d’un poste vacant dans une entreprise de vin. Je suis donc arrivé à Saigon pour travailler dans le marketing du vin. Et depuis, je suis toujours là. 

Entre temps, on m’a recruté pour développer une société qui s’appelait Mégastar, une chaîne de cinéma, devenue aujourd’hui CGV. On a ouvert le premier complexe de cinéma à Hanoi, et j’ai entrepris d’en inaugurer quatre autres à Saigon. Un jour, un de mes amis japonais m’a proposé de monter une entreprise avec lui. C’est comme ça qu’est né Ala Mezon, mon tout premier business. J’ai développé ça pendant trois ans, mais je me suis vite retrouvé seul dans la gérance. On a fini par revendre l’affaire. Je voulais quitter le Vietnam, et puis j’ai eu l’opportunité d’aider quelqu’un en consulting à Saigon : ils avaient ouvert une crêperie, mais qui ne démarrait pas bien. Les prix étaient trop élevés, le manager manquait d’expérience. Rapidement, on m’a proposé des parts. 

Ensuite en 2014, en association avec deux amis américain et australien et des prête-nom, on a eu l’idée de monter un barbecue américain (Quan ut ut). L’année d’après, nous avons ouvert le premier de deux bistrots pub à bières artisanales (Biacraft) et le deuxième restaurant de barbecue ; nous avons pu rendre les sociétés à 100% capitaux étrangers. Ça s’est enchaîné en 2016 puisque j’ai ouvert un restaurant de cuisine vietnamienne, à côté de Ben Thanh, et en 2017, un restaurant français, dans la même allée. Enfin, j’ai monté un concept de SPA pour ma femme. Le deuxième a ouvert au début du mois de mai dernier. 

Aujourd’hui, nous avons trois restaurants français avec des associés français. J’ai revendu la marque de barbecue américaine, ainsi que les Biacraft, à un fonds d’investissement. Il doit y en avoir sept ou huit maintenant. 

Avez-vous une clientèle cible, ou est-ce que vous vous adressez aussi bien aux locaux qu’aux étrangers/expatriés ? 

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Cela dépend des concepts, mais pour mon restaurant de fruits de mer, notre clientèle se constitue à 30% de Vietnamiens et ne cesse de grandir. C’était le but ! Nous avons aussi 30% de Japonais. Le reste est un mélange plutôt asiatique que western, mais cela dépend des moments. Pour les restaurants vietnamiens, nous sommes à 80% de touristes, et le reste est un mix de locaux et d’expats. Pour les restaurants français, cela dépend des emplacements. Nous touchons aussi bien les expatriés asiatiques, occidentaux que les locaux.

Comment imaginer un concept qui va marcher ? 

J’ai toujours voulu ouvrir mon propre restaurant, ou mon propre bar. Avec mon frère, dès 14 ans, on dessinait notre futur bar, notre futur restaurant. On a même parlé d’ouvrir notre propre restaurant avant mes études, mais c’était trop tôt. 

À force d’expériences au Vietnam, j’ai pu identifier ce qu’il manquait dans le marché vietnamien. Pour le Biacraft, mon associé avait tout du stéréotype américain : vendeur de voitures, ses trois passions étaient le BBQ, le blues et la bière, qu’il fabriquait lui-même. À une soirée barbecue avec des amis, les Vietnamiens ont adoré son barbecue et sa bière. On a donc commencé à faire notre propre bière, avec des fûts de 25 litres dans la cuisine. Le premier jour d’ouverture, on a fait 150 bouteilles à la main. Et curieusement, il y a eu une grande réaction de la part des expat’ : en discutant, nous nous sommes aperçus que beaucoup de gens s’adonnaient à la fabrication artisanale de bière, chacun de leur côté. Nous avons voulu rassembler toutes ces personnes-là, celles qui voulaient se lancer. C’est comme ça que le marché de la bière artisanale s’est développé au Vietnam.

Je voulais monter un restaurant dans le quartier de Ben Thanh et je cherchais ce qu’il manquait. Il y avait de la street food, Pho 2000 et un restaurant de Hué. Beaucoup de touristes se baladaient et prenaient la nourriture de rue en photo. Mais ils n’osaient pas forcément y aller pour le côté hygiénique. Je me suis dit que c’était l’endroit parfait pour ouvrir quelque chose de plus "clean" en terme d’hygiène, toujours avec ce côté nourriture de maman, bếp mẹ ìn. C’est comme ça que le concept est sorti.  

