Professeure et chercheuse à l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), Haydée Silva est une figure incontournable de la didactique du français en Amérique latine. Passionnée par la langue française et ses littératures, elle milite pour une vision plurielle et inclusive de la francophonie, bien au-delà des cadres institutionnels.


Une passion née de l’enfance
Haydée Silva n’a pas grandi dans un environnement francophone, mais elle y est entrée très tôt, presque par hasard. « Comme Obélix, je suis tombée dedans quand j’étais petite ! », confie-t-elle avec humour. Un séjour en France durant son enfance lui a ouvert les portes d’une langue qu’elle a depuis adoptée et défendue.
Aujourd’hui responsable du département de didactique de la langue et de la littérature à l’UNAM, elle consacre sa carrière à l’enseignement du français et à la transmission de sa richesse culturelle. « La langue française est un formidable outil de découverte du monde », explique-t-elle. Elle pousse ses étudiants à explorer un vaste éventail d’auteurs, de Balzac à Kim Thúy, de Villon à Danny Laferrière, convaincue que chaque œuvre éclaire le monde sous un angle nouveau.
Au début de l’année, elle a participé à fonder l’ADMIF, association mexicaine à but non lucratif réunissant les professionnels de l’enseignement et de la recherche en français autour des valeurs et des finalités communes.
La francophonie des Amériques : un espace vivant et en mouvement
Si la France est souvent perçue comme le centre de la francophonie, Haydée Silva rappelle que le français se conjugue sur tous les continents. « Il me semble essentiel de penser les francophonies au pluriel », affirme-t-elle.
Des terres innues du Québec aux communautés francophones de Louisiane, en passant par le Mexique et l’Argentine, elle observe un foisonnement culturel dont l’Europe sous-estime parfois la richesse. « La langue française ne doit pas être vue comme une langue imposée, mais comme une ouverture vers autrui », insiste-t-elle. La poésie innue, par exemple, s’exporte jusqu’en Amérique latine et nourrit des initiatives visant à rendre visibles d’autres voix autochtones.
Le 27 février dernier, Haydée Silva a participé à la première réunion de la Commission régionale d'experts économiques et scientifiques (CREES) de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) pour la région des Amériques. Cette réunion a rassemblé des experts de diverses institutions académiques de la région dont la liste figure dans l’article en lien.
Enseigner le français au Mexique : entre défi et promesse
Dans un pays où l’espagnol domine et où l’anglais est souvent privilégié comme langue étrangère, enseigner le français n’a rien d’évident. Pourtant, l’intérêt des étudiants est bien réel. « Le plus souvent, tout commence par une rencontre : un professeur, un film, un livre qui résonne en eux », raconte-t-elle.
Haydée Silva rejette l’idée d’un enseignement rigide et monolithique. « Les langues ne sont pas jalouses, on ne leur doit pas la monogamie ! », plaisante-t-elle. Elle encourage ses étudiants à croiser les influences, à lire Zola comme Roberto Bolaño, Emmelie Prophète comme Frieda Ekotto. Pour elle, apprendre le français, c’est s’ouvrir au monde.
Une francophonie en mouvement
Rejetant une vision centralisée et figée du français, Haydée Silva préfère celle d’une langue vivante, en constante évolution. Elle reprend à son compte la phrase de Tahar Ben Jelloun : « La francophonie est une maison pas comme les autres, il y a plus de locataires que de propriétaires. »
Selon elle, ce sont ces « locataires » – enseignants, écrivains, lecteurs – qui font vivre la langue, bien plus que les institutions officielles. « La langue appartient à ceux qui la parlent, qui la font vivre, qui la font vibrer », souligne-t-elle. Elle rappelle que le français a servi aussi bien à la colonisation qu’aux luttes d’indépendance et qu’il revient à ceux qui la parlent de lui donner du sens.
Quel avenir pour la francophonie ?
Si elle constate un regain d’intérêt pour le français dans certaines régions, notamment au Mexique où il a été réintroduit dans certaines écoles publiques, elle sait aussi que la francophonie doit relever de nombreux défis.
Elle attend peu des sommets institutionnels, mais beaucoup des acteurs de terrain. « L’avenir de la Francophonie est en train de s’écrire aujourd’hui », affirme-t-elle. À ses yeux, c’est par les initiatives locales, les échanges culturels et la transmission passionnée de la langue que le français continuera à rayonner dans le monde.
Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie
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