Ferdinand Marcos Junior, fils et homonyme du défunt dictateur, a remporté mardi une victoire écrasante à la présidentielle aux Philippines, réinstallant son clan familial au sommet du pouvoir, 36 ans après la révolte populaire qui l'en avait chassé.
Selon des résultats préliminaires portant sur la quasi-totalité des bureaux de vote, Marcos Junior, surnommé "Bongbong", a obtenu plus de 56% des suffrages et plus de deux fois plus de voix que sa principale rivale, la vice-présidente sortante Leni Robredo.
Cette victoire du fils Marcos laisse un goût amer à des millions de Philippins qui espéraient tourner la page de six ans de présidence de Rodrigo Duterte, marqués par les violences, dont une guerre sanglante contre le trafic de drogue, et un autoritarisme accru.
Mais le clan Duterte a soutenu "Bongbong", et loin de le répudier, une forte majorité d'électeurs ont même porté la fille de Rodrigo, Sara, à la vice-présidence lors d'un scrutin distinct.
Dans une allocution mardi à l'aube, Ferdinand Marcos Junior, 64 ans, s'est cependant abstenu de crier victoire. "Attendons que ce soit très clair, que le décompte atteigne 100% des voix, et alors nous pourrons célébrer", a-t-il dit.
Environ 67 millions de Philippins étaient appelés aux urnes pour ces élections générales, qui ont désigné les députés, la moitié des sénateurs, les gouverneurs de province et des milliers d'autres élus locaux.
Le triomphe de Marcos Junior intervient après une campagne électorale marquée par des torrents de désinformation et par le soutien sans faille de M. Duterte.
Depuis des années, des comptes pro-Marcos Junior ont envahi les réseaux sociaux, faisant passer auprès des jeunes Philippins les vingt ans de régime de son père (1965-1986) comme une ère dorée de paix et de prospérité pour l'archipel. Et passant sous silence les dizaines de milliers d'opposants arrêtés, torturés ou tués, ou encore les milliards de dollars volés par le clan Marcos dans les caisses du pays pour son enrichissement personnel.
- "Claire déception" -
Le régime avait été renversé en 1986 par une immense révolte populaire, et la famille Marcos s'était exilée aux Etats-Unis, avant de revenir dans le pays pour y retisser patiemment un puissant réseau de soutien politique.
Moins d'un demi-siècle après leur chute, les Marcos feront leur retour en juillet au palais présidentiel de Malacanang à Manille, d'où "Bongbong" a promis de rétablir "l'unité" du pays pendant son mandat de six ans.
"Cette élection était notre grande chance pour un changement radical", regrette Mae Paner, un humoriste politique de 58 ans qui avait participé à la Révolution de 1986. "Il y aura plus de morts, plus de dettes, plus de faim. Les Marcos pratiqueront le vol", craint-il.
Pour Bonifacio Ilagan, qui a subi deux ans d'emprisonnement et de tortures sous Marcos-père, l'élection a mis à nu un profond malaise dans la société. Elle a, selon lui, révélé "la profondeur avec laquelle la supercherie des fraudeurs historiques s'est infiltrée dans la conscience des Philippins".
Marcos Jr doit en grande partie sa victoire à une série de tractations en coulisses avec d'autres clans familiaux, notamment à son alliance avec Sara Duterte.
Sa rivale malheureuse Leni Robredo, avocate et économiste de 57 ans qui avait promis de débarrasser le pays de la corruption et de la mainmise des dynasties politiques, a exprimé sa "claire déception".
Ces dernières semaines, sa campagne s'était transformée en un mouvement pro-démocratie, attirant près d'un million de personnes lors d'une seule manifestation à Manille.
- "Copinage" -
Craignant la colère des électeurs mécontents, dont beaucoup ont dénoncé des irrégularités, la police a lancé un appel à la retenue. La Commission électorale du pays a estimé que le dépouillement s'était correctement déroulé dans l'ensemble.
La lourde défaite de l'opposition libérale va sans doute ouvrir, pour elle, une période d'introspection, estime Mark Thompson, directeur du Centre de recherche sur l'Asie du Sud-Est à la City University de Hong Kong.
"Ils doivent montrer clairement qu'ils vont améliorer la vie du Philippin moyen", estime-t-il.
Marcos Junior devra quant à lui s'efforcer de satisfaire tous ceux qui ont voté pour lui par réaction contre les gouvernements démocratiques qui se sont succédé depuis la fin de la dictature, jugés incapables de redresser le niveau de vie des Philippins.
"Il devra présenter un plan cohérent et détaillé pour remettre l'économie philippine sur les rails après les ravages de la pandémie", estime Peter Mumford, analyste d'Eurasia Group.
Le tout en contentant aussi les puissantes dynasties politiques qui l'ont soutenu, et qui attendront de sa part un retour d'ascenseur.
Pour M. Mumford, "l'un des principaux points à surveiller sous son gouvernement sera l'aggravation de la corruption et du copinage" dans le pays.