À Saigon, il y a une multitude de restaurants de fruits de mer, soit dans la rue, soit dans ces énormes établissements où l’on peut apercevoir de gros aquariums. J’ai décidé de tester ce marché là. J’avais en tête une cuisine méditerranéenne, avec des classiques espagnols, italiens, français : risottos, paëlla, gros plateaux de fruits de mer… Nous travaillons maintenant avec 95% de produits locaux et très peu de produits importés, mis à par l’huile d’olive, les tomates pour la sauce et quelques autres produits.  Nous sommes en lien étroit avec des pêcheurs de La Gi et de Ha Tien. Même si l’approvisionnement n’est pas facile tous les jours, on monte notre menu en fonction des arrivages, et de la saisonnalité. 

Avez-vous rencontré des difficultés pour entreprendre  ?

La première chose a l’époque qui était compliquée et qui l’est encore, c’est de monter une structure et de savoir laquelle est la plus adaptée. Aujourd’hui, tu peux ouvrir une structure à 100% capitaux étrangers mais est-ce que c’est la meilleure solution ? La plupart de mes sociétés sont à capitaux étrangers mais pas forcément à 100%. Ma femme me représente aussi dans certaine des sociétés. En tant qu’étranger, pour dealer avec les autorités et pour tout le coté administratif (gérer les taxes, les licences etc.), il est essentiel de pouvoir travailler avec un associé vietnamien de confiance. Pour mon premier restaurant, j’avais un prête-nom et je n’apparaissais nulle part. Mais tout se sait ici. De plus, si tu n’es pas Vietnamien, il y a certaines licences plus compliquées à obtenir, ou cela peu coûter cher. Faire les choses à l’arrache, ça peut être simple. Faire les choses en toute légalité, être bien sous tout rapport vis-à-vis des autorités, c’est certes plus compliqué, mais c’est ce qui marche sur le long terme. Mais c’est comme partout à l’étranger en tant qu’expat’ : il y a toujours des problèmes administratifs. 

Deuxièmement, la barrière de la langue a été une difficulté : comprendre et se faire comprendre, où trouver les bons produits ; tu te retrouves vite sur un marché à deux vitesses. Beaucoup de fournisseurs ne me proposaient pas les mêmes tarifs, et il est déjà arrivé que des membres de l’équipe tentent de récupérer de l’argent quelque part. 

Enfin, j’ai beau être ici depuis quinze ans, je ne peux pas penser comme un Vietnamien, même si j’essaye : il y a des choses qui me surprennent tous les jours, notamment au niveau des réactions, de la communication. 

Vous vivez au Vietnam depuis quinze ans. Qu’est-ce qui vous plaît le plus ? Et à l’inverse, vous déplaît ? 

Ce qui m’a plu depuis le début et qui m’a fait rester, ce sont les opportunités professionnelles en général. Ce que j’ai fait pour les cinémas, je n’aurais jamais pu le faire ailleurs. Mais après quinze ans passés au Vietnam, en tant que Blanc, je reste un touriste pour beaucoup de gens, ou alors un prof. Beaucoup d’enfants m’appellent teacher dans la rue, mais cela me fait plus rire qu’autre chose. Ce qui me dérange au Vietnam, c’est la pollution générale, la pollution sonore, surtout dans la ville. C’est fatiguant. J’ai deux jeunes enfants et j’aimerais bien les voir grandir dans un environnement plus sain, aussi bien pour la nourriture que pour les activités.

On s’interroge : combien gagne un entrepreneur à la tête de huit restaurants au Vietnam ? 

Mon salaire est à peu près le même aujourd’hui qu’il y a 15 ans : au vu des opérations que je développe, je ne peux pas me permettre de me verser un gros salaire. Mais je ne suis pas à plaindre, je profite quand même de bénéfices. Certes, la vie ne coûte pas cher au Vietnam, mais dès que vous rajoutez l’éducation et la santé, ça peut vite augmenter. Je vise surtout la revente.

En tant qu’entrepreneur qui a réussi à Saigon, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut monter son entreprise de façon prospère ? 

Étudier le marché en général. On voit pas mal de gens arriver, jeunes ou pas jeunes, ayant des idées en tête en se disant que ça va cartonner, surtout dans la restauration. Mais malgré son image facile, ce n’est pas si simple. Je vois également des entreprises étrangères arriver avec de gros moyens. Et malgré l’ouverture d’un grand restaurant, elles se plantent, parce qu’elles n’ont pas assez étudié le marché : il faut comprendre comme développer sa société dans la culture vietnamienne, et savoir parfois s’y adapter. 

Bien que ce soit un pays en développement avec énormément d’opportunités, il ne faut pas arriver en terrain conquis, et ce n’est parce que vous avez réussi un concept dans un autre pays que ça va facilement marcher ici : les Vietnamiens sont fiers de leur pays, et fiers d’avoir leurs produits avant tout. 

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